avril 26, 2024

Carmilla – Sheridan Le Fanu

Auteur : Joseph Sheridan Le Fanu

Editeur : Le Livre de Poche

Genre : Fantastique, Horreur

Résumé :

Dans un château de la lointaine Styrie, au début du XIXe siècle, vit une jeune fille solitaire et maladive. Lorsque surgit d’un attelage accidenté près du vieux pont gothique la silhouette ravissante de Carmilla, une vie nouvelle commence pour l’héroïne. Une étrange maladie se répand dans la région, tandis qu’une inquiétante torpeur s’empare de celle qui bientôt ne peut plus résister à la séduction de Carmilla… Un amour ineffable grandit entre les deux créatures, la prédatrice et sa proie, associées à tout jamais « par la plus bizarre maladie qui eût affligé un être humain ». Métaphore implacable de l’amour interdit, Carmilla envoûte jusqu’à la dernière ligne… jusqu’à la dernière goutte de sang !

Avis :

Le vampire est aujourd’hui une figure imaginaire horrifique et gothique bien ancrée dans la culture populaire. Que ce soit à travers le cinéma ou la littérature, ou même les jeux vidéo, le vampire reste une valeur sûre pour beaucoup de monde et l’une des créatures fantastiques préférées de l’inconscient collectif. Pour autant, le vampire ne date pas d’hier et ses premières apparitions interviennent dans la littérature et notamment à la fin du XIXème siècle. Si pour beaucoup, le Dracula de Bram Stoker sorti en 1897 marque les débuts des suceurs de sang dans la mouvance gothique, c’est oublier ce bon vieux Sheridan Le Fanu, auteur irlandais à succès, considéré comme l’un des instigateurs de la littérature fantastique. Et, vingt-cinq ans avant le fameux comte, il lâchait la petite bombe Carmilla. Une petite bombe autant sur le plan de l’histoire que sur son fond, car à l’époque, évoquer les vampires et l’homosexualité féminine au sein d’un même récit, autant dire que ça a fait des vagues. Mais que reste-t-il aujourd’hui de Carmilla ? Tout simplement un chef-d’œuvre un peu trop méconnu et effacé par le massif Dracula de Stoker.

L’histoire de Sheridan Le Fanu prend place dans un vieux château en Styrie et on va suivre le récit de Laura qui va raconter son quotidien, celui de son père et son terrible ennui au sein d’un château isolé. Un beau jour, une carriole a un accident devant le château et le père recueille Carmilla pour lui donner des soins et attendre le retour de sa mère. Entre Laura et Carmilla, c’est le coup de foudre, et cela malgré le côté très taciturne de la jeune fille qui a un comportement bizarre et semble très lunatique. Bref, Carmilla est un vampire et Laura va en faire les frais. Dans les grandes lignes, l’histoire globale est très classique. Une jeune fille s’ennuie, elle recueille une fille de son âge dans son château et en tombe presque amoureuse, tissant des liens ambigus avec elle. Sauf que cette jeune fille recueillie cache un lourd secret et les morts s’accumulent dans la région. On nage en plein récit gothique, avec ce qu’il faut de pleine lune, de balade nocturne et de moments effrayants avec des sortes de spectres qui viennent durant la nuit. Et si aujourd’hui ça fait peur, qu’est-ce que ce devait être à l’époque ! Car pour nous, aujourd’hui, cette histoire est déjà vue, et surtout que Carmilla a déjà été adapté plusieurs fois au cinéma, mais en 1871, la terreur a dû être totale.

Mais la vraie force du récit, c’est qu’en très peu de pages (à peine 135 dans l’édition lue), Sheridan Le Fanu va brasser de nombreux thèmes, et pour certains qui devaient être tabous à l’époque. En mettant en avant cette relation entre les deux filles, on pourrait croire qu’il s’agit d’une sorte de sororité, d’affection mutuelle comme peuvent avoir deux sœurs, mais au fil des pages, à la manière dont Laura raconte ses sentiments et comment se comporte Carmilla, on sent bien que le rapprochement est charnel. Ainsi donc, l’auteur, vers la fin du XIXème siècle ose aborder l’homosexualité féminine et décrit certaines scènes avec précision. D’ailleurs, rien que pour l’époque, les passages dans le lit de Laura, alors qu’elle sent une présence près d’elle, ont dû faire scandale. Pour autant, il y a beaucoup de pudeur au sein du récit. Les sentiments de Laura sont esquissés avec justesse, n’en faisant jamais trop et les descriptions du comportement de Carmilla sont suffisamment explicites pour comprendre ce qu’essaye de faire la jeune femme. Outre ce thème, on aura aussi la présence de la solitude et de l’ennui, ainsi qu’une description peu flatteuse d’un monde paysan qui tourne sur lui-même et se livre difficilement aux étrangers. Bref, il y a de quoi faire.

Enfin, l’ambiance qui se dégage de ce roman est complètement folle. Bien évidemment, on est en plein dans un gothique exacerbé. On imagine parfaitement ce château dans une forêt isolée en Transylvanie, avec ses passages secrets et ses portes dérobées. On imagine les gueules burinées des hommes qui vivent dans la forêt, comme ce bossu qui vient faire des blagues en guenilles, ou encore ce vieux bûcheron qui coupe du bois dans un village abandonné. Sheridan Le Fanu brode un environnement glacial qui contrebalance cette histoire d’amour maudite et qui installe, petit à petit, un piège qui se referme tout doucement. Les évènements alentours ne vont pas tarder à tomber sur le château de Laura et on sent cette pression grâce à l’ambiance nocturne et aux phénomènes paranormaux qui deviennent de plus en plus insistants. Et si l’on mélange cela avec un personnage principal simple et touchant avec un père aimant et un antagoniste malin, sombre et cachottier, on s’accroche aux pages et on veut irrémédiablement savoir la suite.

Au final, Carmilla de Sheridan Le Fanu est un immanquable de la littérature gothique, mais aussi de la littérature horrifique. Premier vrai roman portant sur les vampires, précurseur du Dracula de Bram Stoker, plus simple, mais aussi plus accessible, Carmilla est un irrésistible roman d’amour teinté d’une horreur insidieuse qui fait encore frémir aujourd’hui. Il n’est donc pas étonnant de voir qu’un réalisateur comme Guillermo Del Toro cite ce livre parmi ses références.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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