
Autrice : Fred Vargas
Editeur : J’ai Lu
Genre : Policier
Résumé :
Un hêtre peut-il apparaitre en une seule nuit sans que personne l’ait planté ?
Oui. Chez la cantatrice Sophia Siméonidis; et elle n’en dort plus.
Puis elle disparaît sans que cela préoccupe son époux.
Après une série de meurtres sinistres, ses trois voisins « dans la merde », aidés par l’ex-flic pourri Vandoosler, découvriront les racines du hêtre, vieilles de quinze ans, grasses de haines et de jalousie.
Avis :
Quasiment tous les auteurs de polars ont des personnages qui reviennent dans plusieurs tomes, pour diverses enquêtes, et en règle générale, on éprouve une grande empathie pour eux. On pense à Franck Thilliez avec Sharko, ou encore Maxime Chattam et sa Trilogie du Mal qui fait intervenir le même enquêteur. Pour Fred Vargas, sa petite marotte est le commissaire Adamsberg qui revient de façon régulière dans sa bibliographie. Mais il n’est pas le seul personnage à revenir de manière ponctuelle dans ses romans. On retrouve aussi ceux qu’elle appelle ses évangélistes, Marc, Matthias et Lucien, trois professeurs d’histoire qui vont se retrouver bien malgré eux dans des affaires plus ou moins sordides. Premier tome à sortir en 1995, Debout les Morts contient tout ce que l’on aime dans le style de l’autrice, à savoir un humour cynique, des personnages hauts en couleurs, et une enquête nébuleuse.
L’histoire démarre d’ailleurs de façon assez étrange. Sophia Siméonidis se réveille un matin, et découvre dans son jardin qu’un arbre, un hêtre, a été planté durant la nuit. Son mari s’en moque. Il faut dire que Sophia fut une cantatrice célèbre, et qu’elle a une pléthore de fans dans le monde. En parallèle de cette histoire incongrue, on va faire la rencontre de Marc, un professeur d’histoire spécialisé dans le Moyen-Âge qui se retrouve dans la merde, et qui demande à deux de ses amis d’habiter avec lui, dans la maison en ruines à côté de chez Sophia. On y fait alors la connaissance de Matthias, un prof d’histoire passionné par la préhistoire, et Lucien, coincé en pleine Première Guerre mondiale. Marc fait aussi venir son oncle, un ancien flic à la réputation sulfureuse. Et tout ce petit monde va sympathiser assez rapidement, jusqu’à la disparition de Sophia.
Avant de pleinement rentrer dans l’enquête, Fred Vargas nous présente des personnages qui sont très amusants. Si Sophia remplit un rôle fédérateur entre les voisins, on va surtout s’attarder sur les quatre types qui vont vivre ensemble, et qui ont des caractères très différents. Jouant sur leur passion, l’autrice se plait à rendre tout ce petit monde un peu en dehors des codes. Matthias aime vivre nu, comme les hommes préhistoriques qu’il adore, et vit au premier étage. Marc, alors en pleine recherche sur le marché médiéval, vivra au deuxième. Lucien, rongé par la Première Guerre mondiale, aura sa chambre au troisième étage. Quant à Vandoosler, l’oncle et parrain de Marc, il ira dormir dans les combles. Les références historiques sont nombreuses, et les tics de langage de chacun vont avec leur passion. Bref, il y a un gros travail autour d’eux, et de leur façon d’être et de parler.
L’autrice arrive à nous faire ressentir une forte empathie pour ces personnages bizarres et bigarrés. Notamment parce que derrière le vernis étrange, il y a des hommes au grand cœur qui veulent aider. La disparition de Sophia va faire un choc, et l’enquête menée va aller bon train, avec l’aide d’un oncle qui est au courant de son passé sulfureux et de son image, mais qui est là pour aider à trouver le meurtrier. L’intrigue joue alors sur plusieurs tableaux, avec des notions de célébrité, de vie manquée, de tempérament grec, mais aussi sur la jalousie maladive ou l’indifférence. Des thèmes qui prennent de plus en plus de place au fur et à mesure de l’intrigue, qui se dévoile dans un tout dernier acte intéressant, et plutôt malin, avec un élan tragique poignant et mélodramatique. Du moins pour un des personnages en particulier.
Le seul petit reproche que l’on peut faire à ce roman, c’est qu’il n’est pas forcément facile à lire de prime abord. Fred Vargas possède un style bien à elle, et il faut accepter de prendre le temps de rentrer dedans. Les tournures de phrases prennent sens en fonction du point de vue adopté. Quand il s’agit de prendre la place de Sophia, la façon d’écrire sera différente quant à Marc ou Lucien, s’exprimant énormément avec des références à l’histoire. Par exemple, Lucien ne parle pas de voisins de gauche ou de droite, mais de front de l’Est ou de front de l’Ouest. Mais petit à petit, ce style d’écriture prend sens, et ajoute une plus-value indéniable aux personnages que l’on rencontre, qui se font touchant, drôle, et sincère. Et puis cela permet aussi de brouiller les pistes sur nos propres recherches.
Au final, Debout les Morts est un roman policier particulièrement réussi et savoureux. On est loin des thriller gores ou sombres, mais ce n’est pas pour cela qu’il n’y a pas son lot de suspens et de morts. Fred Vargas présente quatre enquêteurs à la fois passionnants et drôles, au sein d’une histoire qui peut sembler simple, mais qui nous perd à plus d’une reprise dons nos propres recherches. Bref, un roman court, concis et plaisant, qui démontre tout le talent de l’autrice pour écrire des polars autrement, et ça fait un bien fou.
Note : 16/20
Par AqME
