mars 19, 2024

Carnaval – Ray Celestin

Auteur : Ray Celestin

Editeur : 10-18

Genre : Policier

Résumé :

Si la Nouvelle-Orléans est la plus française des capitales américaines, elle est aussi considérée par beaucoup comme la face obscure du pays, enfouie au cœur du sud profond. Construite sur des marécages sous le niveau de la mer, la ville est depuis toujours la proie de tornades, d’ouragans, d’inondations, d’épidémies. La nature du sol en fait une cité qui se fissure, où même les morts ne peuvent être enterrés normalement. Alligators, serpents, araignées hantent ses marais. Ses habitants ont ainsi depuis longtemps l’habitude de la menace. Et pourtant… Lorsqu’en 1919 la ville devient la proie d’un mystérieux serial killer qui laisse sur les lieux de ses crimes d’étranges lames de tarot, la panique gagne peu à peu. On évoque le vaudou. Les victimes étant toutes d’origine sicilienne, les rivalités ethniques s’exacerbent. Un policier, Michael Talbot, un journaliste, John Riley, et Ida, une jeune métisse, secrétaire de l’agence Pinkerton, vont tout faire pour résoudre l’affaire. Mais eux aussi ont leurs secrets bien gardés. Alors qu’un ouragan s’approche de la ville, l’Ange de la mort, toujours aussi insaisissable, continue à sévir. Le chaos est proche.

Avis :

Il est très compliqué de se lancer dans un premier roman. D’autant plus quand celui-ci s’inspire d’un fait réel et qu’il va en jouer pour tisser une intrigue policière autour. C’est pourtant le risque que prend le britannique Ray Celestin avec Carnaval. Prenant pour contexte le célèbre tueur à la hache qui a sévi à la Nouvelle-Orléans en 1919, faisant six victimes, il va inventer une galerie de personnages et une enquête en plusieurs points de vue pour imbriquer des éléments qui vont trouver un suspect en plusieurs points communs. Très intéressant dans son fond historique comme dans le folklore de ces années-là, dépeignant un racisme prégnant et des enquêtes qui s’embourbent dans la corruption, Ray Celestin propose un premier récit réussi, qui lui valu d’ailleurs une belle récompense, celle du meilleur premier roman de l’année par l’Association des écrivains anglais de polar.

Carnaval débute fort avec un crime mystérieux. Des ressortissants italiens sont retrouvés morts chez eux, la tête en bouillie, une hache ensanglantée à côté des cadavres et des cartes de tarot. L’inspecteur Talbot est dépêché sur les lieux et doit mener l’enquête pour le compte de la police. Mais ce dernier n’est pas très apprécié de ses camarades, car il a foutu au trou son équipier, Luca, qui bossait aussi pour la mafia italienne. D’ailleurs, Luca sort de prison, et il est mandaté par un parrain pour mener son enquête de son côté, puisque le tueur ne s’en prend qu’à des italiens. A côté de ça, on va aussi suivre Ida, une jeune détective de la Pinkerton qui s’intéresse de près à cette enquête et qui va être aidée par son ami de toujours, Lewis, un musicien de jazz talentueux.

Toutes ces personnes vont alors graviter autour du tueur, empruntant des chemins divers pour tenter de résoudre cette énigme. Et c’est là l’un des points forts de Carnaval. Ray Celestin va faire prendre des routes différentes à ses protagonistes, pour aboutir, pourtant, au même assassin. De son côté, Michael Talbot, avec son nouvel équipier Kerry, va mener une enquête en employant les dispositifs de la police. Il va alors remonter dans la mafia italienne, avec une histoire de conflits de parrain. De son côté, Luca va devoir se débrouiller avec les rumeurs qui circulent dans la mafia. Il va donc retrouver des indices que la police n’a pas, puisqu’on reste en vase clos au sein des omerta de la mafia. Quant à Ida, elle va faire un lien entre un trafiquant de fourrures italien et une guerre des gangs qui ne cessent de grimper.

Si, au départ, on pourrait avoir du mal à voir où veut en venir l’auteur, on va rapidement comprendre les points de connexion. L’écrivain est suffisamment malin pour nous perdre dans les investigations, mais pour mieux nous cueillir par la suite et nous surprendre. Une surprise qui viendra des différentes méthodes d’investigations, mais aussi de la rythmique du livre, où chaque chapitre correspond à un personnage, dans une alternance narrative assez linéaire. Pour autant, cela se révèle payant, car on ne décrochera plus du livre pour savoir qui arrivera le premier au tueur à la hache, mystère toujours non résolu aujourd’hui. Le scénario est donc finement écrit, avec un fond qui se révèle très intéressant, notamment dans sa description de la Nouvelle-Orléans. La ville est un personnage à part entière, avec ses ruelles, ses démons et surtout, ses quartiers qu’il faut éviter en fonction de sa couleur de peau.

Ray Celestin, s’il écrit un vrai roman policier avec une grosse enquête, n’oublie de délivrer un vrai fond social et sociétal. Nous sommes en 1919, la prohibition se projette de plus en plus, et le racisme est là. La Nouvelle-Orléans est une ville cosmopolite où le racisme est prégnant. Les noirs, les italiens, les irlandais, les français, tous ont leur quartier et il ne faut pas se mélanger, sous peine de subir de grosses violences. Des violences qui sont dépeintes de façon frontales dans le roman, notamment lorsqu’Ida manque de se faire violer dans le quartier italien car elle est noire. Le roman possède de ce fait un vrai fond, à la fois historique et social, démontrant des mentalités qui n’ont pas beaucoup évolué depuis. Le racisme est toujours présent, et il est toujours aussi violent.

Enfin, la dernière force de ce récit, c’est clairement les personnages. Michael Talbot, le policier, a un fort background, avec son visage crénelé à cause d’une maladie. Il a fait coffrer son partenaire, et en plus, il est marié à une femme noire, avec qui il a eu deux enfants. Chose inimaginable pour l’époque et qui sera comme un fardeau pour lui. Ida est une femme forte, qui va se rendre compte que les méthodes de la Pinkerton ne lui correspondent pas et qu’elle prend parfois trop de risque pour résoudre des enquêtes. Son personnage est intéressant par son abnégation pour résoudre des affaires. Lewis est un personnage touchant, homme battu, père de famille et musicien de talent qui va tout faire pour aider Ida, mais aussi pour percer dans la musique.

Luca est plus sombre, mais il reste très empathique dans son parcours et sa vision des choses, pardonnant finalement à Michael. On pourrait s’arrêter là, mais les personnages secondaires sont aussi bien travaillés. On peut évoquer le journaliste Riley, détestable au possible et négociant des informations pour un bon article. On peut aussi évoquer Kerry, ce jeune flic irlandais qui n’avait aucun avenir dans son pays natal et qui tente sa chance aux States. Un personnage touchant et empathique de par sa bienveillance. Bref, Ray Celestin offre une galerie de protagonistes assez riche et surtout, qui ne tombe jamais dans la facilité.

Au final, Carnaval, le premier roman de Ray Celestin, est une belle réussite. Si on peut se perdre au départ, avec cette multitude de personnages et les différentes trajectoires de l’enquête, l’auteur va vite nous happer dans son intrigue. Entrelacs de personnages intéressants, de multiples enquêtes et d’une Nouvelle-Orléans en proie à un racisme exacerbé, on peut aisément dire que nous faisons face à un roman costaud, dense, très accessible, et annonce le meilleur pour la suite, avec cet auteur, mais aussi ses personnages récurrents.

Note : 16/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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