avril 26, 2024
BD

Shelton & Felter

Auteur : Jacques Lamontagne

Editeur : Kennes

Genre : Policier

Résumé :

Boston, 1924. S’il ne s’était un jour méchamment déboîté l’épaule pendant un combat de boxe, Isaac Shelton exercerait probablement aujourd’hui encore son métier de débardeur sur les quais. Mais contraint à se reconvertir, c’est en qualité de journaliste à la pige qu’il fait la connaissance de Felter, petit libraire passionné de littérature policière.

Avis :

Dans le domaine de la bande dessinée, comme de tout autre support culturel, proposer un duo d’enquêteurs est particulièrement compliqué. La base conceptuelle a été si exploitée qu’elle a donné lieu à des déclinaisons parfois réalistes, parfois improbables. En règle générale, il est nécessaire de créer des personnages aux caractères complémentaires, sinon incompatibles. Il convient alors de jouer sur l’opposition des points de vue afin d’apporter une tension et de l’intérêt au récit. En gestation depuis plusieurs années, Shelton & Felter s’avance tout d’abord comme un hommage référentiel aux intrigues policières historiques.

Les enquêtes prennent place dans le Boston des années 1920, en pleine période de la prohibition. L’auteur et illustrateur s’approprie parfaitement le cadre et le contexte. De ruelles sombres en endroits malfamés, l’atmosphère dépeinte contribue à l’immersion du lecteur. Sans se cantonner à un réalisme d’une grande méticulosité, la reconstitution offre une vision à la fois crédible et personnelle de l’époque. Cela s’explique par un tracé précis tout en conservant un style graphique léger, notamment dans la manière de reproduire les protagonistes, les expressions ou les perspectives de l’environnement. L’ensemble demeure parfaitement équilibré et ne sombre guère dans des traits caricaturaux.

Cette homogénéité visuelle se retrouve également dans le traitement général. On distingue en effet de nombreuses touches d’humour dans les dialogues ou les situations. Certes, cet aspect occupe une importance secondaire afin de dédramatiser certains passages ou d’atténuer la tension propre à la série de crimes. À la première approche, ce contraste entre l’enquête et les considérations des deux principaux intéressés détonnent. On songe, entre autres, aux élans hypocondriaques de Felter ou aux frasques un rien maladroites de Shelton, ancien boxeur reconverti en journaliste. Au-delà de leur rencontre fortuite, on retrouve cette complémentarité et ses différences évoquées en amont.

Cela tient autant au physique imposant et au caractère séducteur de l’un qu’à l’esprit rigoureux et réservé de l’autre. À l’instar de Sherlock Holmes, sans toutefois en atteindre le niveau d’excellence, on notera que Felter se démarque aussi par son sens de la déduction et de l’observation. Cette particularité permet de faire progresser l’intrigue, de développer l’exercice intellectuel indissociable du genre sans nécessairement faire montre d’une grande complexité. Les scènes de crime sont bien orchestrées, tandis que les indices sont divulgués avec parcimonie. En d’autres termes, les histoires sont particulièrement bien construites et possèdent tous les tenants pour amener à la résolution des crimes.

On apprécie aussi cette manière d’intégrer quelques allusions surnaturelles qui apportent un semblant d’irrationalité au gré des investigations. En cela, le premier tome, La Mort noire, joue sur les hallucinations, ainsi que le caractère insaisissable de l’assassin au regard de la configuration des lieux ou de leur exiguïté. Avant d’amener des pistes de réflexion viables, il y a toujours cette perplexité lorsqu’on appréhende la découverte d’un cadavre. Il n’y a pas forcément d’impossibilité matérielle ou physique, mais un travail de mise en scène qui sous-tend une préméditation évidente, sinon une volonté de manipuler les enquêteurs et le lectorat.

Au final, Shelton & Felter est une bande dessinée policière des plus recommandable. Le mélange entre humour et contexte historique réaliste fonctionne, car l’ensemble demeure équilibré et rythmé. Ce choix narratif et artistique permet également de toucher un large public ; des amateurs d’investigations criminelles rigoureuses aux jeunes lecteurs ou novices dans le domaine. Les protagonistes retiennent l’attention et possèdent un capital sympathie évident, tandis que les affaires sont menées avec soin. À l’image de la grande inondation de mélasse de Boston évoquée dans La Mort noire, l’aspect insolite précède à des considérations plus pragmatiques qu’escomptées. Il en ressort des enquêtes intrigantes, soutenues par une atmosphère et des personnages de qualité.

Note : 15/20

Par Dante

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