avril 20, 2024

Heartless

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De : Philip Ridley

Avec Jim Sturgess, Clémence Poésy, Noël Clarke

Année: 2009

Pays : Angleterre

Genre : Horreur

Résumé :

Un jeune homme, dont le visage est défiguré depuis la naissance, signe un pacte avec le diable pour accéder à la beauté…

Avis :

Dans le sillon du film de genre britannique, il n’y a pas foule. Seulement, quand ils font un film de genre, ils vont souvent au bout du truc. Que ce soit dans la comédie gore avec Shaun of the Dead, ou encore dans la comédie slasher avec Severance, les britanniques ont un style bien à eux et imposent une vision souvent drôle, mais souvent sombre du fantastique. Heartless s’inscrit dans une démarche loin de tout humour et propose un drame teinté d’horreur dans un Londres sulfureux et très sombre. A la vue du pitch et de la jaquette, j’ai vraiment eu peur de m’ennuyer devant un film sur l’éternel beauté, la recherche de la jeunesse éternelle ou encore un pacte minable avec le diable. Seulement, j’ai été bien pris au dépourvu et le film demeure non seulement effrayant, pas ennuyeux, mais en plus très intelligent montrant les dérives de la société britannique. Mais quelles sont ses dérives ? Comment Philip Ridley arrive-t-il à donner cette sensation de malaise ? Prenons le ferry et voyons ce qu’il se passe outre-manche.

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Putain, j’aurai du rester couché moi !

Le scénario de ce film est à mille lieux du nanar de luxe Sortilège. En effet, plutôt que de jouer sur la différence que suscite la beauté et la laideur dans notre société purement matérielle, Heartless va poser une autre question importante qui est la vision de notre société, de notre monde au travers les yeux de quelqu’un de laid, de traumatisé et de profondément chamboulé au niveau émotionnel. Plutôt que de travailler sur un aspect purement esthétique, Ridley va préférer montrer une vision dramatique et dure de la réalité ainsi qu’une réalité sans concession ni respect. On va donc suivre Jamie Morgan, un jeune homme qui a une tâche de naissance en forme de cœur sur l’œil, mais aussi sur tout le bras gauche. Moqué, ne trouvant pas l’amour, ayant déjà fait des tentatives de suicide, ayant perdu son père, il se donne à corps perdu dans la photographie argentique. Jusqu’au jour où il rencontre un homme du nom de Papa B, sorte de diable, avec lequel il passe un pacte. S’il tague tous les jours un mur, il retrouvera sa beauté. Seulement, le deal est tout autre, car Papa B lui a menti, il doit commettre un meurtre et placer le cœur de sa victime devant le parvis d’une église. Seulement, sous ses aspects de film d’horreur simpliste, l’histoire est tout autre et réellement ambiguë. Il faudra attendre la fin du film pour avoir des éléments de réponse et surtout une réalité qui nous gicle à la figure.

Si le scénario se révèle assez puissant et surtout très difficile, le réalisateur n’en oublie pas pour autant l’atmosphère et l’ambiance de son film. On le sait tous, l’Angleterre est le pays de la pluie et des hooligans, mais il s’agit aussi d’un pays un peu trop embourgeoisé par sa royauté. Loin de tout ça, comme on a pu le voir avec Eden Lake par exemple, il existe des microcosmes très pauvres et franchement désœuvrés. C’est avec un regard triste et profondément ancré dans le réel que Ridley va filmer ce milieu social appauvri, en le transposant aux travers des yeux de notre héros. Les éléments s’imbriquent les uns dans les autres, et on se prend à penser que réalité et fantastique/horreur se mêlent. Profitant de ce sentiment de perdition et de profonde mélancolie, on constate impuissant que l’enfer c’est les autres, et que finalement, l’enfer ne doit pas être loin de ressembler à notre monde. Le réalisateur ne s’y trompe pas et propose en plus des décors et des jeux de lumières adéquates. Ainsi les dépotoirs et autres murs tagués côtoient les appartements cradingues et suintants de merde. Les lumières orangées renforcent un sentiment étouffant, en contradiction directe avec les lumières bleues lorsque la réalité s’offre à nos yeux sur la révélation finale.

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Tu vois, avec ces deux doigts, je peux te retirer les amygdales par le cul !

Outre le scénario au thème fort ainsi que son ambiance profondément malsaine, Heartless peut se targuer d’un casting étonnant, avec des acteurs flamboyants et vraiment investis dans leurs rôles. Bien entendu, en tête de liste, on a la star montante Jim Sturgess, dans le rôle phare. Il interprète à merveille le type dépressif, anxieux et qui a honte de son physique. L’euphorie de sa renaissance est très bien jouée et il attire vraiment la sympathie du spectateur. De l’autre côté, on a Papa B, le diable en quelque sorte, joué par Joseph Mawle, et il est vraiment bluffant. Sans être impressionnant physiquement, il arrive à imposer son rôle de grand méchant et il le fait avec une grande classe. Il y a bien entendu la frenchie de service, en la personne de Clémence Poésy, Fleur dans Harry Potter, qui joue un rôle dichotomique, laissant le spectateur sur ses gardes. Sans être géniale, elle arrive tout de même à donner le meilleur d’elle-même et demeure assez convaincante. Noël Clarke, jouant le voisin de Jamie est très convaincant en personnage là aussi bizarre, cachant peut être une double vie et finissant relativement mal. On pourrait aussi parler rapidement des acteurs jouant le père et la mère de Jamie ou encore de la petite hindoue qui veut être la fille du héros, mais tous ces gens sont vraiment bons dans leur rôle. C’est d’ailleurs assez hallucinant, car tous ces acteurs contribuent à instaurer une ambiance unique, malsaine et vraiment attristante.

Le film ne s’attarde pas trop sur les effets gores. Et pourtant, il y a quelques passages très durs, montrant une réalité ignoble et une perdition de santé mentale irréversible. Possédant tous les atouts d’un film à ambiance et un scénario laissant en éveil permanent le spectateur, s’interrogeant sans cesse sur ce qu’il se passe, Philip Ridley a inséré quelques moments trash pour ponctuer le film d’effet violent réalistes. Ainsi, le passage où le héros arrache le cœur de sa victime est volontairement lent, dur et difficile. On pourra se poser les questions sur la facilité de trouver le cœur, mais toute la scène est lente, la mise en place est difficile, on ressent l’hésitation du héros, et tout cela contribue à la difficulté et au ressenti du spectateur. L’autre scène forte et l’immolation de la mère par un groupe de démons, qui s’ancre là aussi sur la réalité et sur les violences très dures de l’Angleterre. Scène atroce pour le héros mais aussi pour le spectateur qui se prend d’affection pour cette mère aimante, et qui est le dernier rempart contre la folie. Le passage de la renaissance du héros est très forte aussi, formant une chrysalide de chair calcinée, petit moment poétique et macabre qui laisse un petit gout de brûlé dans la bouche. J’en oublie presque le passage de la tête arrachée et de la délectation du diable, mais je laisse la surprise pour ceux qui veulent tenter de la voir. Les effets spéciaux sont très bons, et les démons ont une bonne gueule.

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Ah bah tu dois pas beaucoup tirer de nanas avec c’te gueule !

Au final, Heartless est une réelle réussite. Aussi beau que triste, il s’insère dans la veine de films d’horreur sociaux au même titre que Eden Lake, s’insurgeant contre le monde matériel, mais aussi contre les violences exacerbées en Angleterre et le délaissement des jeunes des banlieues. Ne s’attardant pas sur le côté gore ou encore sur le côté esthétique du physique, Philip Ridley propose un tollé contre la société actuelle et montre à quel point la douleur physique peut devenir source de folie. Un film intelligent, au final nihiliste et à la forme parfaite. Un exemple du genre qui montre que l’Angleterre est le pays à suivre de près en matière de film d’horreur intelligent.

Note : 17/20

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AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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