Auteur : Gou Tanabe
Editeur : Ki-Oon
Genre : Seinen
Résumé :
En 1927, le jeune Robert Olmstead débarque à Newburyport. En quête de ses origines, il n’a d’autre option, pour atteindre sa destination, que de prendre un bus qui passe par Innsmouth, ville voisine sur laquelle courent d’effroyables rumeurs : pacte avec les démons, habitants difformes, culte ésotérique d’un étrange dieu marin…
La peur qu’elle inspire est telle que personne n’ose s’y rendre, et nul ne sait ce qui se cache derrière les façades de ses maisons délabrées… Pourtant, les mises en garde des résidents de Newburyport, loin de décourager Robert, le poussent au contraire à s’intéresser à ce lieu pestiféré : il décide d’explorer les méandres de la cité maudite ! C’est le début d’une descente aux enfers qui le mènera aux portes de la folie…
Avis :
Gou Tanabe est un auteur de mangas qui va très vite se trouver une contrainte : son incapacité à écrire des scénarios. Autant, il est très doué pour le dessin, autant niveau écriture, il n’y arrive pas, et il va vite demander à son éditeur des histoires à mettre en images. Il va alors s’attaquer à des récits de Maxime Gorki, Tchekhov et H.P. Lovecraft. C’est avec ce dernier qu’il va connaître une belle notoriété, allant même jusqu’à être nommé pour les Eisner Awards dans la catégorie meilleure adaptation d’un autre média. Et force est de reconnaître que, globalement, ses adaptations sont de bonne qualité, avec un trait particulier qui sied à merveille à l’univers de l’auteur de Providence. Pour autant, on s’est vite rendu compte qu’avec La Couleur Tombée du Ciel, le mangaka pouvait se confronter à une grosse contrainte, le noir et blanc.
De ce fait, si l’on suit l’ordre de sortie par Ki-Oon, Le Cauchemar d’Innsmouth arrive après l’adaptation citée auparavant, et on n’avait pas forcément envie de retomber sur une nouvelle petite déception. Ce ne sera pas le cas, et cela grâce à deux choses toutes simples : une histoire sur deux tomes qui permet de mieux prendre son temps, et un noir et blanc qui s’accorde parfaitement à l’histoire imaginée par Lovecraft. Ici, on va donc suivre Robert, un jeune homme qui bourlingue un peu partout pour découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles architectures. Il en profite aussi pour faire des recherches généalogiques, et il tombe sur la ville étrange d’Innsmouth, que tout le monde lui demande d’éviter. Il va quand même se rendre sur place, mais il va vite déchanter, la population étant des plus étranges, et les histoires glauques commencent à s’accumuler.
D’un point de vue purement scénaristique, Le Cauchemar d’Innsmouth raconte comment une ville va tomber sous le joug de créatures marines démoniaques, dont le souhait est de renverser l’humanité afin de faire revenir à la vie un grand ancien qui vit dans les abysses. On y retrouve tous les thèmes fétiches de Lovecraft, à savoir une sorte de déshumanisation, un nihilisme assez misanthrope et une terreur qui monte petit à petit. Le personnage de Robert va se retrouver dans un engrenage qu’il ne comprend pas, et le développement en deux tomes est malin, le premier présentant la ville et la malédiction, le deuxième allant plus dans l’action et la chute de la ville, ainsi que celle de Robert. Gou Tanabe gère relativement bien son suspens, même si on peut reprocher une fin abrupte du premier tome, qui donne vite envie de lire la suite.
Pour autant, au-delà de l’histoire en elle-même, c’est la terreur profonde que l’on ressent à la lecture, qui nous saisit rapidement. La dégénérescence des habitants d’Innsmouth, leur aspect visqueux, la lente attaque qui se prépare, avec des monstres de plus en plus présent, il y a une vraie montée de l’angoisse et de la peur, qui fait que l’on craint pour Robert, qui raconte cette histoire à la première personne. L’exploration de la ville permet aussi de voir un homme qui comprend dans quelle mouise il s’est mis, et qui décide alors de se sauver, seul face à une horde sauvage. Robert est seul, et les rares humains qu’il rencontre ne font pas long feu, ou alors cachent quelque chose de sordide. Et Gou Tanabe arrive bien à cerner cette atmosphère à travers ses dessins, qui trouvent un bel écho par rapport à la précédente histoire.
Ici, il n’y a pas besoin de couleur pour rendre l’ensemble angoissant. L’auteur le sait, et il va en profiter pour travailler sur ses aplats de gris et de noir, afin de donner corps à ces hommes-poissons et aux abysses. Il y a aussi une belle décrépitude de la ville, qui est laissée à l’abandon, mais qui présente aussi des aspects de cité cyclopéenne engloutie, comme si des algues pendaient aux fenêtres. De plus, afin de mieux nous étouffer dans des dessins fouillis et riches, on aura droit à de sublimes double-planches qui présentent des monstres en gros plans, de terribles attaques, ou encore des hordes qui font penser à une masse informe et suintante dévalant les routes pour envahir le monde. C’est à la fois monstrueux et beau, et le mangaka gère parfaitement le dynamisme des cadres pour mieux nous cueillir.
Au final, Le Cauchemar d’Innsmouth est peut-être la meilleure adaptation de Gou Tanabe, avec Les Montagnes Hallucinées. Encore une fois, l’auteur montre qu’en prenant son temps sur deux tomes, il peut mieux s’exprimer à travers l’histoire de Lovecraft, et en profitant pour offrir des dessins à la fois sublimes et angoissants, renforçant un sentiment d’insécurité et de danger imminent. Une belle réussite donc, qui parvient sans mal à nous rendre mal à l’aise, et qui rend un bel hommage à cet auteur disparu trop tôt, au milieu de ses grands anciens et autres cultistes fous.
Note : 17/20
Par AqME