mars 19, 2024

Un Grand Voyage vers la Nuit

Titre Original : Di Qiu Zui Hou de ye Wan

De : Bi Gan

Avec Tang Wei, Jue Huang, Sylvia Chang, Lee Hong-Chi

Année : 2018

Pays : Chine, France

Genre : Drame

Résumé :

Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée et jamais effacée de sa mémoire. Elle disait s’appeler Wan Qiwen…

Avis :

Avec Kaili Blues, Bi Gan réalisait un métrage singulier, au concept expérimental. Il en ressortait une incursion curieuse et intrigante où le spectateur était davantage amené à ressentir le caractère émotionnel des séquences qu’à suivre une histoire à part entière. Soit dit en passant, cette dernière restait assez sommaire, mais permettait d’étayer une atmosphère par trop particulière. Avec Un Grand voyage vers la nuit, le cinéaste chinois propose une approche similaire, à la différence prête que les moyens techniques et financiers sont revus à la hausse. En l’occurrence, on ne parlera pas forcément d’une vision mature du septième art, mais plutôt d’une évolution naturelle due à l’expérience de son premier long-métrage.

Au même titre que son prédécesseur, le scénario du présent film reste simple et peut se résumer en une phrase. À savoir, un homme qui revient dans sa ville natale, en quête d’un amour perdu. En partant de ce postulat, le réalisateur propose d’accompagner le protagoniste à travers son errance, ses souvenirs. La première partie de l’intrigue constitue une forme d’évocation du passé, non sans nostalgie et regrets. Outre une action se situant dans un cadre commun, on retrouve cette approche similaire à Kaili Blues. Ainsi, on s’écarte sciemment d’un fil conducteur pour se perdre au détour de venelles, tunnels et marchés nocturnes. Ici, ce sont les pensées et les réminiscences du protagoniste qui prévalent.

« Il use du processus de la 3D afin d’offrir – au sens propre, comme au figuré – une autre dimension qui amène à une immersion plus intimiste. »

Certes, les flashbacks présentent une chronologie anarchique. L’absence de repères temporels interpelle également par l’intelligibilité et la complémentarité des séquences. Il ne suffit pas de se laisser porter par l’atmosphère interlope desdites pérégrinations. Malgré la simplicité apparente du pitch initial, il est nécessaire de rester attentif pour situer les intervenants dans le contexte. Quant à la temporalité, elle tient surtout au vieillissement des personnages. Un maintien différent, une coiffure grisonnante, des traits tirés… Les détails demeurent discrets, subtils, mais permettent néanmoins de replacer les évènements dans leur bon déroulement.

Au sortir de cette première partie, Bi Gan invite son public à se rapprocher un peu plus de son projet artistique. Pour ce faire, il use du processus de la 3D afin d’offrir – au sens propre, comme au figuré – une autre dimension qui amène à une immersion plus intimiste. On se souvient alors du plan-séquence de Kaili Blues dont l’idée technique est ici reprise à un niveau de maîtrise supérieur. Et cela ne tient pas uniquement à la durée qui excède l’heure pour ce seul passage. Là où on dénotait un traitement cyclique sur une zone restreinte pour Kaili Blues, le plan-séquence du présent métrage complexifie l’exercice cinématographique à travers une réelle variation du cadre.

« Le tout est magnifié par une photographie somptueuse. »

De ce tunnel minier à cette descente en tyrolienne, sans oublier ses ruelles animées, l’approche est foncièrement sidérante tant il émane un sentiment de continuité. Impression qui se renforce par la cohérence de l’enchaînement des lieux, sans oublier cette alternance des points de vue où l’on s’éloigne d’un personnage pour suivre l’autre et ainsi de suite. Dès cette seconde partie, le métrage tient davantage de divagations oniriques qu’à une progression réaliste. Preuve en est avec cette « évasion aérienne » ou ce tournoiement incessant du cadre lors de la dernière scène. Le tout est magnifié par une photographie somptueuse où le contraste de couleurs chatoyantes se heurte aux ténébreuses volutes de la nuit.

Au final, Un Grand voyage vers la nuit présente un titre évocateur. Véritable fresque poétique du septième art, le film de Bi Gan manipule l’espace et le temps d’une manière hypnotique. On tient là le genre de métrage qui ne délivre pas tous ses secrets à la première vision. Il conserve son aura de mystère et propose différents niveaux d’interprétation au spectateur. On y retrouve des éléments qui ne sont pas sans rappeler le travail énigmatique de David Lynch avec un esthétisme proche de l’œuvre de Wong Kar Wai. On songe notamment à In the Mood for Love et 2046. Au-delà de ces relations pudiques et néanmoins obsessionnelles, il en ressort une incursion intrigante. Cette dernière ne se cantonne pas à un genre et aime se perdre dans les confins du film noir, de la romance, du drame et, à certains égards, de la science-fiction. Une œuvre inclassable, onirique et ô combien singulière.

Note : 18/20

Par Dante

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.