décembre 10, 2024

Rabia – Dans l’Enfer des Femmes de Daech

De : Mareike Engelhardt

Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief, Lena Lauzemis

Année : 2024

Pays : France, Allemagne, Belgique

Genre : Drame, Thriller

Résumé :

Poussée par les promesses d’une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans, part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d’une main de fer. Inspiré de faits réels.

Avis :

Assistante de réalisation, si « Rabia » est le premier long-métrage de Mareike Engelhardt, la jeune femme d’une quarantaine d’années a déjà un joli CV derrière elle. Débutant à la fin des années 2000, elle traverse les années 2010 en travaillant sur des films de Roman Polanski, Marc Fitoussi, Katell Quillévéré ou encore Volker Schlöndorff et Patricia Mazuy, pour ne citer qu’eux. En parallèle de cela, elle commence aussi à se faire la main, ce qui fait qu’entre 2013 et 2020, elle va réaliser pas moins de six courts-métrages. Puis toujours en parallèle, pour réaliser « Rabia« , elle commence à se documenter, elle rencontre des femmes qui sont parties en Syrie, bien en amont de son futur film, ce qui va prendre sept ans de travail.

Pour son premier film, Mareike Engelhardt n’a pas choisi la facilité, puisqu’elle a décidé de peindre le portrait de jeunes femmes qui sont parties au début des années 2010 entre la Syrie et l’Irak pour rejoindre l’état islamique. Film douloureux, qui dépeint l’embrigadement et les rêves de ces jeunes femmes qui vont se confronter à la réalité une fois arrivées sur place, « Rabia » est un film dur, violent, terrible, sombre et désespéré. Un film étouffant, qui glace le sang, au fur et à mesure que les personnalités s’effacent, et que la vie s’étouffe, laissant place à une doctrine qui anéantit toutes les libertés.

« la metteuse en scène laisse le spectateur finalement seul juge d’être touché »

Jessica, dix-neuf ans, fait des études d’infirmière dans un hôpital où elle ne se sent pas respectée. Enjaillée par son amie Leila, Jessica se laisse convaincre de rejoindre la Syrie pour servir l’état islamique. Les deux jeunes femmes arrivent alors le sourire aux lèvres et l’espoir d’une vie meilleure, mais très vite, la réalité va être tout autre…

L’endoctrinement de l’état islamique, qui en très peu de temps a réussi à convaincre des milliers de jeunes gens à travers le monde de rejoindre ses rangs, voilà le sujet du premier film de l’allemande Mareike Engelhardt qui nous propose de suivre le parcours de jeunes femmes qui arrivent dans une sorte de maison qui n’a pour but que de trouver et former des épouses aux combattants djihadistes. Ce qui est terrible avec ce récit, c’est l’absence de jugement de la part de sa réalisatrice, qui nous plonge au plus près de ses personnages, avec un film qui se pose en témoin de faits. Suivant plus précisément une jeune française du nom de Jessica, la metteuse en scène laisse le spectateur finalement seul juge d’être touché ou non par le destin de son personnage.

Il a fallu sept années à Mareike Engelhardt pour rassembler suffisamment de témoignages pour que la réalisatrice puisse écrire un scénario qui nous enferme dans cette maison à épouses, pour que la réalisatrice nous raconte les procédures, les rencontres entre maris et femmes, l’effacement des personnalités au nom de Dieu, et d’un destin plus grand, puis derrière ça, la réalisatrice aborde de manière très subtile le commerce qui est fait autour de ces jeunes femmes. Pour cela, la maison est tenue par « Madame », sorte de Tante Lidia que l’on retrouve dans la série « The Handmaid’s Tale« . Personnage riche et complexe, le personnage est incroyablement tenu par une Lubna Azabal totalement habitée par son personnage, au point d’en être aussi glaçante que révoltante.

« Ce très beau scénario est soutenu par une mise en scène d’une grande justesse. »

 Avec ça, au fur à mesure que l’on découvre ce lieu, cette façon de faire, et cette jeune femme qui finit par disparaître d’elle-même, le film soulève tout un tas de questions qui, si elles ne trouvent pas de réponses, peuvent mettre des dialogues et des scènes pour esquisser le début d’une réflexion, car oui, il reste difficile de comprendre ces choix. D’ailleurs, l’actualité autour de femmes de retour de Raqqa confirme la complexité du sujet, et le fait de nous laisser juge de ce qu’elle nous montre est d’une redoutable intelligence, en plus d’être un choc de cinéma.

Ce très beau scénario est soutenu par une mise en scène d’une grande justesse. Ici, il n’y a pas de sensationnalisme, on ne trouve pas de spectaculaire pour créer du drame, l’histoire, les sujets et les personnages suffisent très largement à nous tenir le souffle étouffé pendant une heure et demie. On notera toutefois l’excellente reconstitution, une ambiance tenue, des images d’archives qui donnent encore plus de force, et surtout, comme évoqué plus haut, une plongée au plus près de ces personnages qui oscille entre le documentaire et le cinéma.

À noter aussi l’excellence de Megan Northam, qui décidément se fait une année de cinéma incroyable, après le très bon « Pendant ce temps sur terre« . La jeune femme dévoile encore une palette de son talent et la façon dont l’intrigue et son jeu efface petit à petit son personnage est bluffante.

Pour son premier film, Mareike Engelhardt frappe fort et livre un film terrible et terrifiant de bout en bout. « Rabia » est une sombre plongée dans la désillusion de jeunes femmes totalement embrigadées, qui espéraient une vie meilleure. Très violent psychologiquement parlant, cette séance de cinéma ne se passe pas sans encombre, car un peu comme le personnage de Jessica, devenue Oum Rabia, on retient notre souffle, nos émotions face à des choix on ne peut plus terrible. Bref, une claque doublée d’un choc utile !

Note : 16/20

Par Cinéted

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