avril 16, 2024

Le Cœur et la Chair – Ambrose Parry

Auteur : Ambrose Parry

Editeur : Seuil

Genre : Polar, Historique

Résumé :

Le jeune Will Raven, issu d’un milieu modeste, est apprenti chez le Pr Simpson, dont la notoriété, le savoir-faire obstétrique et les recherches sur les anesthésiques en font une personnalité majeure de l’Ecosse victorienne.
Il règne une activité constante dans la célèbre demeure du 52 Queen Street à Edimbourg. Will y fait, entre autres, la connaissance de Sarah, femme de chambre et assistante de Simpson, dont le caractère bien trempé le déroute et le séduit tout à la fois. Mais à peine a-t-il le temps de prendre ses nouvelles fonctions que plusieurs femmes sont retrouvées sauvagement assassinées aux quatre coins de la ville. Parmi elles, une jeune prostituée, Evie, amie intime de l’apprenti chirurgien…
Face à l’indifférence des services de police, Will décide de mener l’enquête avec l’aide précieuse de Sarah. Une enquête qui les conduira tous deux au cœur sombre des enjeux scientifiques de l’époque.

Avis :

Si le polar historique permet de s’immerger dans un passé plus ou moins reculé, il possède généralement une structure narrative moderne. Ce qui peut paraître paradoxal à certains égards. De l’enchaînement des chapitres à la gestion du suspense, les fondamentaux du genre sont retranscrits pour toucher un large public. D’un ouvrage à l’autre, le procédé est plus ou moins évident. Le fait de rendre accessible ce type d’exercice littéraire n’enlève rien de sa rigueur, encore moins de son réalisme. Ce qui explique sans doute un tel engouement pour le genre afin de concilier deux styles sensiblement dissemblables, du moins aux premiers abords. C’est aussi le cas lorsque deux auteurs entremêlent leur plume sur un projet commun, comme Le Cœur et la chair.

Le présent ouvrage inaugure la première enquête de Will Raven et de Sarah Fisher au sein d’un XIXe siècle miné par la criminalité, le sexisme et la misère. La découverte de ce duo improbable n’est pas pour déplaire, même s’il use de quelques effets éculés. On songe notamment à cette opposition de caractères qui finit tôt ou tard par s’étioler pour afficher une complicité de circonstances… et plus si affinités. Cela étant, la présentation est intrigante avec une mise en place nuancée quant à leurs fonctions respectives, leur background et leurs motivations. L’ambiance dépeinte permet aussi d’instaurer un contraste évident entre les différentes classes sociales.

Tant dans la narration que la qualité du style, Le Cœur et la chair possède donc le potentiel d’un bon polar historique. Malheureusement, l’intérêt qu’on lui porte décline au fil d’une redondance structurelle particulièrement pénible. S’il demeure attrayant de mettre en scène les protagonistes dans leurs fonctions, les auteurs en abusent sans autre volonté qu’un remplissage maladroit. Certes, l’on ressent une érudition évidente sur les techniques de médecine de l’époque, ainsi que les prémices de l’obstétrique et de l’anesthésie. Mais ces éléments n’apportent rien à un fil directeur qui est vite relégué au plan secondaire.

Entre deux consultations ou accouchements, on a droit à des intermèdes qui exacerbent les travers des uns et les errances des autres. Entre curiosité déplacée, dettes de jeux et misogynie, les moments pour dîner ou déjeuner se multiplient sur fond de ragots et de dialogues aux réparties acerbes. Dès lors, l’enquête peine à démarrer et s’enlise dans de trop nombreuses facilités. On songe à des éléments essentiels qui surviennent de manière inopinée ou encore à ces réactions trop dirigistes pour orienter les personnages sur une piste. L’effet est d’autant plus flagrant que les intéressés dégagent une passivité explicite tout au long du récit.

Si l’ensemble demeure bien écrit, on regrette aussi une mise en contexte basique. Hormis les costumes et l’aspect médical de l’intrigue, l’atmosphère se contente de dépeindre des ruelles crasseuses et des établissements miséreux sans distinction aucune. On pourrait autant transposer l’histoire dans le Londres victorien qu’à Paris pendant la Première révolution industrielle, cela ne ferait aucune différence. La ville d’Édimbourg n’est jamais exploitée à bon escient et est dépourvue de ce qui fait son identité, même au cœur du XIXe siècle. L’immersion est donc mise à mal devant des descriptions faciles et standardisées. Il en ressort une impression de négligence alors que d’autres éléments font l’objet de circonvolutions dispensables.

Au final, Le Cœur et la chair s’avance comme un polar historique décevant où l’enquête en devenir s’oublie bien vite. Malgré les excellents retours dont le roman bénéficie, la qualité de la narration périclite rapidement pour mieux s’empêtrer dans une intrigue routinière. Cette dernière se ponctue de séquences inutiles ou trop longues au vu de leur impact sur les évènements qui s’ensuivent. Les protagonistes disposent d’une caractérisation sommaire qui use d’un processus d’exagération pour opposer leur personnalité. Au même titre que le récit en lui-même, l’artifice demeure facile et exploité sans enthousiasme. On déplore aussi une reconstitution historique sans relief où l’ambiance se contente, là encore, d’éléments minimalistes. Long, répétitif et suffisant, tant dans sa démarche que dans ses ambitions.

Note : 08/20

Par Dante

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