mars 29, 2024

L’Immensità – Disposer de son Corps

De : Emanuele Crialese

Avec Penélope Cruz, Vincenzo Amato, Elena Arvigo, Filippo Pucillo

Année : 2023

Pays : Italie, France

Genre : Drame

Résumé :

Rome dans les années 1970. Dans la vague des changements sociaux et culturels, Clara et Felice Borghetti ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial…

Avis :

Réalisateur italien, Emanuele Crialese est l’auteur de films tels que « Respiro« , « Golden Door » ou encore « Terraferma« , qui sont des films qui ont trouvé leur succès. Le dernier d’ailleurs a même été primé à Venise lors de son passage. Cela faisait dix ans qu’Emanuele Crialese n’avait pas réalisé de film. Dix ans d’absence, où le cinéaste a eu le temps de mûrir son nouveau film et au vu de ce dernier, on peut comprendre que le metteur en scène ait voulu prendre tout le temps dont il avait besoin, car sous couvert de personnages, en fait, ce que va faire Emanuele Crialese ici, c’est se livrer comme jamais il ne va l’avoir fait.

Inspiré de sa jeunesse, avec « L’immensità« , le réalisateur italien en profite pour faire son coming out trans. Sujet on ne peut plus personnel, « L’immensità » est un film qui va être loin de ce à quoi l’on pourrait s’attendre, car derrière cette annonce, et ses révélations, le film d’Emanuele Crialese n’est pas un film sur le coming out ou la transition. Non, « L’immensità » est simplement le portrait d’un petit garçon piégé dans un corps qui n’est pas le sien, et derrière ça, Emanuele Crialese dresse un portrait de famille dans le Rome des années 70. Un portrait de famille, avec comme point d’amour, un vibrant hommage à sa mère, ici incarnée par Penélope Cruz. Émouvant, inventif, musical, fantasmé et drôle, « L’immensità » est assurément le plus beau des films d’Emanuele Crialese.

« Très bien écrit, Emanuele Crialese livre un film plein de richesse, de pudeur… »

Rome dans les années 70, Clara et Felice ne s’aiment plus, mais ils sont incapables de se quitter. À cette époque-là, on ne se quitte pas. Heureusement pour Clara, elle entretient une relation fusionnelle avec ses trois enfants, et notamment avec son aîné, Adrianna. Adrianna, douze ou treize ans, est piégée dans un corps qui ne lui convient pas. Adrianna, qui se fait appeler Andréa ou Adri, est un petit garçon, et il le fait savoir dans une époque où le regard de l’autre, et ce que l’autre pense, compte bien plus que les maux qui font mal. Heureusement, Adri peut compter sur sa mère, qui fait fi des conventions et du jugement des autres, ne voyant que le bonheur et la liberté de ses enfants.

« L’immensità » est à coup sûr l’un des films les plus courageux de ce début d’année 2023, mais il ne faudrait pas que le film ne soit qu’un élan de courage pour révéler et libérer Emanuele Crialese et heureusement, « L’immensità » va être bien plus que ça. « L’immensità » est un film qui aborde la famille et l’amour d’une mère pour ses enfants. Certes, ce portrait de famille, on va le découvrir au travers des yeux d’Adri, un jeune garçon qui sait très bien qui il est, et ce qu’il veut. Très bien écrit, Emanuele Crialese livre un film plein de richesse, de pudeur et surtout, un film partagé entre émotions et fantaisie.

« Le réalisateur injecte énormément de fantaisie au milieu de son drame… »

Il y a une juste mesure au sein de cette histoire, le portrait que peint le réalisateur aborde tout un tas de thèmes importants, comme la famille, l’image du père étouffant, autoritaire, égoïste et personnel, puis il y a l’image de la mère, aimante, résiliente et coincée. Le film aborde évidemment la société des années 70, s’arrêtant sur l’image qu’on peut renvoyer aux autres. Le jugement chez les autres est omniprésent, et parfois, il est lourd. Puis dans le sens opposé, « L’immensità » parle de l’émancipation, du fait de vivre pour soi, et d’être soi finalement, et qu’importe le jugement des autres.

Le réalisateur injecte énormément de fantaisie au milieu de son drame, pour peindre le monde dans lequel, parfois, le petit Adri se réfugie, pour lui, mais aussi pour sa mère, qu’il imagine souvent en chansons, sur scène, à ses côtés. Puis derrière ça, encore, avec une infinie tendresse, le film oscille entre la découverte de soi loin de la maison, et la résilience qu’il faut, une fois entre ces quatre murs. Avec les oppositions entre la mère et le père, avec les différents regards qu’Emanuele Crialese pose, son « … immensità » conjuguera au bout du compte une lettre d’amour à une mère pleine de courage et un vibrant éloge à la différence, et surtout à la liberté de disposer de son corps. Et le film fait tout ça sans jamais tomber dans la leçon de morale, ou encore la culture du wokisme, ce qui fait franchement du bien.

«  »L’immensità« , c’est surtout une Penélope Cruz, ô combien magnifique, dans l’un de ses plus beaux rôles… »

Si « L’immensità« , dans ce qu’il raconte, se pose comme la plus belle histoire de son réalisateur, le film peut aussi se vanter de l’être dans sa façon de raconter cette histoire. Magnifiquement mis en scène, avec tout un tas d’idées et de fantasmes qui donnent un côté singulier à l’ensemble, Emanuele Crialese arrive à livrer un film assez sombre parfois, tout en gardant en permanence un ton lumineux, un côté fantaisiste, presque naïf et innocent, tant le point de vue des enfants que le film adopte, peut en un sens, ne retenir que les bons et joyeux moments, au détriment des plus durs. De plus, toujours pour la fantaisie, le film est parcouru de moments fantasmés, souvent en noir et blanc, où chansons, chorégraphies et complicité parfaite entre mère et fils sont aux rendre-vous.

Emanuele Crialese, pour donner des corps et des âmes à ses souvenirs d’enfance, a réuni un joli casting, et si on peut mentionner Vincenzo Amato dans le rôle du père, Patrizio Francioni et Maria Chiara Goretti, dans ceux du petit frère et de la petite sœur, il est vrai que « L’immensità« , c’est surtout une Penélope Cruz, ô combien magnifique, dans l’un de ses plus beaux rôles (qu’elle tient en italien évidemment). Puis en alter ego d’Emanuele Crialese, on trouve la jeune et étonnante Luana Guiliani, dans la peau d’un petit garçon coincé, quelque peu perdu, et en même temps plein d’assurance.

Avec ce portrait de famille, avec ce regard singulier et amoureux autour de sa mère, avec cette réflexion touchante autour de la liberté à disposer de son corps au sein d’une société fermée, pour toute la fantaisie, l’amour et la sincérité qui se dégagent de ce drame, pour tous ses acteurs, pour la beauté de Penélope Cruz et ce rôle qui lui va si bien, pour cette jeune actrice incroyable qui crève l’écran, pour la reconstitution de l’Italie des années 70. Bref, tout ça, et bien plus encore, « L’immensità » se pose comme le plus beau et touchant film de son réalisateur.

Note : 16/20

Par Cinéted

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