Avis :
Figure emblématique du Black Métal, Ihsahn s’est tout d’abord illustré avec le groupe Emperor, fer de lance du Black norvégien durant les années 90. Après la séparation de la formation en 2001, Ihsahn va accumuler les projets, notamment avec un nouveau groupe, Peccatum, puis en solo ou en couple, avec sa femme. Sortant un album complet tous les deux ans depuis qu’il a seize ans, le chanteur/guitariste aime repousser les limites de ses créations, et bousculer les codes, quitte, parfois, à tomber à côté de la plaque (ce qui est très rare). Après trois EP consécutifs entre 2020 et 2023, voici que l’artiste revient avec un nouvel album-concept en deux actes, une version « métal » et une version orchestrale, les deux skeuds s’emboîtant parfaitement l’un dans l’autre. Sobrement intitulé Ihsahn, il s’agirait du projet le plus compliqué du musicien à ce jour ? Mais est-ce une réussite ?
On le sait, les albums-concepts, c’est souvent à double-tranchant. Soit on rentre dans le délire, et on part dans un voyage incroyable, soit on reste hermétique à l’affaire, et l’album passe à la trappe. Fort heureusement, avec cet effort, le norvégien nous offre une immense partition, avec des morceaux d’une grande force et une orchestration qui force le respect. D’ailleurs, tout l’album baigne dans une ambiance qui évoque le cinéma, et ce n’est pas pour rien qu’Ihsahn parle de John Williams ou John Carpenter comme inspiration pour cet album. Le premier morceau, qui est une introduction, nous renvoie directement à un générique de film et fait très grandiloquent. Cervus Venator nous plonge dans une ambiance dantesque, qui permettra alors de mieux nous assommer avec le titre suivant et son gros riff sauvage. The Promethean Spark est un excellent morceau qui alterne bien Métal et Symphonique.
Sauf qu’ici, point de chanteuse à voix, mais un Ihsahn qui délivre sa voix d’outre-tombe avant de pleinement nous faire profiter de ses talents en chant clair afin de mieux appuyer son refrain. Le talent se mesure aussi avec les parties orchestrales, qui peuvent s’écouter indépendamment du reste. Il en va de même avec Pilgrimage to Oblivion, sauf qu’ici, point de chant clair, juste du growl et un ensemble grandiloquent impressionnant. C’est bien simple, l’orchestration est magistrale, donnant un souffle épique rarement atteint, et l’ensemble se marie de façon osmotique avec les gros riffs de grattes et la batterie qui blaste de temps à autre. Bref, l’un des titres les plus réussis de l’album. Puis Twice Born va continuer ce travail méticuleux entre symphonie organique et métal rugueux. Le mélange est impressionnant et fonctionne à plein régime, donnant des airs d’opéra infernal à tout l’album.
Et il est difficile de ne pas y voir toute une imagerie autour de ces morceaux. L’ensemble évoque le cinéma, dans tout ce qu’il a de plus grandiloquent. C’est beau, c’est épique, et on en prend plein les oreilles. A Taste of the Ambrosia sera un peu plus calme au niveau du tempo, mais va pouvoir insister sur le mélange orchestral, organisant les guitares et la batterie sur les parties plus symphoniques. L’ensemble est impressionnant, une fois de plus, et cela malgré la rythmique plus douce. Cependant, on peut se poser une question : comment soutenir cela en concert sans orchestre symphonique derrière ? C’est dire à quel point c’est massif. Et après un interlude tout doux avec Anima Extraneae, Ihsahn revient à la charge avec Blood Trails to Love. Le morceau se différencie des autres de par sa structure complexe, mais aussi de par son refrain en chant clair.
On notera aussi un aspect très « théâtral » dans l’ambiance globale du morceau, et ce côté déstructuré lui permet de sortir clairement du lot. Et cela avant d’attaquer l’une des pièces maîtresses, Hubris and Blue Devils. Le titre est long, monumental dans sa construction et sa montée en tension, et il fait étalage d’un travail absolument effarant. On comprend pourquoi cet album a été l’un des plus durs à faire (et épuisant) pour Ihsahn. The Distance Between Us est moins percutant que le reste, mais garde une ambiance assez lugubre et froide. Quant à At the Heart of All Things Broken et se neuf minutes, c’est tout simplement un chef-d’œuvre, d’une maîtrise effroyable et d’un savoir-faire qui force le respect. Ihsahn propose quelque chose de grand, de très grand. Enfin, Sonata Profana clôture l’album avec une outro symphonique douce, qui fait écho à l’introduction.
Au final, le dernier album d’Ihsahn est une pure merveille. Si l’artiste s’est saigné pour faire cet effort studio, avouant que c’est la galette pour laquelle il en a le plus chié pour la pondre, tous les sacrifices en ont val la peine, tant l’exercice était périlleux et il a été relevé avec brio. Organique, magistral, prenant aux tripes et ne succombant jamais à la facilité, ce dernier album en date est un chef-d’œuvre impérial qui prouve, à bien des égards, que Métal et Opéra peuvent se tenir main dans la main sans aucun problème.
- Cervus Venator
- The Promethean Spark
- Pilgrimage to Oblivion
- Twice Born
- A Taste of the Ambrosia
- Anima Extraneae
- Blood Trails to Love
- Hubris and Blue Devils
- The Distance Between Us
- At the Heart of All Things Broken
- Sonata Profana
Note : 18/20
Par AqME