mars 19, 2024

Kaili Blues

De : Bi Gan

Avec Feiyang Luo, Lixun Xie, Chen Yongzhong, Daqing Zhao

Année : 2016

Pays : Chine

Genre : Drame

Résumé :

Chen est médecin dans une petite clinique de Kaili, ville brumeuse et humide de la province subtropicale du Guizhou. Il a perdu sa femme lorsqu’il était en prison pour avoir servi dans les triades. Aujourd’hui, il s’occupe de Weiwei, son neveu, qu’il aimerait adopter. Lorsqu’il apprend que son frère a vendu Weiwei, Chen décide de partir à sa recherche. Sur la route, il traverse un village étrange nommé Dangmai, où le temps n’est plus linéaire. Là, il retrouve des fantômes du passé et aperçoit son futur… Il est difficile de savoir si ce monde est le produit de sa mémoire, ou s’il fait simplement partie du rêve de ce monde.

Avis :

Dans le cinéma, comme dans d’autres médias culturels, il est certaines œuvres qui échappent à toutes considérations, à tout le moins dont on ignore la portée désirée par leur géniteur. Le genre d’intrigues qui détonne dans un paysage créatif contemporain où les prises de risque demeurent trop rares ou restreintes aux productions indépendantes. Cette singularité semble caractériser le premier long-métrage de Bi Gan. Réalisateur chinois méconnu, salué par ses pairs et le public pour son travail et son talent technique. D’aucuns le comparent à Hou Hsiao-hsien dont il se veut un fervent admirateur. Aussi, Kaili Blues s’avance comme un objet de curiosité, voire la digression onirique d’un drame social annoncé.

Au demeurant, le pitch initial du présent métrage s’appuie sur des considérations simplistes. La première partie augure d’un traitement méticuleux quant à la présentation des personnages. À travers un quotidien miné par l’amertume et le dénuement, le spectateur appréhende l’intrigue sous le prisme de la désillusion. Au choix, les protagonistes se complaisent dans une détresse toute matérialiste ou tentent de s’affranchir d’un passé encore trop vivace, cause des conflits et des inimitiés qui accablent leur relation. En cela, on assiste à un véritable travail de sape pour raboter les perspectives d’avenir des personnages. Ceux-ci ne sont pas victimes du système, mais plutôt de leur inertie.

« Le fait de confronter le passé, le présent et l’avenir n’est pas explicite. »

De langueur, il est également question dans l’évolution du film. On y distingue un rapport au temps particulier. De prime abord, on peut songer à un traitement long et laborieux. Étant donné le caractère mystérieux qu’emprunte plus tard le récit, cette propension à la contemplation sert le propos. Le cinéaste manipule ce déroulement pour mieux signifier l’inéluctabilité d’un présent qui s’écoule pour devenir passé révolu. Toute l’ironie tient alors à se projeter dans un avenir fantasmé. Songe des chemins de vie délaissés, tandis que d’autres choix amènent à d’irrémédiables conséquences. En ces termes, l’idée demeure abstraite, mais elle se justifie à travers le traitement conceptuel.

Approche qui, à bien des égards, reste cryptique pour un spectateur non averti ou qui ne s’embarrasse guère de consulter le synopsis. De ce point de vue, il est difficile de distinguer cet écoulement du temps non linéaire lorsqu’on s’immisce dans les ruelles délabrées de ce curieux village. Le fait de confronter le passé, le présent et l’avenir n’est pas explicite. En effet, on doit se contenter d’une symbolique sibylline, en rapport avec les souvenirs des protagonistes et les rares évocations consenties au détour d’un échange fortuit. D’ailleurs, cette particularité ne semble guère interpeller le personnage principal, dont l’appréciation majeure est de penser à un rêve. Là encore, on dénote une indolence évidente dans ses réactions.

« On songe surtout à ce plan-séquence de plus de 40 minutes où l’objectif évolue entre venelles, habitations, ponts et bateaux. »

Afin d’assimiler cette singularité comme le cœur du métrage, il faut se focaliser sur la mise en scène. On songe surtout à ce plan-séquence de plus de 40 minutes où l’objectif évolue entre venelles, habitations, ponts et bateaux. Cet aspect se fait l’écho d’une technique remarquable pour suivre les mouvements de la caméra en vue subjective sans interruption. Cependant, le concept ne dessert pas l’histoire, a fortiori lorsqu’on constate le périple du personnage que l’on est censé accompagner. L’exercice est à saluer, mais il est vain quand on se penche sur des considérations narratives. À la rigueur, on pourrait lui octroyer une connotation cyclique du temps, puisqu’il s’agit du thème central. On demeure toutefois plus timoré quant aux intentions du réalisateur, dont la tendance ostentatoire de ses talents est évidente.

Au final, Kaili Blues s’avance avant tout comme une expérience cinématographique avant d’être un film à part entière. Le scénario reste assez simpliste dans ses fondamentaux. Cependant, le concept permet d’en atténuer la prévisibilité. Si le rythme lancinant peut rebuter, ce choix trouve néanmoins une justification dans la manière de traiter son sujet principal. Ici, le rapport au temps s’affranchit de considérations rationnelles, quitte parfois à délaisser toute intelligibilité quant à la pertinence de certaines séquences. Véritable film d’ambiance où l’on se situe à la lisière de l’onirisme, le métrage de Bi Gan interpelle par son originalité, même s’il demeure abscons sur d’autres aspects.

Note : 14/20

Par Dante

Une réflexion sur « Kaili Blues »

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