
Avis :
A l’aube des années 2000, un nouveau genre musical a fait son apparence sur la scène Métal, ce que l’on va appeler le Nu-Métal. Mélange de Rap et de diverses influences Rock et Métal, ce sous-genre va se faire rapidement haïr par tous les puristes, qui y voit une dérive mainstream et urbaine de leur musique extrême préférée. Des groupes comme Limp Bizkit, Korn ou encore Slipknot, pour ne citer que les plus connus, vont avoir des dissidents, mais cela ne les empêchera pas de devenir culte par la suite. Aujourd’hui, si le Nu-Métal demeure en retrait malgré de nouveaux albums des précédents groupes cités, les « true » métalleux trouvent toujours des têtes de turc, des groupes qui essayent de faire bouger les lignes rigides du Thrash, du Death ou encore du Heavy. Et parmi les formations les plus détestées, on retrouve Ghost et Sleep Token.
Le problème avec Ghost est simple, le groupe joue avec des images propres au Black, mais fait un Rock teinté de Hard et de Heavy, ce qui en fait une formation pas assez violente pour certains, ou qui se veut trop grand public pour d’autres. Avec Sleep Token c’est une autre paire de manches. Formé en 2016 à Londres, le groupe va jouir d’une image étrange, puisque tous les membres sont masqués, et le chanteur charismatique, Vessel, possède un costume qui marque les esprits. Cependant, leur musique va bousculer tous les codes connus du Métal, ce qui va en dérouter plus d’un. Si on peut y trouver des éléments propres au Djent ou au Prog, on aura aussi des élans plus Pop, des tentatives d’inclure de la musique urbaine, voire même du Rap ou des parties plus R n’B. Difficile alors de ranger le groupe dans une catégorie précise.
Si le succès commence à se faire sentir dès leur deuxième album, This Place Will Become Your Tomb, c’est surtout grâce à Take me Back to Eden que la notoriété va prendre une ampleur phénoménale. Et Sleep Token devient alors une icône de cette scène alternative qui essaye de transpercer les préétablis du Métal. Even in Arcadia était donc attendu par tous les fans, et on peut aisément comprendre pourquoi. S’amusant toujours à mélanger les genres pour mieux nous surprendre, tout en jouant avec une imagerie énigmatique, le groupe réitère son coup d’éclat en proposant un album indéfinissable, mais au charme vénéneux. Et cela s’entend dès le premier titre. Look to Windward débute avec une instru qui fait écho à de la musique de jeu vidéo 8bit. La surprise est là, et cela se marie très bien avec le chant de Vessel qui possède vraiment un bel organe.
L’ambiance parait feutrée, mais on sent une certaine tension, qui va exploser entre deux et trois minutes. Les éléments Djent décollent, la violence se fait entendre jusque dans la voix, et après ce break percutant, on aura droit à des parties plus rappées. L’ensemble tient le route et fascine. Emergence va aller vers quelque chose de similaire, tout en nous percutant bien plus tôt. On retrouve des éléments R n’B dans le chant, sur les couplets, mais les instrus se font ultra virulentes sur les breaks. De plus, le titre est construit de façon plus simple que le précédent, permettant alors de bien rester en tête. Et bien évidemment, comment ne pas aimer cette fin au saxophone, avec une atmosphère jazzy inattendue. Puis arrive alors Past Self, et c’est certainement le titre qui va le plus diviser, notamment avec son sample qui peut évoquer Zelda.

Ici, point de guitare saturée, pas de violence, mais un titre Pop urbaine qui est relativement bien foutue et reste un long moment en tête. Oui, on est loin, très loin, du métal, mais ça reste une preuve de l’ouverture d’esprit du groupe, et sa capacité à nous plaire malgré une direction qui pourrait être à l’opposé de ce que l’on cherche. Dangerous renoue avec quelque chose de plus classique pour le groupe (si tant est que cet adjectif puisse aller pour Sleep Token). On a une montée crescendo, une ambiance très particulière, mais l’ensemble est suffisamment solide pour s’incorporer sans problème dans la tracklist. Ce sera néanmoins le titre le moins marquant de l’album. Mais Caramel va mettre tout le monde d’accord. Son début version xylophone, puis sa dérive vers un Reaggaton pour ensuite nous offrir un breakdown de zinzin, tous les éléments sont réunis pour un grand morceau.
Even in Arcadia va venir nous calmer un peu les nerfs. Le titre est bien plus calme, avec un piano très joli et un chant maîtrisé à la perfection. Si on pourrait lui reprocher son côté tout mou, il n’en demeure pas moins touchant et savamment orchestré. Puis Provider va se la jouer un peu Soul dans son début, pour monter crescendo dans les tours, et offrir un superbe morceau qui touche comme il peut frapper fort. Et Damocles sera un peu dans le même registre, avec son début Pop. Cependant, les deux derniers morceaux vont être de grosses baffes dans la tronche. Gethsemane sera le banger de ce skeud, avec un songwriting d’une grande beauté et une variation de dingue dans les tonalités, jusqu’à jouer avec le Métal progressif sur les guitares. Enfin, Infinite Baths clôture l’album avec maestria et une montée en puissance complètement dingue.
Au final, Even in Arcadia, le dernier album de Sleep Token, est encore une fois une réussite, dans la lignée du précédent album qui avait marqué les esprits. Continuant cette exploration inattendue de la musique, jouant constamment avec les genres et les textures, et s’amusant aussi avec son image énigmatique, Sleep Token est à la fois un projet vivifiant et un objet commercial réussi. Seule reproche que l’on pourrait faire, l’album est trop long, comme le précédent, et il faudrait peut-être faire plus court et concis pour encore être plus percutant. Mais c’est un détail, tant le plaisir d’écoute est là, n’en déplaisant aux rageux.
- Look to Windward
- Emergence
- Past Self
- Dangerous
- Caramel
- Even in Arcadia
- Provider
- Damocles
- Gethsemane
- Infinite Baths
Note : 18/20
Par AqME