avril 24, 2024

Les Guêpes sont là

Titre Original : Bambaru Avith

De : Dharmasena Pathiraja

Avec Joe Abeywickrama, Vijaya Kumaranatunga, Malani Fonseka

Année : 1978

Pays : Sri Lanka

Genre : Drame

Résumé :

À Kalpitiya, petit village de pêcheurs du Sri Lanka, l’arrivée de jeunes citadins va provoquer de vives tensions au sein de la communauté. Victor est venu ici avec ses amis pour remettre de l’ordre dans les affaires de son père, un chef de pêche local. Mais le patriarche Anton ne voit pas d’un bon œil ses nouvelles méthodes importées de la ville. Les frictions vont s’intensifier lorsque Victor jette son dévolu sur la séduisante Helen, déjà promise à un autre homme du village…

Avis :

Proches cousins du cinéma indien, les films srilankais sont peu représentés, voire méconnus, en occident. La faute à une distribution internationale peu amène à investir dans lesdits métrages. Ce qui les cantonne à des niches de spécialistes et à quelques diffusions confidentielles lors de festivals. Aussi, une telle découverte constitue une véritable curiosité. Surprise d’autant plus percutante, quand on peut apprécier un travail de restauration remarquable, comme c’est le cas avec Les Guêpes sont là. Derrière un titre énigmatique, le film de Dharmasena Pathiraja affiche une forme de syncrétisme entre deux franges du septième art, pourtant aux antipodes. À savoir, le cinéma d’auteur et les productions commerciales.

Aux premiers abords, le présent métrage peut paraître daté. On peut évoquer ce noir et blanc qui vient troubler quelques repères temporels, contrastant avec la période haute en couleur des seventies. À l’époque, le cinéma srilankais en est encore à sa phase de développement. En effet, le premier film du pays date de 1947. Dans ce contexte, les moyens de production et les techniques de mise en scène ne sont en aucun comparables avec d’autres pays. Il n’en demeure pas moins que le réalisateur pallie les errances formelles (manque de spontanéité dans les échanges, enchaînement des séquences pas toujours fluide…) par une vision engagée, soucieuse d’interpeller le spectateur par quelques constats sociaux.

« Les Guêpes sont là marque avant tout le rapprochement entre des considérations sociétales et politiques opposées. »

Les Guêpes sont là marque avant tout le rapprochement entre des considérations sociétales et politiques opposées. La plus évidente tient à ce mépris et cette mécompréhension réciproques qui séparent les villageois des citadins. Cependant, ce rapport houleux dissimule un mal plus pernicieux où l’héritage colonialiste du pays s’investit dans son économie. On voit ainsi se confronter les préceptes marxistes aux velléités capitalistes. Les uns, opportunistes, parasitent et ravagent leur environnement. Les autres subissent et trouvent de maigres compensations à travers le tabac, l’alcool. On ne parlera pas d’une perte des repères moraux, mais d’un délaissement progressif des traditions au profit d’une uniformisation toute consumériste du mode de vie affiché.

Ce n’est pas tant la volonté de dénoncer les errances d’un système inégalitaire qui prévaut, mais d’exprimer la peur de le voir se développer, se répandre. Dès lors, le film s’avance comme un legs. L’instantané d’un passé révolu dont les soubresauts s’agitent au gré des vagues. À la représentation picturale de la péninsule de Kalpitiya, il en ressort un traitement documentaire, presque idéalisé. Celui-ci témoigne des rivages vierges de toutes infrastructures touristiques, d’une communauté qui s’appuie encore sur les fruits de la pêche. Activité qui fait l’objet de séquences prises sur le vif sur les plages du village côtier. En ces circonstances, cette évocation presque intemporelle (exception faite de certaines tenues vestimentaires et des véhicules) n’est pas sans rappeler le travail de F.W. Murnau sur Tabou pour dépeindre la vie de tribus polynésiennes.

« Dharmasena Pathiraja traite son histoire avec un engagement non feint. »

À ces considérations, l’intrigue joue de prétextes sur les ficelles d’une romance plus ou moins intéressée. On atermoie entre la sincérité des sentiments et l’opportunisme tout lascif que suggèrent les rivalités masculines. Sur ce point, on retrouve les fondamentaux et les références du cinéma indien. On a également droit à des chansons (non chorégraphiées) qui viennent illustrer quelques moments clefs. L’une de ces séquences s’arroge quelques digressions oniriques pour évoquer les tourments qui animent les protagonistes. Cet aspect n’est guère prépondérant, mais il dénote par rapport à la tonalité dramatique, voire tragique, qui émane du climat ambiant.

Au final, Les Guêpes sont là est un film à la confluence des époques, des influences et des horizons cinématographiques. En filigrane d’une romance vouée à l’échec, catalyseur de toutes les tensions, Dharmasena Pathiraja traite son histoire avec un engagement non feint. En dépit de maladresses anecdotiques sur la forme, le réalisateur srilankais fait se heurter des cultures et des motivations foncièrement différentes, voire incompatibles. Il évite le piège du brûlot politique pour privilégier l’expression d’un constat inéluctable, presque fataliste, quant aux dissensions sociales et morales. Un cinéma méconnu, dont la force de conviction et les arguments interpellent.

Note : 15/20

Par Dante

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