novembre 2, 2024

Forfaiture (1937)

De : Marcel L’Herbier

Avec Louis Jouvet, Sessue Hayakawa, Lise Delamare, Victor Francen

Année : 1937

Pays : France

Genre : Drame

Résumé :

Un riche collectionneur japonais propose à Edith, dame du grand monde, de lui donner l’argent qu’elle a détourné, produit d’une vente de charité, a l’unique condition qu’elle s’offre à lui. Malgré sa répugnance, Edith accepte. Mais elle regagne au jeu la somme escroquée…

Avis :

En 1915, Cecil B. DeMille réalisait Forfaiture, un drame à la croisée des genres qui démontrait tout le potentiel du cinéma en matière d’expression artistique. Avec une approche particulièrement innovante, le métrage imposait des techniques de mises en scène, dorénavant considérées comme des standards. Il en ressortait une œuvre audacieuse qui, malheureusement, s’est fait oublier au fil des décennies. Pour autant, le film a marqué une page de l’histoire du septième art, ainsi que plusieurs générations de cinéastes dont fait partie Marcel L’Herbier. En effet, il se voudrait que Forfaiture ait révélé sa vocation de réalisateur. Lui, qui à l’époque, se voyait en homme de lettres, féru de poésie.

Après un premier remake réalisé par Pola Negri en 1923, Marcel L’Herbier concrétise un projet qui lui tint à cœur avec cette nouvelle version. Près de 22 ans après le métrage de Cecil B. DeMille, l’évolution de l’industrie cinématographique et l’avènement du parlant ont sensiblement modifié les techniques et les moyens de production, moins expérimentaux et davantage tournés vers les majors. Avec la démocratisation des salles obscures et l’éloignement de l’aspect « saltimbanque » (toute connotation péjorative écartée) du cinématographe, les attentes du public ont également changé. On peut donc considérer qu’un monde sépare les versions de 1915 et de 1937. Néanmoins, Marcel L’Herbier s’attache à rendre hommage à son prédécesseur en guise d’ouverture.

Il n’en oublie pas sa source d’inspiration et, malgré une narration qui s’étoffe, il reste dans le sillage de son aîné. En l’occurrence, on songe à cet amalgame des genres, à ces confrontations âpres entre personnages, ainsi qu’aux principaux tenants et aboutissants de l’intrigue. On retrouve aussi cette structure construite en plusieurs actes. La première partie s’attarde sur une connotation aventureuse, un rien exotique dans la présentation d’un chantier au cœur des steppes de Mongolie. Contraintes de production obligent, le tournage ne s’est pas déroulé en Asie, mais à Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue. L’anecdote détonne, mais la reconstitution demeure convaincante, même si la réalisation aide à parfaire l’illusion.

À ce titre, Marcel L’Herbier aborde cette problématique avec une mise en scène plus intimiste dans le sens où il évite des panoramas susceptibles de trahir le subterfuge. Le cadrage, la qualité de la photographie et l’exposition des séquences renforcent le dépaysement dû à l’expatriation où les cultures convergent vers des intérêts communs. À savoir : le profit. Le caractère matérialiste et la notion de propriété, sinon d’appartenance, constituent l’une des principales thématiques de l’histoire. La convoitise se mue progressivement en obsession, tandis que les velléités manipulatrices affichent une cupidité ostentatoire.

En ce sens, les personnages présentent des motivations et des points de vue complémentaires, même s’ils divergent à de nombreux égards. On notera ce parallèle entre la carrière de Pierre, l’ingénieur en chef, les inimitiés dont il est victime et sa vie privée. Là où la dépendance au jeu de son épouse devient un moyen d’instrumentation pour provoquer sa chute, en raison de son abnégation et ses valeurs morales. La qualité d’écriture de l’histoire originale révèle ici toute sa force et sa subtilité pour imposer un suspense avec des retournements de situation impromptus au cours du procès. Dernier acte du récit, celui-ci se montre, comme son prédécesseur, moins maîtrisé. Sans doute est-ce dû à une exacerbation des conflits où les instances compétentes semblent bien impuissantes à taire les élans passionnels.

Au final, Forfaiture est un remake recommandable. Marcel L’Herbier assimile parfaitement les difficultés à reprendre une œuvre emblématique, a fortiori lorsqu’on lui voue une admiration sans bornes. On y retrouve toutes les composantes qui distinguent la version de 1915. Une confrontation socioculturelle corrosive, un panel de protagonistes à la personnalité marquée, un environnement aux tonalités exotiques évidentes, sans oublier un sujet et une narration qui rendent le propos de départ d’autant plus percutant. On apprécie aussi quelques différences, comme la scène où le prince Lee-Lang appose son sceau sur Denise Moret. Celle-ci fait l’objet d’un flashback, rompant avec un déroulement linéaire et travaillant davantage sur le suspense qu’elle suggère. Devant le talent de Marcel L’Herbier, il en ressort un remake passionné et guère opportuniste qui démontre tout l’intérêt du cinéaste pour l’œuvre de Cecil B. DeMille.

Note : 15/20

Par Dante

Une réflexion sur « Forfaiture (1937) »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.