De : Paul Urkijo Alijo
Avec Kandido Uranga, Eneko Sagardoy, Uma Bracaglia, Ramon J. Aguirre
Année : 2018
Pays : Espagne, France
Genre : Horreur, Fantastique
Résumé :
Espagne, 1841. Il y a maintenant 10 ans que la Guerre Carliste a pris fin. Un envoyé du gouvernement est dépêché sur les traces d’un mystérieux forgeron solitaire vivant au plus profond d’une forêt. Les villageois de la région le craignent et l’accusent même d’avoir scellé un pacte avec le démon qu’ils entendent chaque nuit hurler du plus profond de sa forge. Un jour, une jeune orpheline du nom d’Usue vient à pénétrer en ce lieu, menaçant de révéler le terrible secret du forgeron, réveillant une menace qui les mènera jusqu’aux portes de l’Enfer.
Avis :
Durant les années 60 et 70, le cinéma espagnol avait réussi un tour de force incroyable, imposer son cinéma horrifique. Si bien souvent aujourd’hui on classe ces œuvres sur l’autel du bis, reprenant souvent des concepts de chez la Hammer pour les rendre plus sexualisés ou plus libidineux, le cinéma d’exploitation horrifique espagnol a connu un véritable essor. Malheureusement, cet élan n’a pas résisté aux années 80 et 90, et il faudra attendre les années 2000 pour réentendre parler de nouveau du cinéma horrifique hispanique. En effet, si certains films sortaient de temps à autre, c’est avec Rec et l’avènement de Jaume Balaguero et Paco Plaza que ce cinéma est revenu sur le devant de la scène, permettant à plein de réalisateurs talentueux de se révéler. Désormais, avec Netflix, tous les pays peuvent prétendre à revenir en avant pour conquérir le trône du film d’angoisse. Mais c’est encore un espagnol qui semble vouloir montrer son talent.
Premier film pour Paul Urkijo, Errementari est un film concept assez barré, fortement novateur, mais qui ne va pas forcément au bout de son concept. L’histoire est assez simple, un forgeron est considéré comme diabolique dans un petit village basque. Une jeune fille pénètre dans son antre et libère sans prendre garde un enfant enfermé dans une cage qui était en fait un démon. Nouant des liens avec le forgeron, la jeune fille va être témoin d’une manipulation abjecte de l’état, qui veut tuer le forgeron, prétextant qu’il cache un trésor dans son atelier. Mais les hommes ne sont pas toujours ce qu’ils disent être. Très clairement, Errementari est un film malade dans le sens où son imagerie est vraiment intéressante et loin des sentiers battus. Le réalisateur se fiche pas mal des conventions et laisse libre cours à son imagination pour offrir un film différent et rafraîchissant malgré ses couleurs. Et surtout, Errementari met en avant un jeune cinéaste qui a un certain goût de l’esthétique et possède une vraie patte graphique.
Dans son fond, le film va s’amuser à critiquer la société, le paraître, la religion et bien évidemment l’humanité. On va retrouver tout le folklore local et toutes les absurdités de la religion à travers une pauvre fillette défigurée dont la mère est morte par suicide et tout le monde lui rabâche qu’elle pourrit en enfer. Rejetée de tous, moquée et en proie à des questions sur sa place dans ce monde, la jeune fille va se lier d’affection avec un homme que tout le monde croit mauvais. Si ce lien affectif est assez attendu, la relation reste simple et belle entre deux individus rejetés par une société qui ne connait aucune compassion et qui croit en un Dieu invisible et punitif. On ressent bien toute la haine qu’éprouve le jeune cinéaste envers la religion, tout en ne la rejetant pas, exprimant l’existence des démons et donc du paradis à quelque part. Mais son intelligence va plus loin puisqu’on ne verra jamais Dieu ou des anges, seulement des démons qui semblent étonnés d’entendre parler d’un quelconque Dieu lorsque le prêtre remercie le diable d’exister. Paul Urkijo laisse planer un doute sur l’existence d’un éden et c’est très réjouissant à quelque part.
D’ailleurs, son film ne se concentre que sur l’enfer et les démons qui peuplent les limbes de la terre. A aucun moment, on ne verra d’intervention divine ou une quelconque aide de la part du Seigneur, prouvant bien son inexistence ou son rejet de l’espèce humaine. Une espèce humaine qui va se révéler plus maléfique que les démons eux-mêmes. On trouvera des adultes sans éthique, prêts à tout pour gagner de l’argent ou se bourrer la gueule. On verra des femmes humilier des enfants, où les frapper sans cesse, n’écoutant jamais ce qu’ils ont à dire. On aura aussi droit à des jugements de valeur de la part des autres enfants, déjà adultes et primitifs dans leurs comportements, attisant la différence et la violence. D’ailleurs, le cinéaste ne laisse planer aucun doute sur ses intentions, s’amusant à transformer les démons en humains pour mieux tromper les vigilances. Si cet aspect est assez plaisant, il n’en est pas de même du côté des démons, qui vont bénéficier d’un traitement un peu trop léger et le film n’ira jusqu’au bout de son concept. Si on comprend bien que Paul Urkijo veut montrer que les humains sont pires que les démons, ces derniers sont presque trop gentils pour que l’on croit en leurs méfaits. Et c’est un des points faibles du film.
Néanmoins, d’un point de vue technique, Errementari tient largement la route. La mise en scène est inspirée et sans être vraiment folle, elle possède quelques plans de très jolie facture. L’imagerie de l’enfer est un poil cheap, mais c’est aussi dû à un budget limité et franchement, ça reste tout de même très agréable à regarder, même si cela aurait pu être plus grandiloquent et grandguignolesque. Mais le plus intéressant reste le jeu des couleurs et des textures. On oscille constamment entre un gris/bleu froid pour présenter les humains et le village, alors que l’atelier du forgeron et l’enfer est d’un rouge/jaune flamboyant, presque rassurant comparé à la lumière naturelle. Là encore, le message se veut clair, il vaut mieux être en enfer ou avec ce forgeron que dans ce village triste et maudit. Enfin, les effets spéciaux sont sympathiques, même si on est loin des grosses productions, laissant plus de place à l’artisanat et donc à des costumes intéressants, qui collent parfaitement à l’ambiance voulue du film.
Au final, Errementari est un bon film qui est très loin de toutes les conventions de films d’horreur que l’on peut bouffer à longueur de journée. A la fois dense et léger, pointant du doigt le côté malfaisant des humains et affichant une réelle volonté de poser une ambiance brumeuse lourde, proche d’un Mario Bava, Paul Urkijo réussit son premier coup d’essai en faisant un film atypique, mais qui fait du bien dans le marasme ambiant de l’horreur au cinéma qui se contente d’aligner les jump scare pour plaire à certains adolescents.
Note : 15/20
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Par AqME
Une réflexion sur « Errementari »