avril 20, 2024

Joyland – Pépite Pakistanaise

De : Saim Sadiq

Avec Ali Junejo, Alina Khan, Sania Saeed, Salmaan Peerzada

Année : 2022

Pays : Pakistan

Genre : Drame, Romance

Résumé :

A Lahore, Haider et son épouse, cohabitent avec la famille de son frère au grand complet. Dans cette maison où chacun vit sous le regard des autres, Haider est prié de trouver un emploi et de devenir père. Le jour où il déniche un petit boulot dans un cabaret, il tombe sous le charme de Biba, danseuse sensuelle et magnétique. Alors que des sentiments naissent, Haider se retrouve écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté.

Avis :

Saim Sadiq est un jeune cinéaste pakistanais, dont « Joyland » est le premier long-métrage. Un long-métrage qui a d’ailleurs fait couler énormément d’encre dans son pays, puisque le film ayant reçu beaucoup de plaintes face à sa moralité et aux sujets qu’il traite, s’est vu censuré au Pakistan. Au départ privé de sortie en salle, finalement, le réalisateur et ses producteurs auront réussi à le faire sortir, mais en version défigurée, avec des coupes un peu partout.

Sorti chez nous avec une jolie distribution, « Joyland » est sûrement l’un des plus beaux films de cette fin d’année 2022. Film courageux et engagé, on pourrait croire que « Joyland« , à la lecture de son synopsis, pourrait tourner autour de la transidentité (sujet déjà brûlant à lui tout seul), mais ce ne sera qu’un pan du film de Saim Sadiq, car « Joyland » brasse tout un tas de thèmes qui vont être tristement passionnants. Film bourré d’humanité, bourré de couleurs et de nuances et plein d’émotions, ce premier film de Saim Sadiq laisse entrevoir un réalisateur bourré de talent, et derrière ça, un réalisateur qui a des choses à dire, et ça, même si cela déplaît. Bref, « Joyland » est beau, intense, profond, et je le redis, très courageux.

«  »Joyland » est un film aux sujets multiples, qui vont tous être traités avec un infini respect. »

À Lahore, Haider, la trentaine, est marié et il a tout l’air d’être heureux. Haider et sa femme habitent dans la demeure familiale, avec son père, mais aussi son frère et ses quatre enfants. Rentrant dans l’âge, les membres de sa famille insistent pour que Haider fasse un enfant. C’est bien simple, il doit devenir père et subvenir aux besoins de sa famille. Par le biais d’un ami, Haider va trouver un travail dans un cabaret, et s’il fait croire à son père et son frère qu’il va diriger le cabaret en question, dans la réalité, il a été embauché en tant que danseur. Un danseur qui accompagnera le nouveau spectacle de Biba, une femme trans avec laquelle Haider va nouer une relation des plus ambiguës.

Si on devait rapprocher « Joyland » d’un objet, alors ce serait un kaléidoscope, et un kaléidoscope plein de surprises, car le premier film de Saim Sadiq est bien plus étoffé qu’il n’en avait déjà l’air lorsqu’on s’arrête sur son synopsis.

« Joyland » est un film aux sujets multiples, qui vont tous être traités avec un infini respect. Bien sûr, la première chose qu’on va voir au sein de « Joyland« , c’est son histoire entre les personnages de Haider et Biba. Avec ces deux personnages, le film abordera la brûlante question de la transidentité au Pakistan. Intolérance et fascination se mélangent avec d’un côté le personnage de Biba qui est mal vu en société, jugé en permanence, mais en même temps, elle fascine, au point d’arriver à monter des spectacles de cabaret qui fonctionnent, dont les spectateurs qui viennent voir ledit spectacle ne sont pas acquis à sa cause. Avec ce sujet-là, Saim Sadiq évoque une certaine hypocrisie dans la société pakistanaise, qui est conservatrice et religieuse.

« Saim Sadiq va en profiter pour aborder la place de la femme au sein de la société pakistanaise, mais aussi au sein du foyer. »

D’ailleurs, on voit le sort qui est réservé au film dans son propre pays. Avec ces deux personnages, le film ose s’aventurer dans une relation amoureuse, qui oscille entre découvertes, perdition, fascination, mal être et libération. Saim Sadiq filme avec beaucoup de pudeur et de beauté ces deux êtres qui se trouvent, et qui ne savent pas vraiment quoi faire l’un de l’autre.

Puis derrière cette histoire d’amour, Saim Sadiq s’aventure ailleurs, et il va se faire tout aussi passionnant. Ainsi, « Joyland » entre dans la demeure familiale pour y sonder tous les membres de la famille. Ici, on se trouve dans une famille de classe moyenne, croyante, avec une place bien définie pour chacun. L’homme subvient aux besoins de la famille, et la femme reste à la maison pour élever les enfants et s’occuper des tâches domestiques. Le personnage de Haider fait, entre guillemets, tache dans ce décor, puisqu’au sein de son couple, jusqu’à ce qu’il trouve un travail, c’est l’inverse qui se produit. Ici, c’est sa femme qui travaille, et elle aime son travail.

 Le scénario amenant tout un tas de « rebondissements » au sein de cette maison, Saim Sadiq va en profiter pour aborder la place de la femme au sein de la société pakistanaise, mais aussi au sein du foyer, et derrière ça, il va parler aussi de la place de l’homme, le regard du père, le choc des générations, les traditions qu’on transmet, l’évolution qu’on a envie, mais encore faut-il arriver à s’imposer, à imposer ses idées.

« Émotions, révoltes voire un sentiment d’injustice et d’impuissance, vont être au programme de cette chronique famille et amoureuse. »

Puis derrière ça encore, on sent énormément de frustration chez chacun des membres de cette famille, qui finalement ne se parle pas vraiment, chacun restant enfermé, ayant peur d’un jugement, et jugeant tout le monde. Ce que Saim Sadiq raconte ave ce film est passionnant de bout en bout, et surtout, le réalisateur nous touche avec ses personnages. Émotions, révoltes voire un sentiment d’injustice et d’impuissance, vont être au programme de cette chronique famille et amoureuse.

En plus d’avoir une richesse dans son écriture, on retrouvera cela dans la mise en scène de Saim Sadiq qui nous entraîne dans un film très riche, qui saura aussi bien être flamboyant et drôle dans ses scènes de spectacle et de coulisse, que romantique, voire presque sensuelle, lorsqu’il s’aventure dans la relation ambiguë entre Haider et Biba, ou encore très critique et triste dans le portrait de cette famille et les liens qui les unissent.

« Saim Sadiq a aussi réuni une bande d’acteurs et d’actrices on ne peut plus courageux. »

Dans ce tristement magnifique décor, Saim Sadiq a aussi réuni une bande d’acteurs et d’actrices on ne peut plus courageux, qui tiennent tous des personnages qui vont être loin d’être négligés. Si les rôles d’Ali Junejo (Haider) et Alina Khan (Biba) apparaissent au premier plan en début de film, et les deux acteurs vont être extraordinaires sur tout le film, petit à petit, à force de peinture, le film nous bouleversera notamment avec le personnage de Mumtaz, qui est superbement tenu par Rasti Farooq. Puis il ne faudrait pas oublier de mentionner aussi Salmaan Peerzada (le père) et Sarwat Gilani (la belle-sœur) car chacun amènera sa pierre à l’édifice et Saim Sadiq arrivera à raconter quelque chose d’intéressant avec ces personnages.

Magnifique surprise de cette fin d’année, « Joyland » est une pépite qui sait parfaitement quoi raconter et comment équilibrer le tout. Fabuleux dans son scénario et dans les sujets qui le traversent, sublime dans sa forme, qui offre un film qui sait très bien mettre en scène tous les tableaux et les portraits que cette histoire souhaite raconter. Et enfin, merveilleusement incarné par tous ces acteurs qu’on découvre avec un grand plaisir et surtout beaucoup d’émotions. Bref, ce premier film de Saim Sadiq se pose comme le dernier grand film de 2022.

Note : 18/20

Par Cinéted

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