avril 26, 2024

Cinquante Nuances de Grey

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Titre Original : Fifty Shades of Grey

De: Sam Taylor-Johnson

Avec Jamie Dornan, Dakota Johnson, Jennifer Ehle, Eloise Mumford

Année : 2015

Pays : Etats-Unis

Genre : Erotique

Résumé :

L’histoire d’une romance passionnelle, et sexuelle, entre un jeune homme riche amateur de femmes, et une étudiante vierge de 22 ans.

Avis :

Le monde du cinéma se divise en 3 catégories.

Tout d’abord il y a les bons films. Ceux là on les voit volontiers. Ils peuvent nous apporter du baume au cœur, de l’épanouissement zygomatique, ou un angle d’approche intéressant sur un sujet, bref on en ressort satisfait, et il est aisé d’en faire une critique louant la maitrise du réalisateur, l’acuité du scénario ou le talent des acteurs.

Ensuite, il y a les mauvais films. Aller voir un mauvais film, ce n’est pas grave, c’est même très sain. On cherche souvent à fuir les métrages qui sentent la daube à des kilomètres, pourtant ils permettent de créer un mètre étalon de la qualité cinématographique. Comment saurait-on distinguer la réussite du ratage si on n’avait pas d’exemple en tête pour appuyer son opinion ? Un mauvais film de temps en temps, ça ne vous tuera pas.

(moi qui vous écrit, je me suis fait les cinq chapitres de la saga Twilight et je n’en suis pas mort) (certes j’en garde quelques séquelles mais elles ne remontent à la surface que qands jy repnese unh pe tropp lontens)

Enfin il y a les films dangereux. Ceux qui, en faisant passer des vessies pour des lanternes à un public plus conquis par la hype et le marketing que par l’œuvre en elle même, inocule insidieusement (et parfois sans s’en rendre compte, c’est dire la bêtise) des idées nauséabondes, qui risquent de s’ancrer dans l’esprit des spectateurs perméables, et d’y créer des certitudes biaisées fragilisant leurs repères moraux et éthiques.

50 Nuances de Grey est de ceux là.

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De prime abord pourtant, le film n’est pas dénué d’intérêt. Il est mauvais, certes, le générique grossièrement surligné, à base d’inserts explicites sur le mordillage de lèvres de l’héroïne ou le nom de Christian Grey, le tout sur les accords de « I put a spell on you », comme si l’œuvre capitalisait uniquement sur l’aura du bouquin à grand renfort de clins d’œil aux fans, est là pour le prouver, mauvais donc mais moins qu’on aurait pu le craindre.

Nombreux sont les défauts pourtant.

Si, pour le néophyte qui ne connaît de l’histoire que le pitch qui a fait le tour du monde, le film a le mérite d’entrer directement dans le vif du sujet, ce procédé empêche également toute identification par le spectateur. Dès l’ouverture, la jeune Anastasia fait la rencontre de Christian Grey le magnat de la finance, quand elle remplace au pied levé une amie étudiante en journalisme qui s’est faite porter pâle. Si l’on passe sur l’improbabilité de la situation sacrifiée sur l’autel de la suspension d’incrédulité, en revanche il est compliqué de s’attacher à des personnages qu’on n’a même pas pris la peine de présenter, et qui se retrouvent comme des pantins manipulés par les fils des dialogues. Et même avec toute la meilleure volonté du monde, quand on ne connaît ni le caractère, ni les motivations d’un personnage, n’importe quel dialogue dans lequel il prend place paraitra au mieux fade, au pire teinté de ridicule.

C’est ce qui arrive ici, et si on ajoute à ça les minauderies exagérées, les regards de séduction appuyés et les attitudes de dandy artificielles, c’est peu dire que l’ouverture de 50 Nuances de Grey est peu probante.

Mais, le film étant selon les spécialistes fidèle à son modèle, c’est le livre qui est à blâmer. L’histoire, extrêmement mal écrite, cherche constamment à rejoindre le carcan agréable des comédies romantiques lambda, quand bien même son sujet ne s’y prêterait, dans l’absolu, définitivement pas. On a droit au chevalier servant, aux surprises, aux doutes et aux « je t’aime moi non plus », à la rencontre des parents respectifs sur fond de musique lounge, bref « the all package ». Et quand on pense que le film tutoie les deux heures, et en met presque une entière à atteindre son rythme de croisière et l’élément déclencheur des péripéties, ça peut finir par être lourd…

Mais même en se basant sur les éléments purement cinématographiques, difficile d’être transigeant, tant cette adaptation semble dénuée de sensualité et de fureur. On aurait espéré qu’une réalisatrice puisse apporter quelque chose de délicat et furieux à la fois, las. 50 Nuances de Grey est au final l’histoire d’amour torride la plus terne et glaciale de l’histoire du cinéma, et ressemble plus à un clip glamour artificiel faussement provocateur qu’au récit érotique et subversif promis.

Difficile aussi de se sentir investi du désir brûlant des protagonistes, quand Dakota Johnson, au demeurant absolument ravissante des pieds à la tête, en fait des tonnes en surjouant chaque émotion à grands coups de mimiques et de moues boudeuses, sans parler de Jamie Dornan, littéralement dénué de charisme et du magnétisme animal que le rôle nécessitait. Un beau gosse fade et interchangeable, qui après la partition neurasthénique de Robert Pattinson en vampire qui scintille fait se poser des questions sur les volontés des studios et les goûts du public.

(Ce qui n’est au final pas si étonnant que ça quand on sait que la trilogie 50 Shades a d’abord été une fanfiction basée sur l’univers de Twilight)

Néanmoins, comme je le disais plus haut, ç’aurait pu être pire. Le film fonctionne par intermittence, ou plutôt par sursauts de (relative) qualité. Cela ne dure jamais longtemps, mais on décèle parfois un intérêt certain dans le script ou la réalisation, au détour de certains passages, quitte à dupliquer des scènes cultes en frôlant parfois le ridicule (celle du glaçon de 9 semaines et demi notamment, réutilisée plan par plan).

Ainsi leurs parties de jambes en l’air dans la désormais célèbre « salle de jeux », tentent de créer une ambiance et un rythme particulier en s’attardant sur les chairs et les ustensiles en gros plans lancinants. Ce qui fonctionnerait pleinement si la réalisatrice Sam Taylor-Johnson (pourtant responsable d’un très bon Nowhere Boy) n’avait pas la fâcheuse habitude de terminer la scène juste quand la sauce commençait à prendre (non ce n’est pas sale).

Au final, le film ne marche et ne suscite l’intérêt que lorsqu’il « va trop loin », lorsqu’il assume pleinement le côté légèrement ridicule de ses situations et s’engouffre dans l’ironie légère. Comme au détour de cette scène ouvertement humoristique, et réussie, dans laquelle Anastasia et Christian discutent de leur « contrat de soumission » comme lors d’un réel rendez-vous d’affaire, pointant du doigt les réticences et les éclaircissements alinéa par alinéa, le tout dans une ambiance intime et rougeoyante qui fleure presque le cinéma de genre italien. Là, l’espace de quelques minutes, on ne rit plus du film mais avec lui, et on s’intéresse à cette relation naissante plutôt décalée et hors normes.

Hélas ce genre de scènes ne dure jamais très longtemps, et le film retombe rapidement dans la bluette insipide sur la forme, tentant sans cesse de justifier son propos nauséabond.

Car le problème ce n’est pas l’insignifiance de l’érotisme, la mollesse des péripéties ou le fait que ce nouveau phénomène soit peu ou prou un mauvais film.

Le problème, c’est le fond.

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Sous ses dehors de romance glamour et épicée prompte à réveiller la libido des trentenaires, qui y trouve un prétexte parfait derrière lequel se cacher pour assumer d’avoir une sexualité, 50 Nuances de Grey (pourtant tiré d’un livre écrit par une femme) est un film profondément misogyne. Il semble tout droit sorti de l’esprit d’une femme soumise dévouée à son mari, et qui ne conçoit pas qu’il puisse en être autrement dans les rapports hommes/femmes.

Tout est fait pour que la spectatrice s’identifie à Anastasia, vierge émoustillée stéréotypée, qui devient victime consentante par amour pour un bourreau dont le comportement sera tout excusé, puisqu’il découle directement de ce que des femmes lui ont fait subir. Mère junkie qui se suicida quand il était enfant, mère adoptive invasive, cougar qui abusa de lui et en fit son esclave sexuelle de ses 15 à 21 ans, la liste est longue pour donner des circonstances atténuantes au personnage de Christian, et considérer que tout sévice subi avec consentement est un acte d’amour.

Pour E.L James, la salope, c’est l’autre, pas toi, fidèle lectrice qui s’épanouit à mesure qu’Anastasia se laisse faire, mais celle qui cherche à dominer l’homme, qui le maltraite, bref, celle qui ne se soumet pas. Dévergonde toi mais reste dans le giron de ton homme, accepte ce qu’il te demande, c’est peut-être étrange, mais il t’aime, c’est lui le dominant et toi la soumise, c’est même écrit dans le contrat.

Ca mes enfants, ce n’est pas du BDSM, cela s’appelle de l’abus sexuel et de la violence domestique. Voilà quel est le propos de 50 Nuances de Grey, caché sous une imposante couche de vernis porno-chic glamour et consensuel.

E.L James croit parler d’un sujet qu’elle ne maitrise pas, et derrière lequel elle se réfugie pour se donner bonne conscience, comme si le fait d’être femme et de parler de sexualité faisait automatiquement d’elle une activiste de l’émancipation féminine.

Que les choses soient claires, le BDSM est avant tout un jeu sexuel très codifié, qui peut devenir un mode de vie dont les pratiques extrêmes (bien plus extrêmes souvent que celles de ce film) forment un contrepoint idéal aux relations saines et bienveillantes de ses protagonistes. Les soumis ne subissent pas, ils prennent part au jeu et participent de bonne grâce, les dominants ne contrôlent pas, ils sont à l’écoute et maitrise la sécurité du jeu. Les séances et ébats se font toujours d’un commun accord, avec un « safeword », mais aussi en passant par une période de réconfort après le jeu, pendant lequel les deux participants reviennent dans un rythme de vie normal, doucement, à deux, petit à petit. Le BDSM est une pratique extrême qui crée une parenthèse dans la vie d’un couple, et on en sort pas sèchement, se retournant sur son côté du lit pour s’endormir en ronflant après avoir claqué la bise à sa partenaire. Le BDSM n’est pas un acte imposé d’un adepte à son partenaire, mais un jeu et un consentement mutuel.

Il n’y a rien de tout cela dans 50 Nuances de Grey. Les préparations se font de manière brutale, Anastasia ne sait jamais ce qu’il va se passer, et les séances, quand leur résolution ne passe tout simplement pas à la trappe par la magie du montage, se terminent de manière abrupte, laissant Christian vaquer à ses occupations (et surtout pas dormir dans le même lit que sa compagne, il « ne fait pas ça »), comme si le plaisir de l’homme dominant menait forcément au plaisir de la femme dominée.

Ce sont des éléments qu’on ne retrouve pas dans le BDSM mais, comme je le disais plus haut, dans la violence conjugale. Pire encore, les situations sont décrites comme romantiques, érotiques, et quelque part normales. Anastasia voit son désir de tendresse rejeté, mais revient toujours dans les bras de son homme. On la voit dire non à l’excitation de Christian, celui-ci insister, la forcer, jusqu’à ce qu’elle se laisse faire, toute à son plaisir. Sa défloraison (qui a lieu après une des répliques les plus crétines du 7ème Art, soit « Je ne fais pas l’amour. Je baise ») se fait les mains attachées, les yeux bandés, avec force et sans préliminaires, ce qui n’empêchera pas le plaisir extatique de l’héroïne.

Car c’est bien connu, une fille qui n’y connaît rien au sexe n’a pas besoin de douceur, d’application, de tendresse ou même d’être d’accord pour que l’Homme lui donne du plaisir…

Tout le film est au diapason de ce point de vue là, qui tente de faire passer un amant abusif et dominateur (ce qui n’est pas la même chose que dominant) pour la plus torride et la plus subversive des histoires d’amour. Les agissements de Christian sont minimisés par le plaisir de sa compagne, et justifiés par les méchantes femelles de son passé. Anastasia devient un objet psychologiquement maltraité et manipulé, mais comme elle s’amuse de la situation et semble y prendre goût, les spectatrices n’y verront que du feu, s’acoquineront avec le « rough sex », et n’oseront pas lever la voix quand elles s’apercevront que la domination/soumission non contrôlée n’a rien d’excitant, parce que 50 Nuances de Grey les aura persuadé que c’est glamour.

Et le pire dans tout ça, c’est qu’il est trop tard pour se risquer à s’élever contre. Avec son petit manuel de « la sexualité de la femme soumise pour les nuls », 50 Nuances de Grey a créé un engouement aussi incompréhensible que désormais inaltérable, le livre est un best-seller, le film fait une première semaine fracassante, et les ersatz encore moins fins et encore plus mal écrits pullulent sur les étals des libraires.

Rien ne pourra plus arrêter la hype.

À la sortie de Gone Girl, celui-ci avait provoqué un tollé auprès de féministes réactionnaires, qui y voyait un pamphlet misogyne et un justificateur du viol pour la simple raison que l’héroïne était une manipulatrice maligne qui faisait croire à son propre meurtre puis à son agression sexuelle.

Je suis prêt à parier ma chemise qu’aucune féministe ne viendra s’élever contre ce film là. Parce qu’il est un best-seller adulé par la gent féminine, parce que l’auteur est une femme, pour de nombreuses raisons légitimes ou non, on préfèrera continuer à taper ce qui ne brosse pas le public dans le sens du poil, au détriment d’un propos nauséabond beaucoup plus insidieux planqué derrière des atours érotiques.

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Il y a les bons films, les mauvais films, et ceux qui malgré leurs quelques qualités, ne méritent que le 0 pointé.

À ceux qui veulent la description d’un amour torride et destructeur, on leur conseillera Feu de Glace avec Heather Graham et Joseph Fiennes. À ceux qui veulent une histoire de domination/soumission subversive, on leur conseillera Secretary avec Maggie Gyllenhaal et James Spader. À ceux qui voulaient tenter leur chance avec 50 Nuances de Grey, on leur conseillera de fuir.

Femme, ma mie, ma sœur, soulève toi encore et fais quelque chose, on te manipule et on te prend pour une conne, ne te trompe pas de combat, la misogynie paternaliste quotidienne ne se cache pas dans la chemise d’un ingénieur de la NASA ou dans le nom des ouragans.

S’il te plait, boycotte cette merde.

Note : 00/20

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=4Dws9lQgbko[/youtube]

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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