avril 24, 2024

Le Grand Jeu – Benjamin Lupu

Auteur : Benjamin Lupu

Editeur : Bragelonne

Genre : Steampunk

Résumé :

1885, Constantinople. Le tsar est tombé depuis 60 ans et une nouvelle puissance s’est levée à l’est. Le Nouvel Empire russe est devenu la première dictature industrielle. Ses dirigeables géants, ses chars et ses exosquelettes à vapeur ont assis sa domination face à l’Alliance de l’Ouest. L’Empire ottoman survit dans une fragile neutralité et sa capitale est le théâtre d’un jeu d’espions sanglant. Martina Krelinkova, aventurière et monte-en-l’air, débarque à Constantinople avec une réputation sulfureuse alors que le Primat Imperator russe s’apprête à restituer au sultan un diamant légendaire : le Shah.
A peine arrivée, elle découvre que sa sœur a mystérieusement disparu. Tandis qu’un jeu du chat et de la souris s’enclenche à un rythme effréné, les obstacles se multiplient pour la voleuse. Parviendra-t-elle à retrouver sa sœur et à s’emparer du Shah, tout en mettant au jour les sombres intrigues du Grand Jeu ?

Avis :

Si le steampunk est un formidable moyen de revisiter l’histoire de manière détournée, le genre instaure également des atmosphères d’une grande singularité. À la confluence des inspirations et des styles littéraires, il nécessite un minimum de rigueur quant au respect de ses fondamentaux et des contextes évoqués. Bien souvent, il s’insinue dans un XIXe siècle alternatif où les bonds technologiques ont pris un peu d’avance sur le cours réel des évènements. Avec Le Grand jeu, Benjamin Lupu s’immisce dans les années 1880 où la Russie n’a pas attendu la révolution russe de 1917 pour renverser le régime tsariste et s’imposer comme un empire aussi puissant que vaste.

D’emblée, on devine la passion et les connaissances d’érudit de l’auteur en matière d’histoire. La première partie de l’ouvrage est une mise en place méticuleuse quant à l’époque et aux évènements alternatifs à notre réalité. Cela tient autant à la situation géopolitique qu’à des découvertes technologiques qui se sont démocratisées en seulement quelques années. Par exemple, les dirigeables ou les exosquelettes, ancêtres des robots. Avant de développer une atmosphère décalée et pleine d’originalité, on appréhende le récit par des descriptions fouillées et un univers cohérent, dont la crédibilité floue davantage les frontières avec la réalité.

Preuve en est avec le titre qui fait sans doute allusion aux affaires d’espionnage qui ont vu s’opposer l’Empire britannique à la Russie tsariste en Asie centrale durant la même période. D’ailleurs, l’un des aspects prépondérants du roman est de s’appuyer sur ces faux-semblants, ces manipulations et ces joutes intestines pour prendre le contrôle de l’Empire ottoman. Ainsi, l’Alliance de l’Ouest se confronte au Nouvel Empire russe. Les enjeux sont bien amenés et exposés pour dépeindre les velléités des deux forces en puissance. Malgré la présence de nombreux intervenants, les explications permettent de visualiser leur place au sein des évènements et de l’intrigue.

Récit qui, au demeurant, ne se contente pas de présenter un échiquier géopolitique complexe. En effet, Le Grand jeu s’arroge certains atours du roman d’aventures. On songe au cadre moyen-oriental qui tisse des tableaux aussi dépaysants qu’immersifs. Là encore, la reconstitution offre une incursion entraînante, tout en appréciant, avec surprise, les détournements que l’auteur s’est autorisés avec l’histoire. Comme évoqué précédemment, les évolutions technologiques sont bien présentes. Il ne s’agit pas d’un simple décor scénique, mais d’éléments qui ont leur importance dans certaines séquences clefs. Cela vaut aussi bien pour les passages au sein des dirigeables que pour les affrontements où les combattants sont harnachés avec les exosquelettes.

Afin de dynamiser l’intrigue, si besoin est, l’auteur insuffle également un parfum de clandestinité à travers la préparation d’un vol téméraire. Cela sans compter sur la recherche d’un proche disparu. À ce titre, la palette de protagonistes fait montre de complémentarité pour déambuler dans ce Constantinople alternatif. Leurs intérêts ne convergent pas forcément, mais les caractères sont marqués et bien campés pour distinguer leurs motivations respectives. Pour rendre les personnages d’autant plus vraisemblables, leur évolution demeure progressive et mesurée. Pour ne rien gâcher, on retrouve ces petites touches de légèreté à travers des réparties bien senties tout en appuyant sur l’aspect distrayant de l’intrigue.

Au final, Le Grand jeu est un roman steampunk enthousiasmant. Bien que fantasmée, l’incursion historique est travaillée dans le sens où les évènements avancés sont plausibles. On apprécie aussi la qualité des descriptions et la capacité de l’auteur à immerger son lectorat dans cette fin de XIXe siècle alternative. En tant que terrain de toutes les convoitises, le Moyen-Orient confère une ambiance dépaysante, teintée d’aventures et de périls en tous genres. Si le canevas de cet univers est tissé avec soin, Benjamin Lupu lui donne du relief avec des péripéties aux enjeux diversifiées. Cela vaut pour les affaires d’espionnage qui se jouent de l’ombre pour mieux faire la lumière sur une disparition ou mettre la main sur un diamant inestimable. Une incursion détonante qui se démarque par une vision historique inventive et audacieuse.

Note : 16/20

Par Dante

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