Auteurs : James Tynion IV et Joshua Hixson
Editeur : Urban Comics
Genre : Thriller, Horreur
Résumé :
1973, Milwaukee. Alors que la neige tombe à gros flocons, un père Noël avide de sang commet des atrocités inimaginables sur des adolescents. Cinquante ans plus tard, un jeune écrivain tourmenté interviewe ce soi-disant « tueur déviant », qui, après des décennies derrière les barreaux, continue de clamer son innocence. Et alors que les festivités de Noël approchent à grands pas, le passé retrouve le chemin des cheminées, portant dans sa hotte une hache aiguisée…
Avis :
A-t-on encore besoin de présenter James Tynion IV ? Démarrant dans l’indépendant, c’est chez DC qu’il se fait connaître petit à petit, jusqu’à prendre les rênes de Batman. Cependant, ce n’est pas là qu’il va se faire le plus remarquer. Son appétence pour l’horreur est telle qu’il va rapidement se mettre à écrire des comics horrifiques qui connaîtront un fort succès, à l’image de Something is Killing the Children ou encore DC Vampires. Puis cette horreur va s’allier à des concepts relativement fous, comme pour The Nice House on the Lake où un groupe de personnes se retrouvent enfermés dans une maison alors que c’est la fin du monde autour. Fort de ce coup d’éclat, Urban Comics sort alors Le Déviant, une histoire horrifique en deux tomes, qui lorgne du côté du thriller et du slasher, avec un père Noël psychopathe.
Mais réduire Le Déviant à cela est bien trop réducteur en ce qui concerne James Tynion IV. En effet, l’histoire est plus complexe qu’un taré qui tue des gens dans son costume pendant les fêtes de fin d’année. Ici, on va avoir deux temporalités. En 2023, on suit Michael, un auteur de comics gay qui en a marre des super-héros et obtient le droit de faire un comic indépendant. Il s’intéresse de près à un fait divers particulièrement glauque qui s’est déroulé en 1973, où un père Noël taré a buté plusieurs personnes. Etrangement, cette histoire remue des sensations bizarres en lui, et il décide d’aller interviewer le présumé coupable des meurtres, un vieil homosexuel interné depuis dans une prison. En parallèle de cette interview, on va avoir droit aux meurtres des années 70, qui trouvent un écho particulier en fonction des témoins interrogés.
A partir de là, le scénariste tisse une intrigue à tiroirs assez étrange, puisque les meurtres reprennent en même temps que les interviews de Michael. Ainsi donc, on va cocher toutes les cases du thriller, avec des meurtres relativement glauques, une enquête qui piétine et qui reprend, et des personnages troubles dont on ne sait pas trop les motivations. D’ailleurs, c’est l’un des points forts du comic, celui de ne jamais vraiment dévoiler qui est qui, et de jouer à une sorte de qui est-ce géant. Ici, Michael est obnubilé par cette histoire, à un tel point qu’elle remue des choses étranges en lui. Tout le désigne comme le nouveau tueur, mais est-ce aussi facile ? Il en va de même avec le présumé coupable, qui joue de cette image et s’amuse à semer le trouble entre son innocence et sa culpabilité.
Même les personnages secondaires sont bizarres, à l’image de cet inspecteur qui clope sa cigarette électrique, se vernit les ongles et possède un flegme étonnant. On peut aussi citer le petit ami qui est tout jovial, mais sait qu’il est avec un personnage qui pourrait être instable. Ou encore ce vieux flic défiguré, rare rescapé du tueur dans les années 70, auteur de l’arrestation du présumé coupable et homophobe clairement affiché. Bref, tous les personnages, même les plus insignifiants, sont sujets à des interprétations différentes, et cela renforce le récit. Un récit qui est peuplé d’images macabres, avec des mises en scène de meurtres vraiment cradingues, et où le tueur mystérieux fait froid dans le dos, avec son mutisme et son omniprésence. Une sorte de Michael Myers en rouge et blanc qui tue certainement pour une raison précise, que l’on saura dans le deuxième tome.
Mais le plus intéressant dans tout ça, comme à chaque fois avec James Tynion IV, c’est qu’il y a du fond, des sujets sociétaux forts et importants, et ici, il s’agit de l’homosexualité et de l’homophobie. En effet, le type en prison est inculpé par le simple fait de son orientation sexuelle. Il aime les garçons, et forcément, dans les années 70, ça passe mal, et tout porte à croire que c’est lui le tueur. Le scénariste approfondit cela en retransplantant cette histoire cinquante ans plus tard, montrant que l’homophobie est toujours présente, et que les jugements sont toujours présents. Mais pas seulement les jugements, les actes, les coups, la violence est toujours présente, et cela se cristallise autour du personnage de ce flic enragé qui voit d’un mauvais œil la résurgence de cette affaire, encore plus par un homosexuel.
Au final, Le Déviant est un thriller sombre et glauque qui nous plonge dans une histoire où il est surtout question d’homophobie et comment l’homosexualité est perçue comme une maladie mentale. James Tynion IV injecte un fond malin et intéressant autour d’un récit classique qui trouve sa place entre Halloween et Noël. Sans atteindre le génie de The Nice House on the Lake, Le Déviant reste un comic plaisant à lire, dynamique dans son découpage, et très intelligent dans la présentation de ses personnages, tous plus troubles les uns que les autres.
Note : 16/20
Par AqME