avril 29, 2024

Frères

Titre Original : Brüder

De : Werner Hochbaum

Avec Ilse Berger, Erna Schumacher, Gyula Balogh, Laien

Année : 1929

Pays : Allemagne

Genre : Drame

Résumé :

En 1896, les dockers de Hambourg se mettent en grève…

Avis :

L’histoire du cinéma allemand a donné naissance à de nombreux mythes du septième art. Au regard de la période expressionniste, il est facile de songer à F.W. Murnau, Fritz Lang ou encore Robert Wiene. À eux trois, ces réalisateurs ont fourni de véritables incunables sur bobine, à l’image de Nosferatu, Metropolis ou Le Cabinet du Docteur Caligari, pour ne citer que les exemples les plus prestigieux. Si la fin des années 1920 marque la transition avec le cinéma parlant, elle est également l’objet d’un climat politique lourd avec la montée du parti national-socialiste. Cela sans compter sur le krach boursier de 1929 qui mine le marché mondial…

Dans ce contexte, de nombreuses créations artistiques se font l’écho de leur époque. On assiste à l’émergence d’un cinéma engagé, d’un point de vue sociétal. C’est notamment le cas de Frères qui, contrairement aux références précitées, n’est guère passé à la postérité. Il reste pourtant l’une des productions angulaires du film prolétarien. Ce sous-genre est directement « commandité » par des partis politiques et des syndicats. Certes, l’objectivité dans de telles productions n’est guère de mise. Il est aisé de distinguer les tendances et les valeurs des cinéastes. À ce titre, L’Enfer des pauvres de Phil Jutzi, également sorti en 1929, demeure le métrage le plus représentatif de cette mouvance.

« On y découvre le travail harassant qui s’étend, parfois, sur près de 36 heures d’affilée. »

Au vu de la partialité de l’exercice, tout légitime soit-il, on peut s’interroger sur la différence avec les films de propagande ; a fortiori lorsqu’on sait que Werner Hochbaum délaissera ses idéaux pour se rapprocher du parti national-socialiste. Preuve en est avec sa dernière réalisation, Drei Unteroffiziere, qui met en avant certains pans de la doctrine nazie. Cependant, le film prolétarien ne déforme pas la réalité, encore moins au profit d’un mouvement ou d’une personne. Il la représente de manière brute, dans toute sa dureté. En l’occurrence, celle de la classe laborieuse. Avec Frères, on pousse cette approche à son paroxysme avec des choix artistiques clairement définis.

D’une part, Werner Hochbaum s’entoure de comédiens majoritairement amateurs. D’ailleurs, la plupart d’entre eux apparaissent pour la première (et dernière) fois à l’écran. D’autre part, le scénario évoque la grève des dockers de Hambourg en 1896/1897. Le thème est particulièrement adéquat pour dépeindre le quotidien des ouvriers. Cela tient tout d’abord au dénuement de leur cadre de vie avec une promiscuité parfaitement retranscrite devant la caméra. L’environnement familial démontre la dépendance à un salaire malingre. De même, on y découvre le travail harassant qui s’étend, parfois, sur près de 36 heures d’affilée.

« Frères s’inscrit dans son époque, où il s’inspire des maîtres de l’expressionnisme. »

Au-delà de conditions de travail difficiles, on se confronte à un perpétuel affrontement entre les dockers, leurs supérieurs hiérarchiques et les forces de l’ordre. Au XIXe siècle, la grève est un moyen de pression collective, mais il reste peu organisé et souvent réprimé dans la violence. Cela sans compter sur la perte de faibles revenus qui confèrent à l’indigence. En cela, le présent métrage retranscrit davantage les conséquences sur les grévistes que sur les revendications. Ces dernières sont évoquées à l’occasion de l’introduction et du dénouement. On notera que les intertitres sont quasiment absents. La relation entre le spectateur et le film se fait surtout par l’image.

La réalisation s’essaye à quelques effets de mise en scène, comme la technique de surimpression, les plans rapprochés ou la contre-plongée. On assiste même à un formidable travail sur l’éclairage pour mieux discerner l’écoulement du temps, ainsi que l’alternance entre le jour et la nuit. En cela, Frères s’inscrit dans son époque, où il s’inspire des maîtres de l’expressionnisme allemand et augure déjà de l’évolution du cinéma pour les décennies à venir. De même, le rythme reste assez dynamique. Les ellipses sont pertinentes et permettent de saisir les moments clefs de cette grève et ceux propres à la vie des protagonistes. Par exemple, l’incompréhension manifeste entre les deux frères lors des trois premiers actes du métrage.

Au final, Frères est un film prolétarien qui s’assume sans langue de bois. Engagé et impliqué, Werner Hochbaum ne prend guère la peine de dissimuler ses idées ou son objectif premier. À savoir, une évocation politique de la grève des dockers de Hambourg, la défense du droit des ouvriers et la dénonciation de leurs conditions de travail. Cette frange du cinéma n’a pas vocation à divertir, mais à sensibiliser le public à des problématiques sociétales passées, encore vivaces à travers les époques. Une démarche audacieuse qui, malgré le manque de recul, dépeint avec rigueur une réalité âpre et délétère où la finalité des actions et les sacrifices consentis peuvent laissés amers.

Note : 14/20

Par Dante

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