mai 20, 2024

Rashomon – Qui Dit Vrai?

De : Akira Kurosawa

Avec Toshiro Mifune, Masayuki Mori, Machiko Kyo, Takashi Shimura

Année : 1950

Pays : Japon

Genre : Drame

Résumé :

Un paysan vient s’abriter d’une pluie torrentielle sous une vieille porte délabrée où se sèchent déjà un bûcheron et un prêtre. Ces derniers semblent ne rien comprendre à une affaire à laquelle ils ont été mêlés bien malgré eux. Un samouraï aurait été assassiné et sa femme violée ; quatre témoins du drame, dont le prêtre et le bûcheron, vont donner leurs versions des faits, toutes contradictoires…

Avis :

Parmi tous les réalisateurs japonais, il y en a un qui marqué l’histoire du septième art, c’est Akira Kurosawa. Né dans une famille où le papa croyait aux vertus du cinéma, il se destine tout d’abord à une carrière dans la peinture, et c’est un peu par hasard qu’il se présente à une sélection faite par la Toho. Il est alors engagé comme assistant-réalisateur de Kajiro Yamamoto, et il ne va pas tarder à se faire la main derrière la caméra. Il propose alors son premier film en 1943, La Légende du Grand Judo, et il ne lâchera plus jamais la caméra. Akira Kurosawa va se faire remarquer par un cinéma qui s’écarte de ses mentors, avec une image précise et une mise en scène loin d’être contemplative. En plus de cela, il va être l’un des premiers cinéastes japonais à s’exporter à l’international.

Et Rashomon, qui nous préoccupe entre ces lignes, est peut-être le premier film du réalisateur à resplendir dans le monde entier, notamment grâce à son prix gagné à Venise en 1951. Il faut dire qu’il s’agit-là d’un petit chef-d’œuvre dont la narration va être reprise de nombreuses fois par d’autres metteurs en scène, pour d’autres films (dernier en date, l’excellent Le Dernier Duel de Ridley Scott). On va suivre trois personnages bloqués par une pluie torrentielle sous un ancien temple. Un bûcheron et un prêtre sont perclus de questions quant à une affaire qui défie leur entendement, et ils vont faire part de leurs doutes à un promeneur qui veut connaître cette histoire. On va alors assister à un procès qui propose trois versions différentes d’un même meurtre, et où il est bien impossible de savoir qui dit la vérité.

« Toshiro Mifune est impressionnant dans ce rôle relativement physique. »

La force de ce film réside bien évidemment dans sa narration, éclatée, qui offre quasiment les mêmes images à chaque fois, mais avec des nuances subtiles. Ainsi donc, on va tout d’abord avoir le récit du vagabond, qui avoue le meurtre, mais qui le met sur le dos d’une femme, le forçant à commettre cet acte. Fier et un peu fou sur les bords, ce vagabond syncrétise les aprioris que l’on peut avoir sur des personnes qui sont en dehors des clous de la société. On ne sait jamais s’il dit la vérité, s’il se fait mousser, ou s’il ne veut pas perdre la face, afin de jouer de son image. Toshiro Mifune est impressionnant dans ce rôle relativement physique, mais qui va petit à petit perdre de sa superbe. Le réalisateur en profite pour mettre en avant des travellings sublimes dans la forêt et peaufiner sa mise en scène.

Le deuxième point de vue sera plus vicieux. C’est la femme de la victime qui va témoigner. Elle raconte comment elle a été violée, et comment le vagabond est un homme sans scrupule et sans honneur. Elle va jouer un double-jeu dangereux, où elle se place comme victime, mais tend aussi un piège au vagabond pour se sortir d’une mauvaise passe, quitte à sacrifier son mari. Son témoignage est cohérent, mais il montre un personnage assez antipathique, égoïste, et qui voit finalement dans ce drame un moyen d’échapper à deux hommes qu’elle n’aime finalement pas. Akira Kurosawa pousse son actrice, Machiko Kyo, dans ses retranchements, et elle compose un personnage que l’on déteste, alors même qu’elle est une victime dans cette histoire. Bref, ce deuxième acte est tout aussi bien que le premier, ne jouant plus sur la folie, mais plutôt sur la pitié.

« Un dernier acte touchant, qui révèle toute l’essence du cinéma de Kurosawa, l’humanisme. »

Le troisième témoignage est plus étrange, car il fait appel à un élément fantastique. En effet, ici, c’est à travers un médium que s’exprime le mort, qui va donner sa version des faits, expliquant un duel à mort, ridiculisant le vagabond, et mettant en avant un duel de pleutres, où le hasard à tuer l’homme. Le plus bizarre là-dedans réside dans l’aspect presque horrifique du médium, androgyne et gesticulant de manière saccadée, avec une voix d’outre-tombe. C’est bien fichu, même si cela nous sort un peu de l’aspect réaliste du film. Cependant, on assiste alors à des scènes différentes, dans un même lieu, montrant que l’être humain est un personnage de peu de foi et qu’il est difficile de faire confiance à qui que ce soit. Et le réalisateur d’appuyer cela sur un dernier témoignage, celui du bûcheron qui avoue avoir assisté à toute la scène.

Cela amène à une conclusion assez impressionnante, où l’homme délivre la vérité, mélange des trois témoignages, et commence à perdre foi en l’humanité et en lui-même. Jusqu’à un dernier acte touchant, qui révèle toute l’essence du cinéma de Kurosawa, l’humanisme. Un bébé est alors retrouvé dans les ruines du temple, et le bûcheron, ainsi que le prêtre, sauvent l’enfant du troisième homme qui voulait lui voler les tissus qui lui tenaient chaud. Le bûcheron y voit là l’occasion de s’affranchir de ses erreurs et de redevenir un humain à part entière, faisant preuve d’un bel altruisme. Kurosawa de mettre ça en avant avec un sublime soleil, montrant que malgré tout, la bonté de l’homme peut triompher de sa perfidie. Un point d’appui qui se concrétise aussi avec des plans proches des visages, mettant en avant des émotions à fleur de peau.

Au final, Rashomon est un grand film qui brille par sa narration et par sa mise en scène. Akira Kurosawa propose la même histoire mais avec des points de vue différents, chose inédite pour l’époque, mettant alors en avant des comportements toujours plus bas pour se sortir d’une mauvaise passe. Jouant sur l’égoïsme de l’être humain, le réalisateur propose pourtant une fin lumineuse et positive, montrant que malgré la noirceur de l’âme de certains, il existe encore des hommes bons et loyaux, et que l’on devrait toujours avoir droit à une seconde chance. Bref, Rashomon est un film court mais percutant, qui n’a pas pris une ride en plus de soixante ans.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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