avril 20, 2024

Loving – L’Amour en Noir et Blanc

De : Jeff Nichols

Avec Ruth Negga, Joël Edgerton, Michael Shannon, Nick Kroll

Année: 2017

Pays: Etats-Unis

Genre: Biopic, Romance

Résumé:

Mildred et Richard Loving s’aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu’il est blanc et qu’elle est noire dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. L’État de Virginie où les Loving ont décidé de s’installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu’il quitte l’État. Considérant qu’il s’agit d’une violation de leurs droits civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux. Ils iront jusqu’à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l’arrêt « Loving v. Virginia » symbolise le droit de s’aimer pour tous, sans aucune distinction d’origine.

Avis :

Il y a des réalisateurs, comme ça…

Plutôt discret lorsque le public les découvre (et parfois pour de longues années), ils se mettent tout à coup à devenir extrêmement prolifiques.

L’exemple le plus fameux c’est bien sûr Terrence Malick, qui dans sa prime jeunesse s’est fait très réservé, avec trois films seulement en l’espace de 25 ans, et qui depuis La Ligne Rouge a augmenté sa cadence de tournage de manière exponentielle. Sept ans avant le Nouveau Monde, puis six avant Tree of Life, et depuis c’est presque un film par an estampillé Malick qui sort sur les écrans (avec deux projets différents en 2017 notamment).

Vous me direz, il aurait peut-être dû éviter, au vu des polémiques générées par ses derniers films, trop contemplatifs pour être honnête.

Ceci dit il y en a d’autre qu’on est très content de voir mettre la main à la patte plus souvent, comme Denis Villeneuve, dont la carrière restait plutôt confidentielle avant le coup de feu d’Incendies, et qui s’est vu sortir deux films en 2013, et n’a laissé qu’une toute petite année entre Sicario et Premier Contact (et alors que son Blade Runner 2049 est déjà prévu pour octobre 2017, le voilà annoncé sur une nouvelle adaptation de Dune).

C’est bien simple, à peine un film sorti, que le teaser du suivant est déjà sur la toile.

Jeff Nichols, lui, a fait encore mieux. Lui qui réalisait jusque-là avec une régularité tranquille a enquillé d’affilée Midnight Special et Loving, ne laissant même pas un an d’écart entre les deux films (et encore, si l’on se base sur les sorties US, il ne s’est passé que huit mois). Midnight Special venait à peine de quitter les écrans que Loving était présenté en compétition au festival de Cannes.

Ne deviendrait-il pas stakhanoviste, le père Nichols ?

Et bien pas vraiment, car le bonhomme, jusque-là habitué au cinéma de genre, fin, racé, mais de genre, change son fusil d’épaule pour nous conter l’histoire vraie de Mildred et Richard Loving, condamnés à quitter la Virginie pour s’être mariés.

Un peu fort de café me direz-vous ?

Ce qu’il faut préciser, c’est que Richard est un homme blanc, Mildred une femme noire, et qu’à la fin des années 50 aux Etats-Unis, il y a encore beaucoup d’états où ça ne plait pas trop de voir des personnes de couleur différente se marier légalement. C’est même un délit.

Et Jeff Nichols de raconter l’histoire intime d’un couple tout ce qu’il y a de plus adorable (dont le patronyme même est un vibrant cri d’amour lancé à la face de l’humanité) qui va peu à peu, par la force des choses, devenir l’Histoire, celle avec une majuscule, qui bouleverse les sociétés et fait virevolter les mentalités. Désireux de se battre contre cette loi absurde et ségrégationniste, les Loving tiennent bon, se trouvent un avocat, plaident leur cause auprès du sénateur Robert Kennedy, font valoir leurs droits au district, en appel, jusqu’à la Cour Suprême, dans ce qui est une des plus belles victoires pour l’Égalité des américains.

Un grand pas pour l’Humanité aurait dit Armstrong, mais surtout, et c’est ce qui fait une des forces du film, un très grand pas pour ce couple qui n’avait rien demandé à personne, si ce n’est le droit inaliénable de s’aimer comme ils le désirent. Comme le précisèrent les vrais Mildred et Richard en 1966 à l’occasion du sujet du Time, qui voulait médiatiser leur affaire : « Nous avons pensé aux autres, mais nous ne le faisons pas simplement parce que quelqu’un devait le faire et que nous voulions être ces personnes-là. Nous le faisons pour nous, parce que nous voulons vivre ici. »

Peu friands de l’attention qu’on leur portait, le couple Loving s’était d’ailleurs montré très discret sur la fin, préférant même ne pas faire le déplacement jusqu’à la Cour Suprême de Washington où se tint l’ultime verdict.

C’est cette volonté de rester dans l’intime plutôt que dans l’universel, ce « petit bout de la lorgnette » d’événements majeurs du XXème siècle, qui fait le charme principal de Loving, là où le déroulement général est couru d’avance, logique historique oblige.

L’histoire est forcément cousue de pas mal de fils blancs, et l’on sait pertinemment ce qu’il va se passer, tout simplement parce que le développement est commun à de nombreux récits similaires, et, pour le coup, historiquement évident.

Mais comme le dit l’adage, parfois l’important n’est pas la destination, mais le voyage, et à ce petit jeu-là Jeff Nichols sait pertinemment ce qu’il fait, tant il est coutumier des scénarios classiques transcendés par une réalisation maitrisée et une ambiance du tonnerre. Si l’on excepte l’étrange Take Shelter (au scénario d’ailleurs si particulier qu’il a failli en laisser plus d’un sur le carreau, votre serviteur compris), sa carrière se constitue de films au canevas très simple, à la structure linéaire très carrée. Ce qui n’est pas un défaut, au contraire, mais les films de Jeff Nichols, de toute évidence, ne sont pas de ceux qui vous emmènent dans les abîmes d’un scénario tortueux ou vous retourne le cerveau par leur ossature tarabiscotée. En clair, Nichols est un réalisateur bien plus posé qu’un David Fincher ou un Danny Boyle.

Aussi, il a toujours pris soin, autour de ces postulats classiques, de créer une ambiance, de laisser le spectateur apprécier les personnages, de prendre le temps de faire décanter les émotions. Ici, c’est avec énormément de douceur, de poésie, et avec une certaine forme de limpidité, qu’il se plonge dans cette histoire extrêmement touchante, d’autant plus révoltante qu’elle est historiquement vraie.

Le revers de la médaille, bien sûr, c’est que le film, très contemplatif, peut apparaître un peu trop posé, un peu trop lancinant et taiseux pour pleinement satisfaire.

Si l’on doit considérer que Loving est un « petit » Jeff Nichols, un poil en dessous des autres, cela sera surtout dû à ce manque relatif de piquant, le scénario et la réalisation (bien que de fort belle facture), étant chacun toujours trop simple pour relever l’autre et faire naître quelque chose de réellement passionnant.

Ce serait quand même se gâcher une partie du plaisir d’un film nécessaire, plein d’émotion, ne serait-ce que grâce au jeu des acteurs investis corps et âme qui rendent leur personnage immédiatement attachant.

Ruth Negga continue son grand écart cinématographique avec beaucoup de classe, elle qui s’est fait connaître avec Misfits, avant de frayer chez les Agents du SHIELD et dans l’apocalypse de World War Z, jusqu’à se retrouver simultanément à l’affiche du boursouflé Warcraft, au casting de la chaotique série Preacher, et en compétition à Cannes. Elle est une Mildred tout en douceur et en détermination, et prouve qu’elle est une actrice au panel plutôt complet.

Quant à Joël Edgerton, plutôt connu pour des rôles de durs à cuire et d’armoires à glace colérique, il est étonnant et troublant en solide gaillard timide et effacé qui ne comprend pas la haine qu’on leur porte et ne sait pas comment se battre contre l’adversité.

Et en bonus, Michael Shannon, fidèle du réalisateur (cinq films ensemble déjà) vient faire un petit coucou dans le rôle de Grey Villet, le journaliste de Life plein d’énergie et de bonne volonté qui vint les interviewer pour permettre au grand public de connaître leur histoire, et fit cette photo restée depuis célèbre.

Bref, Loving est de ces films tout simple mais nécessaire plus historiquement que cinématographiquement, et si Jeff Nichols n’apparaît pas aussi efficace dans la simplicité de sa réalisation que dans ses précédents films, on aurait tort de laisser passer cette poignante histoire d’amour qui défia les lois de l’époque.

 

Note : 15/20

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=v3ztpBTrDY4[/youtube]

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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