mai 19, 2024

La Veuve Couderc – Duel Delon/Signoret

De : Pierre Granier-Deferre

Avec Simone Signoret, Alain Delon, Ottavia Piccolo, Jean Tissier

Année : 1971

Pays : France, Italie

Genre : Drame, Romance

Résumé :

Jean vient de passer cinq années en prison pour meurtre. Désormais, il est libre et sans aucune attache. Il trouve refuge chez la veuve Couderc, dite Tati, une vieille paysanne qui vit dans une ferme et qu’il a croisée dans un bus de campagne. Jean travaille pour elle et ils entretiennent une relation purement sexuelle. Cette vie calme et sans passion est troublée par la rencontre avec une jeune voisine très séduisante, Félicie, qui provoque le désir de Jean et la jalousie de Tati.

Avis :

Commençant sa carrière dans les années 60, Pierre Granier-Deferre fait partie de ces réalisateurs français dont le travail est assez ahurissant. Se spécialisant assez rapidement dans le polar et le film sombre, il va devenir l’expert d’un écrivain, Georges Simenon. On ne lui compte plus le nombre d’adaptations qu’il a pu faire, et il a même cocréé la série Maigret qui a duré près de treize ans. En plus de cela, Pierre Granier-Deferre a fait tourner les plus grands, de Lino Ventura en passant par Jean Gabin, de Romy Schneider à Simone Signoret. En 1971 sort un film assez particulier, La Veuve Couderc, issu d’un roman de Simenon (évidemment), et qui va mettre en scène deux monstres sacrés du cinéma, Simone Signoret et Alain Delon. Drame sulfureux teinté d’une romance presque interdite, La Veuve Couderc est un film impressionnant par sa simplicité et son efficacité.

L’histoire débute tout simplement par une rencontre fortuite, celle d’une veuve qui a besoin d’aide pour porter une lourde charge, et d’un vagabond qui va l’aider. Elle tombe alors sous le charme de cet homme mystérieux, qui va alors s’installer en échange de travaux dans la ferme. Seulement, si la veuve tombe amoureuse de cet homme, ce n’est pas le cas de ce dernier, qui a des vues sur la fille des voisins, mère célibataire, mal considérée, mais aussi nièce de la veuve qui l’héberge. Tout le film va alors jouer sur les sentiments des personnages, leurs envies, mais aussi leur passé, et comment celui-ci refait surface pour faire le mal. Un mal qui rôde partout, véhiculant jalousie, envie, avec des réactions souvent disproportionnées, allant jusqu’à la délation pour une question de vengeance. Car oui, La Veuve Couderc est un drame qui brasse un très grand nombre de thèmes.

« La solitude, on la retrouve aussi avec le décor. « 

En premier lieu, il est difficile de ne pas voir la solitude comme point d’appui de nombreuses situations pénibles. La veuve Couderc vit quasiment seule, avec pour seul accompagnateur, un vieil homme qui parle peu et qui entend mal. Lorsqu’elle rencontre ce vagabond, beau comme un Dieu, elle ne tarde pas à tomber sous son charme et à y voir une bonne compagnie, lui permettant de discuter et de partager son quotidien. Un quotidien fait de travail incessant, que ce soit avec les animaux ou encore dans les champs. La solitude, on la retrouve aussi avec le décor. Nous sommes dans un lieu isolé, avec très peu de maison, et surtout, un endroit peu ouvert à l’extérieur. Les seules marques du progrès proviennent des bateaux qui sillonnent la rivière avec de la musique jazz. Ce lieu isolé sera alors le théâtre d’une certaine jalousie.

Car oui, la jalousie est un thème central du film. Il parcourt tous les personnages et va même mener à une fin tragique. La jalousie va d’abord se lire sur les traits de la veuve Couderc, lorsqu’elle ressent de l’amour pour son vagabond, mais que celui-ci est plus attiré par la fille de la voisine, plus jeune et plus belle. Une jalousie qui sera aussi dans le cœur de ce vieux monsieur qui vit avec la veuve, en étant amoureux, et il voit l’arrivée de ce type d’un sale œil. Et puis il y a la jalousie du voisinage et de la famille, qui se demandent comme une telle femme a pu prendre dans ses filets un aussi bel homme. Bref, le film va très loin dans ce thème et fait étalage d’une vie rurale difficile, faite de ragots et de préjugés, à l’image de cette jeune femme, mère célibataire.

« On retrouve deux monstres sacrés du cinéma français, à savoir Simone Signoret et Alain Delon. »

L’autre intérêt du film réside dans son contexte. Outre le mystère qui entoure la vie passée de ce vagabond, armé et donc peut-être dangereux, Pierre Granier-Deferre offre une vision assez fine de la France qui se prépare petit à petit à la Seconde Guerre Mondiale. Message antisémite sur les églises, appel à la délation, on sent que la montée du nazisme se fait aussi en France, et que les autorités peuvent avoir une influence sur les esprits campagnards, voyant alors d’un mauvais œil l’arrivée d’une nouvelle personne dans leur bourgade. Sans en faire des caisses, par petits plans discrets, le réalisateur pose une ambiance délétère, un climat malsain au sein d’une France qui s’enfonce petit à petit dans un racisme rance et puant. Cela donne un aspect presque thriller à l’histoire, qui va alors se condenser autour du personnage joué par Alain Delon.

Et là de parler du casting et des acteurs qui sont vraiment très impressionnants. Si les thèmes, ainsi que la rythmique du film, sont parfaits, on retrouve deux monstres sacrés du cinéma français, à savoir Simone Signoret et Alain Delon. Le duo fait des étincelles, et ils sont tout simplement beaux. Leurs jeux de regard, les non-dits qui créent une sorte de tension sexuelle, il y a une vraie alchimie qui se crée et tout cela est réellement fort. Puis les seconds rôles ne sont pas en reste, avec notamment Ottavia Piccolo qui joue un jeu dangereux, ou encore un Bobby Lapointe à contre-emploi, dans le rôle d’un type violent et patibulaire. Bref, La Veuve Couderc est porté par des artistes talentueux, qui sont dirigés de manière intelligente et qui n’en font jamais de trop.

Au final, La Veuve Couderc est un film qui n’a pas volé sa réputation. Riche en thématiques toujours d’actualité, porté par des acteurs qui sont en état de grâce, même la mise en scène, qui aurait pu être plus plan-plan, demeure intelligente, avec des plans simples mais qui posent un contexte historique effrayant. Tout comme la fin, tragique, symbole d’une époque que l’on préfère oubliée, où la délation était un sport, et la haine de l’autre une norme.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

Voir tous les articles de AqME →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.