
De : Anna Cazenave Cambet
Avec Vicky Krieps, Antoine Reinartz, Monia Chokri, Viggo Ferreire-Redier
Année : 2025
Pays : France
Genre : Drame
Résumé :
Une fin d’été, Clémence annonce à son ex-mari qu’elle a des histoires d’amour avec des femmes. Sa vie bascule lorsqu’il lui retire la garde de son fils. Clémence va devoir lutter pour rester mère, femme, libre.
Avis :
Anna Cazenave Cambet est une réalisatrice qui a débarqué dans le paysage du cinéma français avec une douceur trompeuse. Derrière ses images délicates et son regard sensible, il y a une puissance qui se dégage de son cinéma. Son premier film, « De l’or pour les chiens« , avait déjà montré sa capacité à filmer des femmes en transition, en quête d’elles-mêmes, au bord de quelque chose de nouveau, de dangereux, de libérateur. Anna Cazenave Cambet aime explorer ces moments charnières où la vie bascule, où l’on abandonne une version de soi pour en construire une autre.

Pour son deuxième film, Anna Cazenave Cambet se lance donc dans quelque chose de fort. Très fort même. « Love Me Tender » est un drame puissant autour d’une injustice puante. Un drame qui prend aux tripes, qui secoue, qui dérange, qui met en colère. Et au cœur de ce film, il y a une actrice immense : Vicky Krieps. La comédienne porte littéralement le film sur ses épaules. Et si le récit connaît un petit ventre mou en milieu de parcours, il se rattrape en emportant son personnage vers un dénouement aussi affreux qu’il est bouleversant et juste. Une vraie gifle émotionnelle, dont la fin de séance fut compliquée.
« L’écriture est superbe. Rien n’est exagéré. Rien n’est impossible »
Cela fait trois ans que Clémence a quitté son mari. Les deux parents s’entendent bien. Ils ont un petit garçon, et la garde se passe très bien. On est presque dans un cas d’école : séparation mature, respectueuse, apaisée. Après vingt ans de mariage, Clémence vit aujourd’hui des histoires d’amour avec des femmes. Elle se découvre, elle respire enfin, elle s’épanouit. Et lorsqu’elle l’annonce à Laurent, son ex-mari, sa vie bascule. D’un seul coup, cet équilibre fragile explose. Les tensions émergent. Les regards changent. Les intentions se troublent. Et très vite, la situation prend une tournure catastrophique.
« Love Me Tender« , c’est l’histoire d’une femme qui se reconstruit. Une femme qui découvre une nouvelle liberté, un nouvel amour, une nouvelle identité. Mais c’est aussi l’histoire d’une société qui n’est pas prête à accepter certains changements. Malgré 2025, certaines choses restent, tapies et cachées. Au travers du portrait de Clémence, le film questionne la justice en France, la société, le regard qu’elle porte, son hypocrisie parfois, et ses institutions.
Ici, on voit une mère se faire retirer son enfant, non pas parce qu’elle est dangereuse, non pas parce qu’elle est instable, mais parce qu’un homme, vexé, humilié, incapable d’accepter la séparation, manipule, ment, exploite les failles du système judiciaire. Et le pire dans tout ça, c’est que tout cela paraît terriblement réel. L’écriture est superbe. Rien n’est exagéré. Rien n’est impossible. Le film secoue. On se dit sans cesse : « Mais comment c’est possible ? Comment on laisse ça arriver ? » Certains pans des institutions voient ces choses-là arriver. C’est flagrant. Mais la machine judiciaire se met en branle, et il ne faut rien faire de plus qu’attendre et espérer, même quand c’est difficile. Il faut tenir.
« Le film brasse ainsi des sujets lourds »
Le film brasse ainsi des sujets lourds : la manipulation, la trahison, le désespoir, la perte, le deuil, parce que oui, perdre son enfant comme ça, c’est déchirant et c’est une forme de deuil. Anna Cazenave Cambet filme cela avec une pudeur admirable. Elle ne tombe jamais dans le pathos facile. Elle montre, elle laisse respirer les émotions et ses personnages. Et derrière ça, même si certains personnages vont être révoltants, elle garde en tête qu’elle raconte des humains avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Et ça, c’est fort.
Avec ça, il faut aussi parler de Vicky Krieps. Elle est bouleversante. Dans la peau de cette femme perdue et combative, elle dégage une vérité folle. Elle avance, elle encaisse, elle se bat avec les armes qu’elle a : son calme, sa détermination, et surtout son amour. Elle n’explose pas en grands cris, elle ne hurle pas sa douleur. Elle la porte. Elle l’habite. Et c’est justement ce qui bouleverse. Le rôle est superbement écrit, et Vicky Krieps en fait quelque chose de grandiose.
À noter aussi l’excellent Antoine Reinartz, dans un rôle difficile, qu’il porte avec courage et sans caricature aucune. Il aurait été tellement facile d’en faire un monstre grotesque. Mais non. Il reste humain. Ce qui le rend d’autant plus terrifiant. On le déteste, mais ses blessures peuvent le rendre touchant parfois, et cette ambiguïté bouscule. Et ça, c’est très fort.
« Le rôle est superbement écrit, et Vicky Krieps en fait quelque chose de grandiose. »
Puis vient la mise en scène. Anna Cazenave Cambet sait exactement ce qu’elle veut raconter et comment elle veut le raconter. Le film prend son temps. Peut-être trop pour certains. Il y a ce fameux ventre mou au milieu, où l’on sent les minutes passer. Mais finalement, ce ralentissement est presque nécessaire. Il reflète parfaitement la lenteur de la justice, son inertie, sa froideur administrative et son décalage entre le temps de la justice et le temps des émotions. Comme Clémence, nous attendons. Nous subissons. Nous observons les mois passer sans que rien ne bouge. Et cette sensation d’étouffement participe pleinement à l’expérience du film.
Mention spéciale à la superbe BO composée par Maxime Dussère. C’est sûrement l’une des plus belles de l’année. Elle accompagne les émotions sans jamais les écraser. Elle résonne, elle flotte, elle amplifie. Elle donne de l’ampleur.

Ainsi, « Love Me Tender » se pose comme un morceau de cinéma que j’ai beaucoup aimé. Avec sa force, sa douceur, sa colère froide. Avec ses failles aussi. Ses émotions, et l’humain que sa réalisatrice met en permanence en avant. Oui, il y a un ventre mou. Oui, certaines longueurs auraient pu être évitées. Mais face à la puissance du propos, à l’interprétation magistrale de Vicky Krieps, à la mise en scène maîtrisée, à l’émotion brute, ces petits défauts deviennent presque anecdotiques. En sortant de la salle, on se dit que ça n’aurait jamais dû arriver. Et pourtant, c’est arrivé. Et c’est bien là que le film frappe le plus fort. Un film superbe. Beau, dur, nécessaire. Bref, « Love Me Tender« , c’est un de ces films qui, à mon sens, ne laissera personne indemne.
Note : 16/20
par Cinéted
