Auteurs : Tom King et Mitch Gerads
Editeur : Urban Comics
Genre : Thriller
Résumé :
Batman, Année Un. Alors que Bruce Wayne est encore en phase d’apprentissage pour incarner pleinement le Chevalier Noir, Gordon se lance sur la trace d’un mystérieux clown psychotique en pleine folie meurtrière. Ses intentions sont floues, ses mobiles inexistants, et alors que Gotham est plongée dans la peur, Gordon et Batman vont apprendre ce qu’il en coûte de sous-estimer le Joker.
Avis :
Ancien membre de la CIA, Tom King se reconvertit en 2012 pour devenir scénariste de comics. Dès lors, le succès pointe rapidement le bout de son nez et ses analyses psychologiques de personnages cultes tels que Batman ou Rorschach (Watchmen) deviennent de véritables tours de force. Amoureux du polar et du thriller, il va s’atteler sur les premières années de Bruce Wayne en tant que Batman, mais il va surtout s’attarder sur ce qui se passe autour du héros en plein apprentissage, tout d’abord avec Gotham City, en expliquant comment la ville est devenue le lieu de la pègre, puis avec The Winning Card, qui montre la naissance du Joker. S’acoquinant les traits de Mitch Gerads pour la deuxième fois après Batman – One Day : Le Sphinx, cette relecture du Joker fait froid dans le dos et démontre le talent des deux auteurs pour la noirceur la plus profonde.
L’histoire se révèle très simple. Bruce Wayne apprend à devenir Batman et sillonne les rues, la nuit, en essayant d’arrêter des voyous. Cependant, un nouveau criminel arrive en ville. Grimé en clown, il tue à coups de couteau n’importe qui, ne laissant aucun mobile apparent. Le commissaire Gordon fait alors appel aux services de Batman, mais ce dernier a beaucoup de mal à régler le compte que ce tueur aussi surprenant que dangereux. Très clairement, avec ce pitch, Tom King reste en surface sur la psychologie d’un personnage aussi important que le Joker. Cette simplicité lui permet d’octroyer une aura ultra malsaine au personnage, qui en devient un criminel sans foi ni loi, et qui peut s’en prendre à n’importe qui. Tout le ressort scénaristique joue alors sur la surprise de frappe, et les apparitions fantomatiques de la némésis de Batman.
Si l’accent est mis sur le Joker et sa folie douce, il y aura aussi un travail sur Batman. Le personnage est relativement faible, et on sent qu’il fait ses premiers pas. Au début, il combat contre un bandit lambda, et il manque se faire tuer par surprise. Son apprentissage ne sera alors que douleur et blessure, notamment lorsqu’il va se friter une première fois avec le Joker, qui va le mettre au tapis, tout en lui laissant la vie. Cela donne naissance à une confrontation qui deviendra culte, l’un ne pouvant vivre sans l’autre. Tom King reprend ses classiques, et sans aller vraiment dans la psychologie de l’un ou de l’autre, il recrée la dualité entre deux monstres des comics. Néanmoins, il est clair que cette relation toxique reste trop en surface et manque de fond, notamment psychologique, avec des arguments trop classiques pour surprendre.
Fort heureusement, l’histoire se sauve grâce à son ambiance très particulière, voire relativement malsaine. Avec Mitch Gerads aux dessins, on trouve une atmosphère glauque, plongeant Gotham dans un bleu nuit inquiétant, où le Joker se balade comme si de rien n’était. Ces apparitions sont effrayantes, le montrant comme un boogeyman de film d’horreur. On y trouve même des éléments de comptine, comme pourrait le faire un Freddy Krueger avant de tuer sa proie. Cela permet de donner une aura macabre au clown, qui frappe quasiment sans distinction et permet de créer des moments vraiment angoissants, comme lorsqu’il parle avec une petite fille égarée dans un parc, et la ramène chez son père. D’ailleurs, difficile de ne pas y voir une référence à Ca de Stephen King, avec le fameux ballon rouge, histoire de faire un corrélation entre clowns cultes de la Pop culture.
Cependant, malgré les dessins qui collent parfaitement à l’ambiance malsaine, on reste un petit peu sur notre faim, surtout quand on connait un peu le travail de Tom King. Le travail sur la psychologie des personnages reste trop tendre. Si Bruce Wayne se veut mutique et commence à jouer avec la vie des gens pour arriver à ses fins, le personnage demeure trop effacé pour convaincre dans son apprentissage. De même pour le Joker, qui devient un monstre de film d’horreur, mais qui s’assouplit sur la fin pour on ne sait quelle raison, sinon celle de coller à une mythologie déjà préétablie. Et puis il y a un réel problème dans la traduction. Tous les gros mots sont censurés, et le texte est relativement grossier, ce qui empêche une certaine fluidité de lecture. C’est un détail, mais on est sur un récit adulte et horrifique, alors pourquoi faire cela ?
Au final, Joker – The Winning Card se révèle être le récit le plus faible de Tom King, malgré une volonté de plonger son histoire dans l’horreur totale. Il manque une dimension psychologique plus tragique, et une approche peut-être encore plus bestiale dans les agissements du Joker. Mais il ne faut pas non plus cracher dans la soupe, car ce one shot comporte de sublimes dessins qui plongent l’histoire dans une ambiance creepy à souhait, montrant une Gotham froide et fleure bon l’insécurité à chaque coin de rue.
Note : 14/20
Par AqME