De : Stéphane Freiss
Avec Lou de Laâge, Riccardo Scamarcio, Pierre-Henry Salfati, Liv del Estal
Année : 2023
Pays : France, Italie
Genre : Drame
Résumé :
Une famille juive ultra-orthodoxe d’Aix-les-Bains se rend chaque année dans une ferme du sud de l’Italie pour un bref séjour afin d’accomplir une mission sacrée : la récolte des cédrats. Esther, la fille du rabbin, en pleine remise en cause des contraintes imposées par sa religion fait la connaissance d’Elio, le propriétaire de la ferme. Et si le face à face entre ces mondes était la genèse d’une autre histoire ?
Avis :
Acteur accompli à la carrière généreuse et belle, Stéphane Freiss a passé une quarantaine d’années à jouer pour des réalisateurs de renoms tels qu’Agnès Varda, David Hamilton, Philippe De Broca, Steven Spielberg, François Ozon, ou encore Clint Eastwood ou Emmanuel Mouret (pour ne citer qu’eux). Mais arrivé à un moment de sa vie, Stéphane Freiss a eu envie d’autre chose, et il s’est mis à écrire, comme si seul l’écriture pouvait redonner un sens à sa vie. Puis de cette écriture, Stéphane Freiss s’est mis en tête de réaliser ce premier scénario.
Pour son premier long-métrage, on ne peut pas dire que Stéphane Freiss ait choisi la facilité, puisqu’avec « Tu choisiras la vie« , le réalisateur nous entraîne dans une observation, celle du questionnement et peut-être l’émancipation d’une femme juive orthodoxe. Lourd, étouffé à l’image des sentiments et des sensations de son personnage qui est en pleine remise en question, ce premier film de Stéphane Freiss est intéressant dans ce qu’il raconte, mais face à cela, l’ensemble manque d’émotion. Certes, le film est touchant, d’autant qu’il est particulièrement bien tenu par son duo d’acteurs, mais malgré ça, on a une tendance à rester sur notre faim, comme s’il lui manquait l’étincelle qui aurait mis le feu aux poudres.
« Stéphane Freiss peint un protagoniste qui est prisonnier, ou du moins, qui se sent prisonnier de sa religion. »
Esther vient d’une famille juive orthodoxe ultra conservatrice, qui respecte la religion à la lettre. C’est bien simple, la famille n’est que religion. Tous les ans, la famille se rend dans le sud de l’Italie pour y cueillir dans une ferme le cédrat, un fruit sacré dans les écritures qui ne pousse que sur ces terres-là. Esther, qui n’a connu que la religion dans sa vie, se sent de plus en plus étouffée par cette dernière, qui n’est à ses yeux que contrainte et souffrance inutile. Mais comment se libérer de cette vie, et derrière, comment avoir le courage d’oser aller vers une autre vie ? Sa rencontre avec Elio, le propriétaire de la ferme, pourrait changer bien des choses…
La religion, l’amour qu’elle peut susciter, mais aussi ses contraintes, au rayon des sujets brûlants, je crois que ce dernier est l’un des boss. Il est difficile de juger une religion d’autant plus lorsqu’on n’en a pas vraiment. Pour son premier film, Stéphane Freiss s’y est risqué au travers d’un film qui se pose comme un beau portrait de femme en pleine remise en question.
Ayant été élevé par son père qui n’est pas vraiment religieux, alors que sa mère est le parfait opposé, vivant dans un petit village en Israël, Stéphane Freiss a donc navigué dans deux mondes et il s’est nourri de cela pour écrire et réaliser ce « Tu choisiras la vie« .
C’est dans un décor ensoleillé et paradisiaque que le réalisateur nous entraîne pour une heure quarante de film intéressant, qui va poser pas mal de questions. Au plus près des doutes et des souffrances de son personnage, Stéphane Freiss peint un protagoniste qui est prisonnier, ou du moins, qui se sent prisonnier de sa religion. La religion est amour et est censée apporter amour et réconfort, mais qu’en est-il lorsque cette dernière finit par se poser comme une contrainte et une source d’infinie malheur ? La religion juive orthodoxe se plie à des règles très précises, et il est intéressant que Stéphane Freiss ait pris le parti de filmer l’évolution d’une jeune femme qui rêve d’autre chose, toute en étant terrifiée par cette autre vie qu’elle aurait envie de vivre.
« Du point de vue de l’écriture, « Tu choisiras la vie » est complet, précis, intéressant et dense. »
Au travers de son personnage, ses réflexions et ses maux, le réalisateur questionne le devoir, la famille, le courage, la place de la femme au sein d’une branche de la religion qui ne lui laisse quasi aucune place. Le réalisateur parle aussi des jeunes générations, avec le personnage d’Ariel, un jeune homme du même âge qu’Esther, dont les parents souhaiteraient qu’ils se marient. Toujours de ce côté-là, Stéphane Freiss parle des réseaux sociaux, de ce qu’ils peuvent apporter de bon comme de mauvais, libérant certains, et enfermant d’autres. Puis enfin, un peu comme pour nous donner une référence, Stéphane Freiss a écrit le personnage d’Elio, qui observe ces personnages, qui suit Esther, qui comprend, autant qu’il essaie de ne pas vraiment prendre parti. Bref, du point de vue de l’écriture, « Tu choisiras la vie » est complet, précis, intéressant et dense.
Mais voilà, derrière toute ça, derrière ces bons personnages et les réflexions qu’ils apportent, ce premier film, même s’il se fait parfois touchant, a du mal à l’être sur tout son long. Ou du moins, il est touchant, mais il y a une distance qui se crée, et avec elle, il y a quelque chose qui manque au film pour pleinement nous emporter. De manière vulgaire, on pourrait dire que le film « est sympa, mais ça s’arrête-là ». Un tel ressenti est dommage, car avec un tel sujet, le parti-pris de Stéphane Freiss et surtout toutes les réflexions et les sources d’intérêt qu’il véhicule, on s’attendait à être bien plus touché et emporté.
« Ce premier film signé Stéphane Freiss se pose comme une jolie première œuvre. »
« Tu choisiras la vie » est un film qui est incarné par deux comédiens qui tiennent bien leur rôle. D’un côté, il y aura l’observateur qui sera joué par l’excellent Riccardo Scamarcio. Ce qui est excellent avec ce personnage, c’est le regard et les silences qu’il pose sur ce qu’il voit. Puis derrière ça, Stéphane Freiss lui fait dire peu de choses, on pourrait presque dire que le personnage est taciturne, mais dès qu’il parle, c’est pour apporter de la réflexion et de l’intérêt à l’ensemble. On notera aussi une belle complicité naissante avec le personnage d’Esther, qui ne va cesser de s’ouvrir au fil du film. Une Esther qui est très bien tenue par Lou De Laâge qui trouve là l’un de ses meilleurs rôles, très convaincante et touchante en jeune femme étouffée qui se perd, et qui ne sait où trouver le courage de partir ou de rester.
Ce premier film signé Stéphane Freiss se pose comme une jolie première œuvre. Si on peut être déçu de ne pas avoir été autant touché qu’on l’aurait voulu, ou qu’on s’y attendait, il n’empêche que sur l’ensemble, « Tu choisiras la vie » se laisse regarder avec intérêt. Ainsi, malgré une touche de déception, je ne regrette pas de m’être arrêté sur ce film. À voir, même s’il n’est pas non plus l’essentiel de la semaine.
Note : 13/20
Par Cinéted