avril 25, 2024

La Sentinelle

De : Arnaud Desplechin

Avec Emmanuel Salinger, Thibault de Montalembert, Jean-Louis Richard, Emmanuelle Devos

Année : 1992

Pays : France

Genre : Thriller, Drame

Résumé :

Mathias, qui vivait en Allemagne, décide de regagner la France. Dans le train, il croise un homme qui le menace, l’insulte et disparait. Il découvre le lendemain dans sa valise une tête humaine réduite à la manière des Indiens Jivaros. Mathias ne pense plus qu’à cette tête, tente de percer son mystère et s’isole totalement du monde…

Avis :

Arnaud Desplechin est un réalisateur français qui aujourd’hui connait un certain succès. Metteur en scène depuis les années 90, il s’est toujours appuyé sur des sujets forts, lorgnant vers la politique ou les drames sociaux. Bien évidemment, cela lui a valu un regard méfiant de la part d’une tranche de spectateurs qui aiment le grand spectacle et les mises en scène nerveuses. Arnaud Desplechin préfère prendre son temps pour dépeindre ses intrigues, et cela va parfois porter ses fruits (Roubaix, Une Lumière) et parfois, cela ne va pas fonctionner (Les Fantômes d’Ismaël). Comme toute carrière, celle du cinéaste a un début. Un début qui prend racine au début des années 90 avec un premier moyen-métrage, La Vie des Morts, puis un premier long-métrage avec La Sentinelle. Thriller politique tortueux, le réalisateur ne choisit pas la facilité pour un premier film, et pourtant, il délivre quelque chose d’assez intéressant.

La tête dans le sac

Le film débute en Allemagne. On y rencontre Mathias, dont le défunt père fut un ambassadeur français. Mathias rentre en France avec un ami, mais lorsqu’il arrive chez lui, il découvre une tête dans sa valise. Médecin légiste en formation, il décide alors de découvrir ce qui se cache derrière cette tête. Entre une vie tumultueuse dans un Paris tout nouveau pour lui, une sœur un poil dépressive et des services secrets qui l’espionne à cause de son père décédé et des tensions qui règnent entre la France, l’Allemagne et la Russie, la vie de Mathias n’est pas de tout repos. Ainsi, avec cette intrigue, Arnaud Desplechin aborde plusieurs thèmes, qui oscillent constamment entre le drame, le thriller et l’espionnage. Si chaque thème est plutôt compartimenté, l’ensemble va se révéler assez brouillon à comprendre. Notamment en ce qui concerne l’espionnage et les relations tendues entre les pays.

Le film laisse beaucoup de place à l’extrapolation, et jusqu’à son final, il sera difficile de voir les tenants et les aboutissants de la partie thriller. Mathias se met en ménage avec un type du ministère de la défense, un jeune loup difficilement cernable et clairement antipathique. De là, on va avoir droit à quelques explications sur les notions d’espionnage, mais rien n’est clairement dit. Tout comme la fin, lorsque Mathias pète un plomb et semble vouloir trahir son pays, délivrant un bout d’ossement à un ressortissant russe, lors d’une soirée huppée. Bref, tout cela est très cryptique et il faut en plus remettre cela dans le contexte de l’époque. Le film datant du début des années 90, il doit y avoir des faits historiques obscurs qui justifient cette méfiance envers l’autre. Si l’on n’a pas les codes, c’est parfois compliqué à appréhender.

La vie parisienne

Malgré le côté complexe de l’intrigue dans sa partie espionnage/thriller, le film réussit tout de même à captiver par d’autres aspects. En premier lieu, le personnage de Mathias est très attachant et très intéressant à suivre dans son évolution. Tout d’abord très timide et timoré, il va devoir se faire violence pour vivre pleinement. Il est alors poussé par sa sœur, chanteuse lyrique en devenir, qui va l’emmener dans des soirées mondaines. Il va alors faire plusieurs connaissances, qui seront souvent intéressées. Mais c’est dans son métier qu’il semble prendre le plus de plaisir. Médecin légiste, il va prendre tout ce qu’il a en sa possession pour mener son enquête sur la tête coupée. Toute cette partie est très intéressante, car elle est filmée comme un thriller, une enquête à résoudre. Et là, Arnaud Desplechin ne lésine pas sur certains effets gores, notamment lorsqu’il faut briser le crâne.

Outre les passages de médecine légiste, Mathias va aussi vivre sa vie de jeunes adultes dans les rues parisiennes. Il va rencontrer des gens, mais il va aussi trouver l’amour. Il établit alors une relation étrange avec la fille de l’un de ses formateurs, qu’il va dragouiller de façon plus ou moins directe. Cette romance permet de rendre Mathias plus humain et de lui donner de l’épaisseur. Dans sa mise en scène, Arnaud Desplechin reste très sobre, en utilisant les éclairages naturels et ne faisant aucun artifice. Cela donne au film un aspect très vrai, presque pris sur le vif, ce qui sera, par la suite, la marque de fabrique de son metteur en scène. Cela permet d’être au plus près des protagonistes, et de mieux ressentir certaines émotions, notamment chez Mathias pour qui la vie semble être un peu compliquée.

Un film d’acteurs

La Sentinelle fonctionne aussi grâce au casting. Emmanuel Salinger porte tout le film sur ses épaules et le jeune acteur est très convaincant. Il est un mélange très agréable de timidité et de retenue, qui va par la suite assister à une affaire qui le dépasse de loin, et qui trouve ses racines dans le passé de son père. Il est accompagné par quelques comédiens qui ont fait leur preuve depuis. Notamment un Thibault de Montalembert tout jeune, qui fait le parfait meilleur ami, mais qui fait passer les intérêts de la nation avant son amitié. On notera aussi une Emmanuelle Devos candide, qui va tisser une relation amoureuse ambiguë avec le « héros » de l’histoire. L’actrice s’en sort avec les honneurs et arrive à être intéressante et agaçante à la fois. Bref, tout ce petit monde joue très bien et permet au film d’être une réussite.

Au final, La Sentinelle est un film complexe de prime abord, qui ne livre pas toutes ses billes, notamment dans sa partie thriller/espionnage. Ce qui aurait pu être un mauvais point passe alors en second plan face à un personnage central empathique et attachant, qui va tenter de vivre une vie tumultueuse dans un Paris bouillonnant et au sein d’une communauté qui ne lui ressemble pas. Arnaud Desplechin, dans sa mise en scène crue, nous plonge au plus près d’un monde bruyant, où les faux-semblants sont omniprésents et l’honnêteté n’existe pas. Il en résulte un film intéressant, cryptique, mais tenu d’une main de maître par un réalisateur qui va devenir un incontournable de la scène française.

Note : 14/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

Voir tous les articles de AqME →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.