avril 19, 2024

Spotlight – Au Nom du Pervers

Spotlight

 

Titre Original : Spotlight

De : Tom McCarthy

Avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Schreiber, Stanley Tucci

Année : 2016

Pays : Etats-Unis

Genre : Drame

Résumé :

Adapté de faits réels, Spotlight retrace la fascinante enquête du Boston Globe – couronnée par le prix Pulitzer – qui a mis à jour un scandale sans précédent au sein de l’Eglise Catholique. Une équipe de journalistes d’investigation, baptisée Spotlight, a enquêté pendant 12 mois sur des suspicions d’abus sexuels au sein d’une des institutions les plus anciennes et les plus respectées au monde. L’enquête révèlera que L’Eglise Catholique a protégé pendant des décennies les personnalités religieuses, juridiques et politiques les plus en vue de Boston, et déclenchera par la suite une vague de révélations dans le monde entier.

Avis :

Dans la course aux Oscars, on trouve souvent des films calibrés pour l’occasion, loin d’être dénués d’intérêt, mais qui, dans leur sujet, leur réalisation ou leurs jeux d’acteur, respirent une certaine volonté de faire de grandes choses et d’être récompensés pour elles.

Et puis il y a ceux qui se contentent d’être d’excellents films, gardant leur humilité, laissant parler leur sujet, sans que l’on sente une velléité d’afficher un quelconque désir de légitimité.

Spotlight est de ceux-là, et c’est principalement ce qui en fait un véritable chef-d’œuvre.

Ici pas de performance d’acteur ostentatoire, pas de réalisation conceptuelle à gratifier, pas de structure ou de montage qui devienne artificiel à force d’originalité forcée (ce qui était un peu le problème de The Big Short, également présenté aux Oscars). Tout est fait pour donner au récit et à ses thématiques le maximum de pertinence et d’efficacité.

L’histoire (entièrement vraie) de cette affaire de pédophilie et de sa dissimulation par l’église, qui prend peu à peu des proportions incroyables, est assez forte pour se suffire à elle même.

Le réalisateur Tom McCarthy, qui avait impressionné tout le monde en 2007 avec The Visitor, avant de se faire beaucoup plus discret (on lui doit entre-temps Les Winners, et l’Adam Sandler movie The Cobbler), a bien compris que sa mission sur une intrigue pareille était de trouver un juste équilibre pour la laisser s’exprimer tout en donnant à son œuvre une véritable personnalité. Ainsi, il oscille entre des formes très classiques de conversations en champ-contrechamp, des montages énergiques d’investigation, et des plans beaucoup plus étudiés, souvent de longs plans-séquences discret qui impose une ambiance pesante tout en laissant la part belle aux protagonistes.

Les acteurs eux-mêmes, conscients d’être les vecteurs d’un récit plus grand qu’eux, s’effacent humblement derrière leur sujet, préférant interpréter leur rôle avec le maximum de simplicité et d’acuité plutôt que de s’accaparer la lumière. L’avantage de prendre d’excellents acteurs avec un charisme inné comme Mark Ruffalo, Michael Keaton, Liev Schreiber, Stanley Tucci ou Rachel McAdams, c’est qu’ils n’ont besoin de rien faire de particulier pour investir leur personnage, simplement d’être là et de se sentir concernés.

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Dans Spotlight, pas de performance habitée et furieuse façon Eddie Redmayne pour The Danish Girl ou Leonardo DiCaprio dans The Revenant. Il faut dire que les protagonistes en eux-mêmes ne s’y prêtent pas. Journalistes d’investigation (Spotlight c’est eux) au sein du Boston Globe en 2001, ils ne sont que des hommes et des femmes ordinaires qui réussiront à faire quelque chose d’extraordinaire. Bien que l’interprétation reste impeccable, les personnages existent plus pour la situation et l’intrigue que pour eux-mêmes. Ce qui permet une identification encore plus immédiate, et explique sûrement l’absence de nomination dans les deux catégories de jeu principales.

Seuls Rachel McAdams et Mark Ruffalo ont les honneurs d’être nommés en tant que meilleurs acteurs/actrices secondaires. Et si, bien qu’elle soit toujours aussi convaincante, on peine à comprendre la présence du personnage effacé de McAdams dans la sélection, en revanche il est vrai que le seul héros à sortir du lot (et je dis bien héros et pas acteurs, ceux-ci étant tous excellents), par sa personnalité typée et son caractère bien trempé, est celui interprété par Ruffalo. Nerveux, têtu, aussi engagé que rêveur, Mike Rezendes est un personnage rempli de subtilités, un vrai rôle à défendre qui offre à son interprète certaines des meilleures scènes du film, notamment une séance de débat qui le voit, à bout, enfin exploser et exposer tous les ressentiments créés par cette enquête au reste de l’équipe.

Car c’est une autre grande réussite du film que cette progression non linéaire et pourtant si limpide.

Sur l’affiche du film, on peut lire un extrait d’une critique du Figaro qui dit « une enquête captivante ». Rarement ce terme un peu sur-utilisé n’a été aussi pertinent et représentatif d’un film. Nourri par la véritable histoire de ce scandale à la fois religieux et sociétal, aux péripéties si nombreuses, aux circonvolutions si complexes que l’on croirait parfois voir un scénario fictif écrit pour les besoins du film, Spotlight se construit par strates successives, par couches de plus en plus compactes. Au fil des scènes, on peut sentir la colère monter chez les journalistes, la tension augmenter, comme une soupière sous pression qui n’aurait pas de soupape. L’enquête prend de nouvelles proportions et de multiples chemins de traverse à mesure que la vérité se dévoile, et la simple pensée que tout ce qui nous est raconté a réellement eu lieu donne au film à la fois une saveur encore plus amère une portée encore plus grande.

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En réalisant Spotlight, Tom McCarthy réussit l’exploit de passionner avec un film principalement constitué de types qui discutent et d’interviews, et de conserver une limpidité de propos exemplaire, quand bien même les protagonistes navigueraient entre termes juridiques complexes et recoupages d’informations éreintants. On ne sent jamais passer les deux heures de films, et quand arrive ce dernier plan à la fois évident et plein de sens, on ne peut s’empêcher de ressentir un vide, comme si l’on voulait en savoir plus et suivre encore ces personnages.

Humilité, limpidité, efficacité, pertinence, on pourrait trouver encore beaucoup de superlatifs pour décrire la réussite de Spotlight, dont le sujet continue de nous prendre à la gorge jusque dans des cartons finaux qui font mal au cœur.

Tout au plus on pourra regretter la gestion du hiatus du aux attentats du 11 Septembre, qui força l’équipe à abandonner son sujet quelques mois pour se concentrer sur l’actualité, et qui semble un peu trop succinct et survolé pour ne pas avoir été sciemment passé à la trappe. Il aurait été très intéressants de voir plus en détails les répercussions de cette tragédie et de la situation qui en découle par rapport à l’enquête sur le mental des personnages, mais on imagine que le réalisateur a préféré couper court à une éventuelle dispersion du propos dans un film déjà long.

 

Devant les mastodontes des déjà oscarisés Steven Spielberg ou Alejandro Innaritu et les blockbusters de Ridley Scott et George Miller, Spotlight pourrait faire figure d’outsider discret, mais il n’est pas impossible qu’il réussisse à sortir son épingle du jeu, si tant est que l’académie soit pour une fois sensible à un film qui ne fasse preuve ni d’un académisme amidonné, ni d’une volonté conceptuelle trop ostentatoire.

L’avenir nous le dira.

Note : 19/20

https://www.youtube.com/watch?v=tb_WgKDqPsE

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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