avril 24, 2024

Peter Von Kant – Ozon Reprend Fassbinder

De : François Ozon

Avec Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Ben Gharbia, Hanna Schygulla

Année : 2022

Pays : France

Genre : Drame, Comédie

Résumé :

Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…

Avis : 

François Ozon est le réalisateur français qui doit être le plus constant qu’on puisse avoir. Un peu comme un Woody Allen, Ozon, c’est presque un film tous les ans et c’est autant de manières d’être étonné par les sentiers qu’emprunte le cinéaste, qui ne cesse de se « renouveler » de film en film. Lorsqu’on questionne François Ozon sur ses amours de cinéma, sur ses maîtres comme on pourrait dire plus communément, il ne se passe pas beaucoup de temps avant que le metteur en scène cite Rainer Werner Fassbinder, cinéaste allemand qui, dans les années 70, a livré un œuvre d’une richesse folle. Le cinéma d’Ozon et celui de Fassbinder s’était déjà conjugué il y a vingt-deux ans de cela. Alors que François Ozon était en « début » de carrière, pour son troisième film, il s’était lancé dans l’adaptation d’une pièce du réalisateur allemand, « Gouttes d’eau sur pierre brûlante« .

Aujourd’hui, les deux univers se retrouvent encore une fois, et cette fois-ci François Ozon a décidé d’adapter très librement « Les larmes amères de Petra von Kant« , pièce de théâtre de Fassbinder qu’il a adapté en 1972. Cela faisait quelque temps déjà que François Ozon avait l’envie de cette réécriture, étant persuadé que le réalisateur allemand, à travers le personnage de Petra, parlait de lui.

S’autoproduisant pour la première fois de sa vie, histoire de ne pas avoir de compte à rendre, ou de se battre en justifiant ses choix, François Ozon s’aventure dans l’un de ses projets les plus audacieux, et il en résulte un film aussi théâtral qu’il est vivant et exacerbé. « Peter von Kant » est un magnifique portrait d’homme, porté par un Denis Ménochet puissant qui démontre encore une fois qu’il est un comédien ô combien formidable.

Peter von Kant est un réalisateur de génie, qui vit seul avec son assistant Karl, qu’il se plaît à martyriser. Un matin, Peter reçoit la visite de sa meilleure amie Sidonie. Sidonie est actrice et c’est elle qui lui a laissé sa chance, faisant en quelque sorte de lui le réalisateur qu’il est. Sidonie, ce matin, n’est pas venue seule. Elle est venue avec Amir, un jeune homme d’une vingtaine d’années, aussi beau qu’il est magnétique ; et d’emblée ; Peter tombe sous son charme. Le réalisateur a l’envie de le filmer et d’en faire une star. Le réalisateur se prend d’un amour fou pour Amir et cet amour va finir par le dévorer…

Moins d’an après le sympathique, mais presque anecdotique, « Tout s’est bien passé« , François Ozon est déjà de retour et il revient avec l’un de ses films les plus audacieux, mais aussi en quelque sorte le plus intime. Comme je le disais, le projet lui tenait tant à cœur qu’il est le premier film que le cinéaste produit afin de ne pas avoir de compte à rendre, c’est dire.

Pour ce nouveau film, son vingt et unième, François Ozon se lance dans la très libre adaptation des « … larmes amères de Petra von Kant« , en transformant la pièce et le film de Fassbinder, passant du féminin au masculin. Ainsi, Petra devient Peter, Karin devient Amir, Marlène, Karl… et à la place de la mode, le réalisateur fait de son Peter un réalisateur. Le parti était très osé et « Peter von Kant » résonne comme un coup d’éclat, tant François Ozon nous entraîne dans un portrait incroyable, riche, intense, cruel, aussi pathétique en un sens qu’il arrive à s’imposer comme beau et touchant.

Tourné en huis clos, ou quasi huis clos, (on ne quitte que très rarement l’appartement de Peter von Kant) François Ozon nous entraîne dans un film certes bavard, mais brillant dans ses dialogues, et au-delà de ça, le metteur en scène français nous tient avec une mise à nu totale de son personnage. Une mise à nu qui déborde d’émotions tant son personnage aura bien du mal à contenir justement ses émotions, se vautrant avec pathétisme, assurance, crainte et cruauté dans ces dernières, se laissant emporter, passant d’une émotion à une autre, d’une réplique à l’autre. François Ozon assure un côté théâtral à son film, qui mélange très bien le drame et la comédie. On se surprend même à rire, alors même que rien n’est drôle, mais ce portrait est si exacerbé, si poussé (sans jamais tomber dans la caricature ou l’excès, ce qui est un tour de force), qu’il finit par nous faire sourire dans sa démesure.

À travers ce portrait, François Ozon construit un personnage orgueilleux et hypersensible en même temps. Une sorte de tyran, dévoré par lui-même, un homme au bord de la folie, qui ne sait se gérer lui-même. Alors que le film est cruel (Fassbinder était par ailleurs connu pour être quelqu’un d’excessif et cruel), Ozon arrive à livrer un portrait qui nous touche, ce qui est très étonnant. Sans excuser son personnage, il y a quelque chose de tellement pathétique, d’une telle solitude, allié à énormément de crainte qui s’échappe de lui, qu’on finit par avoir des émotions pour ce personnage, qui résonne pourtant comme ô combien détestable.

François Ozon est un cinéaste qui est capable de surprendre, passant d’un film à l’autre sans que ceux-ci ne se ressemblent, et comme je le disais plus haut, après le classicisme de « Tout s’est bien passé« , Ozon livre un film qui est son parfait opposé. « Peter von Kant » est un huis clos (genre que le réalisateur adore, « Gouttes d’eau sur pierre brûlante« , « 8 Femmes » et même en partie « Swimming Pool« ) particulièrement stylisé. Un huis clos qui déborde de cinéma, mais aussi de théâtre, François Ozon n’ayant pas peur de théâtraliser le tout, pour mieux travailler le côté émotionnel de son film.

Bercé dans une lumière divine, travaillé dans ses décors et ses costumes, « Peter von Kant » nous réserve de sacrées fulgurances dans sa mise en scène, qui vogue de séquences magnifiques en séquences bouleversantes. Avec ce film, François Ozon arrive à faire résonner l’intime avec la démesure, et la sensibilité avec la folie, et s’il faut bien dire que le film est très particulier, et bien moins grand public qu’un « Grace à Dieu » ou un « Été 85« , ce « Peter von Kant« , malgré un côté « difficile », quand on se laisse attraper, il sait se faire passionnant de bout en bout de film.

Comme toujours chez François Ozon, « Peter von Kant » est tenu par un casting bluffant, qui mélange acteurs confirmés et découvertes, au travers de jeunes acteurs que le réalisateur a trouvé avec soin. Ici, il est difficile de ne pas parler de Denis Ménochet qui est tout simplement royal dans ce rôle, taillé sur mesure pour lui. Ménochet, qui est un immense acteur, se paye un été 2022 puissant avec ce film et le prochain Sorogoyen. Autour de lui, il faut avant tout parler de Stephan Crepon, qui dans un rôle muet, en assistant domestique et surtout souffre-douleur de Peter von Kant, crève l’écran dès qu’il apparaît. C’est bien simple, il voit tout, il entend tout, il sait tout, il subit tout et de notre côté, après Ménochet, on ne retient que lui, et je prends le pari qu’on n’a pas fini d’entendre parler de ce jeune acteur.

On notera aussi les belles compositions de Khalil Ben Gharbia en jeune homme de toutes les convoitises du réalisateur, d’Isabelle Adjani en amie blessée et fidèle, et pour l’hommage, la grande Hanna Schygulla, qui après un petit rôle dans « Tout s’est bien passé« , retrouve Ozon, pour un rôle petit, mais sublime.

« Peter von Kant » est une donc une très belle réussite, François Ozon livrant un portrait d’homme à fleur de peau, excessif, démesuré, cruel, intense, submergé par ses émotions qu’il ne contrôle absolument pas. Touchant, plein de cinéma et de théâtre, inventif et audacieux, même si, je le redis, ce film est une expérience particulière, (tout comme l’était déjà à l’époque « Gouttes d’eau sur pierre brûlante« ), ce nouveau film de François Ozon est une merveille, doublée d’un très bel hommage à l’un de ses maîtres de cinéma, Rainer Werner Fassbinder.

Note : 17/20

Par Cinéted

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