mars 29, 2024

38 Témoins

De : Lucas Belvaux

Avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia, François Feroleto

Année : 2012

Pays : France

Genre : Drame

Résumé :

Alors qu’elle rentre d’un voyage professionnel en Chine, Louise découvre que sa rue a été le théâtre d’un crime. Aucun témoin, tout le monde dormait.
Paraît-il.
Pierre, son mari, travaillait. Il était en mer.
Paraît-il…
La police enquête, la presse aussi.
Jusqu’à cette nuit où Louise rêve. Elle rêve que Pierre lui parle dans son sommeil.
Qu’il lui parle longuement. Lui qui, d’habitude, parle si peu.

Avis :

Réalisateur belge, au départ, Lucas Belvaux est venu à Paris au début des années 80 pour être comédien et pendant une bonne dizaine d’années, il va enchaîner les rôles. Des rôles chez Yves Boisset, Claude Chabrol, Andrzej Żuławski, Joseph Losey, Jacquette Rivette, Olivier Assayas. Puis en 1993, il réalise son premier film, « Parfois trop d’amour« . Depuis, il oscille entre comédien et réalisateur, même si c’est bien avec ce second poste qu’il se fait plus connaître désormais.

Après s’être fait grandement remarquer au début des années 2000 avec sa trilogie, « Un couple épatant« , « Cavale » et « Après la vie« , Lucas Belvaux n’a fait que confirmer son statut d’excellent réalisateur. Il conclut ses années 2000 avec « Rapt« , librement inspiré de l’affaire Empain. À cette occasion, le cinéaste collaborait pour la première fois avec Yvan Attal, qu’il retrouve ici trois ans plus tard, pour un drame assez glaçant.

Avec « 38 Témoins« , Lucas Belvaux livre un drame psychologique assez intense, malgré un rythme assez lent, qui pourrait en faire décrocher quelques-uns. Intéressant, voire même terrifiant dans ce qu’il raconte de la société, « 38 Témoins« , au fur et à mesure qu’il creuse son sujet et ses personnages, se fait de plus en plus marquant, allant jusqu’à cette fin qui, comme je le disais, se fait terrifiante.

Louise rentre de voyage ce matin-là et quand elle arrive chez elle, elle apprend que la nuit passée, un meurtre a eu lieu presque sous sa fenêtre. Cette nuit-là, tout le monde dormait, et personne n’a rien entendu, enfin paraît-il. Pierre, le fiancé de Louise, travaillait cette nuit-là, il n’a donc lui aussi rien entendu. Enfin, jusqu’à une nuit où Pierre se livre à Louise pendant qu’elle dort. Pierre a tout entendu, l’horreur des cris, l’agonie, et de sa fenêtre, il a même vu les derniers instants de la victime et Pierre, comme les autres, n’a rien fait, car oui, la victime a fait tellement de bruit qu’il est bien impossible que Pierre soit le seul à avoir entendu quelque chose cette nuit-là.

La lâcheté et la culpabilité de n’avoir rien fait, voilà à quoi s’intéresse Lucas Belvaux avec ce film au titre très évocateur. Car oui, si personne au départ n’a rien entendu cette nuit-là, tout est dans le titre. Un titre qui se pose alors comme très fort de sens, et qui en quelque sorte nous tiendra en suspens tout au long du film de Belvaux, jusqu’à ce que l’un d’entre eux parle et mette chacun face à sa propre lâcheté.

« 38 Témoins » est donc un constat et une histoire pour le moins glaçante, et glaçante est bel et bien le mot qui convient le plus pour cette foule de personnages qui, cachés derrière leur fenêtre, dans la pénombre, ont tout vu et tout entendu. Si « 38 Témoins » met un peu de temps à réunir tous ses ingrédients et s’il tient un rythme trop lent, prenant trop de temps pour arriver pleinement dans son histoire, cela ne l’empêchera pas d’être un drame incroyablement intéressant de par tout ce qu’il raconte de l’être humain. Lâcheté, déshumanisation, et derrière ça viendra le sentiment de culpabilité, car comment vivre et comment se plaindre de vivre après ce drame, quand une vie a été ôtée et que l’on est resté caché derrière ses fenêtres et que, pire encore, on est reparti se coucher ?

Creusant encore et encore ce sentiment, Lucas Belvaux saisit de par la pertinence de ses personnages, et l’horreur de sa situation. « 38 Témoins » est un drame tout en souffrance, et les questionnements et les jugements de son personnage, fabuleusement interprété par Yvan Attal, nous renvoient sans cesse à nous-même. Qu’aurions-nous fait dans cette situation-là ? On aimerait se dire qu’on aurait tenté quelque chose, que l’on n’aurait pas été lâche, qu’on ne serait pas resté caché, la trouille au ventre, mais comme le dit si bien un personnage, on ne le sait que lorsqu’on y est confronté. Le sentiment de lâcheté est aussi creusé lorsque ces témoins vont être mis face à leur horreur, lorsqu’une parole se libère. Diverses réactions vont être possibles, pour une peinture de l’être humain qui est encore une fois glaçante.

Toujours du côté de l’écriture, le film questionne aussi le jugement de ces témoins, par des biais qui vont se contrebalancer, avec d’un côté un procureur qui questionnera l’opinion publique et la vindicte populaire, et de l’autre la presse, qui sachant cette histoire, pèse les pour et les contre pour rendre cette histoire publique. Ce scénario, écrit par Lucas Belvaux, est donc un petit bijou, qui ne laissera pas indifférent. J’irais même jusqu’à dire que dans ses dernières minutes, il est à la limite du supportable, tant il glace le sang.

Du côté de la réalisation, « 38 Témoins » est un film qui pêche quelque peu, oscillant entre qualités et défauts. Ainsi, on sera surpris et piqué à vif de par le sens du suspens qu’installe son metteur en scène. Alors que comme je le disais, tout est dans le titre, Lucas Belvaux arrive à installer une tension qui ne fait que grandir et s’épaissir au fur et à mesure de son film. On notera aussi un esthétisme sombre, presque sans vie et sans émotion, ce qui pousse encore un peu plus le sentiment d’asphyxie que ressent le personnage principal.

Mais voilà, derrière ça, « 38 Témoins » est un film qui tient un rythme qui a parfois étrangement du mal à avancer. Lucas Belvaux livre un film qui peut laisser une sensation étrange, car il entre dans la case de ces films où il ne se passe rien et tellement de chose en même temps, ainsi, le cinéaste arrive à nous tenir, et bien nous tenir, même si parfois, à certains moments, les minutes peuvent être longues.

« 38 Témoins » est donc un bon, voire même un très bon, film. Lucas Belvaux, malgré les défauts que tient son film, nous entraîne dans une réflexion glaçante et terrifiante de l’être humain. Lâcheté, indifférence, peur de faire ou dire quelque chose, peur des jugement, cas de conscience, haine, rejet et devant ça, la culpabilité, le sentiment horrible et étouffant de n’avoir rien fait et de vivre avec, autant de sujets, de sentiments et de points de vue qui sont traités ici avec force et froideur. « 38 Témoins« , au fur et à mesure qu’il s’intensifie, ne laissera pas indifférent, et même il nous quitte avec horreur, lors d’une dernière scène insoutenable, où tous sont mis face à leur conscience. Bref, plus j’y pense et plus je me dis que malgré ses défauts, « 38 Témoins » est tout simplement brillant.

Note : 14/20

Par Cinéted

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