Titre Original : American Honey
De: Andrea Arnold
Avec Sasha Lane, Shia Labeouf, Riley Keough, Will Patton
Année: 2017
Pays: Etats-Unis
Genre: Drame
Résumé :
Star, 17 ans, croise le chemin de Jake et sa bande. Sillonant le midwest à bord d’un van, ils vivent de vente en porte à porte. En rupture totale avec sa famille, elle s’embarque dans l’aventure. Ce roadtrip, ponctué de rencontres, fêtes et arnaques lui apporte ce qu’elle cherche depuis toujours: la liberté ! Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de Jake, aussi charismatique que dangereux….
Avis :
L’avantage de festivals comme Cannes, c’est que l’on a accès à tellement de projections qu’on finit rapidement par se décider après un rapide coup d’œil au sujet ou à une image.
C’est ainsi que cette année je suis entré à la séance d’American Honey sans rien savoir du film, ni son scénario, ni son casting, ni son réalisateur, ni même sa durée, seulement quelques indices sur son point de départ.
C’est l’esprit totalement vierge que je découvrais cette histoire sur une certaine jeunesse désemparée mais pleine d’énergie et éprise de liberté. Ce qui a permis, au-delà des défauts et qualités du film, d’être incroyablement surpris par le long-métrage et l’équipe qui l’a réalisé.
Après coup, il apparaît qu’American Honey est la rencontre de trois personnalités fortes.
La réalisatrice d’abord, Andrea Arnold, qui s’était fait connaître en 2009 avec le remarqué Fish Tank (qui avait déjà gagné le Prix du jury cette année-là à Cannes), et dont on avait plus eu de nouvelles depuis 2011 et sa version des Hauts de Hurlevent.
Puis Shia Labeouf, acteur enragé au parcours chaotique, qui a commencé au Mickey Mouse Club, s’est fait connaître avec des teenage-movie et des blockbusters (Transformers en tête), avant de se diriger vers le cinéma d’auteur et les projets les moins consensuels. Il avait annoncé il y a peu arrêter le cinéma, et on est bien content qu’il soit revenu sur sa décision, tant son interprétation fiévreuse d’un jeune homme magnifiquement instable (genre de rôle dans lequel il excelle) est une des principales attraction du film.
Enfin, il y a Sasha Lane, jeune actrice de 21 ans, si resplendissante de charisme qu’on est certain de l’avoir déjà vu dans de nombreux films, alors que Star, la gamine qui n’a rien à perdre et ne sait pas quoi gagner, est son tout premier rôle au cinéma. Elle porte, avec son camarade plus expérimenté Shia, le film sur les épaules, d’une façon si convaincante qu’on jurerait voir une actrice accomplie.
On y retrouve aussi Riley Keough, petite fille d’Elvis Presley, qu’on avait pu voir dans Les Runaways et plus récemment Mad Max Fury Road, ainsi que ce vieux briscard de Will Patton, le temps d’une scène tendue comme un string neuf où Star fricote avec des cowboys milliardaires quinquagénaires pour leur vendre des magazines.
Car de ce trio cinématographique talentueux nait l’histoire d’une communauté de jeunes qui traverse les Etats-Unis de part en part pour vendre des abonnements de magazines au porte-à-porte (ou apprendre à le faire) ; et pour créer ce microcosme, cette école de la vie sans attache, pleine de bruit, de fureur et d’émotions, Andrea Arnold a puisé dans un vivier prompt à l’improvisation et au lâcher prise (qui ne sont pas forcément l’apanage des comédiens professionnels déjà bien installés).
De ce fait, en dehors des acteurs cités au-dessus, la quasi-totalité des protagonistes sont joués par des jeunes qui n’ont parfois qu’un ou deux films à leur actif, quand ce n’est pas comme Sasha Lane leur toute première expérience.
Et pourtant, elle est avec Shia Labeouf celle qui donne le plus de sa personne, dans cette odyssée houleuse et galvanisante en forme de road-movie à travers l’Amérique. De toutes les scènes, presque de tous les plans, elle n’hésite pas à aller au bout de son personnage, que ce soit dans des scènes visuellement intime ou psychologiquement douloureuse.
Il faut dire que le parcours de Star ne sera pas de tout repos.
Partie de rien, dans une famille très pauvre avec un père violent et une mère laxiste, où elle est la seule à s’occuper de son petit frère, elle s’embarque dans ce groupe d’olybrius en mode colonie de vacances pour jeunes adultes après avoir été convaincu par le bagou et la charme de Jake (Shia Labeouf).
Elle va découvrir un nouveau monde et une nouvelle façon de vivre, ou la liberté se dispute à un climat toujours instable, entre jalousies, béguins, rires, larmes, où la pression de leur « manager » (Riley Keough) est constante, et où leur indépendance se monnaie cher. Il faudra parfois forcer la main aux clients, voire voler, ou flirter avec la prostitution pour gagner sa croûte et ne pas rester à la traîne par rapport aux autres « vendeurs » (qui bizutent chaque semaine le plus mauvais d’entre eux dans des cérémonies qui finissent par ne plus être vraiment bon enfant).
L’ambiance d’American Honey reste donc toujours autant à fleur de peau que ses personnages, déstructurée, hésitante, toujours sur le fil. Cela se ressent dans le jeu des acteurs, parfois à la frontière de l’improvisation, dans la construction du récit, qui n’a pas vraiment de ligne directive et se laisse souvent flotter au gré des séquences, jusque dans la réalisation qu’affectionne Andrea Arnold.
Brillant sur le principe, furieux dans son énergie, brut, filmé à l’épaule et en 4 :3, sans carcan et avec la hargne qu’on généralement seulement les premiers films, American Honey est un film qu’on pourrait qualifier d’incroyablement libre.
Le revers de la médaille, c’est qu’à être toujours sur la brèche on peut parfois se casser la figure, et le film n’évite pas le chaud et le froid. Tantôt passionnant et pertinent, tantôt redondant et un peu lourd, sa structure volontairement éclatée et sa propension à laisser s’éterniser des séquences qui n’en avaient pas forcément besoin ont tendance à rendre le film un peu longuet sur la durée.
Il faut dire (encore une chose que j’ignorais en entrant dans la salle) que le long-métrage d’Andrea Arnold tutoie les 2h40, et prend bien son temps pour s’étaler et laisser vivre personnages et situations. Une intention louable, mais qui n’empêche pas le film de tourner parfois à vide, malgré la passion visuelle indéniable et sa profonde empathie pour ses anti-héros.
American Honey dégage une véritable énergie communicative, par son mode de production et sa volonté de laisser se créer l’ambiance plutôt que de suivre une histoire balisée, il permet des scènes d’une puissance assez remarquable, mais souffre d’un trop plein qui le rend boursouflé et parfois un peu bancal.
Au final, le film mérite évidemment d’être vu (et également son Prix du Jury) pour son ambiance collégiale débordante d’énergie et le jeu impeccable de la troupe d’acteurs, mais s’il reste une véritable expérience à tenter, il ne peut éviter les travers que peuvent avoir les œuvres sans garde-fou, ce côté boulimique qui peut aussi bien épuiser que lasser le spectateur.
Note : 15/20
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Corvis