janvier 17, 2025

Zone Fantôme T.02

Auteur : Junji Ito

Editeur : Mangetsu

Genre : Seinen

Résumé :

Un père obsédé par la poussière vit avec son enfant et deux femmes de ménage chargées de repousser inlassablement ce « démon noir », un jeune étudiant décide de retourner dans son village d’enfance et y découvre des maisons abandonnées remplies d’étranges machines et peuplées de personnages fantomatiques, la fratrie Hikizuri convainc une jeune femme de séjourner sous son toit pour déchiffrer le mal qui la hante, un marais envahi de tortues possédées par les âmes de villageois morts lors d’une terrible inondation…

Avis :

Depuis la fin des années 90, Junji Ito s’évertue à faire cauchemarder tous ses lecteurs. Démarrant le manga assez tardivement (il se vouait à une carrière de dentiste), l’auteur a rapidement marqué les esprits avec des histoires étranges, tordues, et une horreur indicible qui prend place dans un quotidien somme toute banal. Si l’on a tardé à traduire ses œuvres en France, et qu’il a fallu attendre les éditions Mangetsu pour se repaître d’horreurs nippones, aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir les récits de Junji Ito en quasi simultané, et ses derniers méfaits se retrouvent en ce moment dans Zone Fantôme. Après un premier tome très réussi qui démontrait aussi la volonté de l’auteur de s’appuyer sur les nouvelles technologies pour peaufiner son dessin, voici que le deuxième continue son exploration de l’horreur invisible qui surgit dans un quotidien tout ce qu’il y a de plus normal.

Ce deuxième tome est divisé en quatre petites histoires qui n’ont pas de rapport l’une à l’autre, si ce n’est que l’on retrouve comme thème commun le poids de l’héritage, ou une volonté de découvrir son passé pour comprendre son présent. Mais chez Junji Ito, la curiosité est un bien vilain défaut, comme vont l’apprendre à leur dépens certains personnages. La première histoire se nomme Le Démon Noir, et l’auteur a eu l’idée de cette nouvelle en faisant la poussière chez lui, et en voyant comment cette dernière s’accumule assez vite sans ménage récurrent. On va y suivre un jeune garçon qui vit dans une maison délabrée, au milieu d’une ancienne station thermale qui a fait faillite. Il est bloqué dans cette maison car son père l’a eu en héritage, un lourd fardeau puisque sa famille a été célèbre à la télévision et au cinéma.

Le père est obsédé par la poussière, et il a embauché deux femmes de ménage pour nettoyer les lieux chaque jour. De plus, le jeune garçon a interdiction de monter à l’étage, alors même que la poussière survient de là. Comme à son habitude, Junji Ito s’amuse à ancrer son histoire dans une famille dysfonctionnelle, et on se doute bien qu’il y a anguille sous roche. La tension est palpable, encore plus avec le plafond qui se teint en rouge, et cette femme de ménage qui semble ne jamais vieillir alors qu’elle est dans la maison depuis l’arrière-grand-père de l’enfant. Petit à petit, l’histoire se dévoile, l’invisible devient visible, et l’auteur s’amuse avec les contes folkloriques (Barbe Bleue) pour montrer que le véritable monstre est bien humain. L’intelligence de la narration, faisant monter crescendo l’angoisse, permet de rester accrocher à cette histoire, dont la fin laisse imaginer le pire.

La deuxième histoire se nomme Le Village de l’Ether, et ici, on change carrément de registre. Déjà, d’un point de vue graphique, c’est le dessin le plus complexe de Junji Ito, qui s’inspire des machines à mouvement perpétuel pour tisser son intrigue. Ici, on va suivre un jeune homme qui veut retourner dans son village d’enfance, et il amène avec lui trois amis. En tombant sur son ancien voisin, il découvre que celui-ci a fait une grande découverte, mais qu’il est bloqué dans ce village. Il va alors leur tendre un piège macabre. Outre des spirales dans tous les sens, le mangaka va peaufiner son trait pour mettre en image des zombies mécaniques, des animaux tirés par des mécanismes complexes, tout en gardant en tête que l’ésotérisme n’est jamais bien loin. L’histoire se lit là aussi d’une traite, avançant encore une fois des thématiques fortes, comme le poids de l’héritage.

La troisième histoire sera un peu plus légère. En 1995, Junji Ito a dessiné une famille complètement fêlée, qui peut faire écho à la Famille Adams. Une jeune fille issue d’un orphelinat détient un pouvoir, celui de sentir le poids des auras des gens. Elle tombe alors sur la famille Hikizuri, et après une cabale ésotérique, un zombie familial va venir semer le trouble. L’humour est très présent dans cette nouvelle, mais le plus surprenant viendra de son final qui embrasse pleinement une horreur gargantuesque, conglomérat indéfini de chair et de membres, où la décadence n’a d’égal que le dégoût que l’on peut ressentir autour de ces dernières planches. Cependant, on y trouve aussi du fond, comme le poids de la famille, et une sorte d’inéluctabilité dans son héritage. Mais, fait étrange chez l’auteur, le final se passe bien pour l’héroïne, nous surprenant avec un presque happy end.

Enfin, la quatrième et dernière histoire s’appuie sur les légendes rurales que l’on peut trouver dans certains villages reculés. Là, un marais est envahi par des tortues qui seraient l’âme des défunts du village voisin. En les soulevant, leur plastron a un dessin de visage dessus. Mais les corbeaux seraient de mauvais oracles, emportant des tortues, les lâchant au-dessus de la route pour qu’elles se fassent écraser, mangeant alors les chairs, puis amenant le plastron devant une porte de maison, indiquant que le propriétaire des lieux va bientôt mourir. Dans ce contexte, Junji Ito met en scène un jeune adulte qui vit encore chez son père, et qui est humilié par ce dernier. Mais une prédiction va venir tuer le père, et le fils va pouvoir revivre, jusqu’à ce qu’il tombe à son tour sur une carapace. L’histoire est troublante, bien menée et accuse aussi les relations familiales complexes.

Au final, ce deuxième tome de Zone Fantôme est une belle réussite, dans la lignée du premier opus. Junji Ito joue constamment avec des thèmes forts, mais qui ne prennent jamais le pas sur sa narration nihiliste et sans concession. Il faut savoir lire en filigrane pour découvrir toutes les subtilités du récit, qui montre alors que le passé est souvent un poids, ou encore que les enfants maltraités peuvent devenir de mauvais adultes. Bref, en utilisant un peu plus la modernité à son trait de crayon, Junji Ito prouve son talent de conteur, mais aussi de dessinateur.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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