Titre Original : Manticora
De : Carlos Vermut
Avec Nacho Sanchez, Zoe Stein, Aitziber Garmendia, Alvaro Sanz Rodriguez
Année : 2024
Pays : Espagne, Roumanie
Genre : Drame, Thriller
Résumé :
Nacho est un concepteur à succès de jeux vidéo, spécialisé dans la création de monstres. Lorsqu’une jeune fille s’intéresse à lui, il imagine une nouvelle créature qui, bien que virtuelle, ne va pas tarder à chambouler leur réalité.
Avis :
Carlos Vermut est un nom qui n’est pas très connu du grand public, et pourtant, c’est un nom qui gagne à être connu, car nous avons à faire là à un grand metteur en scène, qui en l’espace de quatre films nous a offert quatre excellents moments de cinéma. Pour ma part, je l’ai découvert il y a dix ans de cela, en 2014, avec le très bon « La Niña de Fuego« , mais il faudra surtout attendre 2018 et son chef-d’œuvre « Quién te cantará » pour que vraiment le nom de Carlos Vermut marque les esprits. Depuis ce troisième film, je dois dire que j’attendais avec beaucoup de curiosité le prochain film du réalisateur espagnol.
Et l’on peut dire qu’il s’est fait attendre, puisqu’il aura mis six ans avant de refaire un film. Nous voici donc en 2024 et le réalisateur nous présente « Creaturas« . Avec son affiche, on a tendance à s’attendre à une incursion dans le cinéma fantastique, d’autant que le titre a tout l’air aussi de nous envoyer de ce côté-là, et pour notre plus grande surprise, il n’en sera rien. « Creaturas » sera un drame lourd, un drame difficile, et un drame sombre. Cachant son véritable sujet pendant quasiment tout le film, « Creaturas » commencerait presque comme un film romantique avec un homme solitaire qui finit par faire une jolie rencontre. Il y a du charme, on se laisse charmer d’ailleurs, mais d’un coup, Vermut va briser les façades et nous bousculer et nous déranger en nous faisant suivre tout autre chose, et c’est aussi brillant que très dérangeant !
« »Creaturas » est un film qui étonne autant qu’il dérange. »
Julian est un talentueux « game designer ». On peut même dire qu’il est le plus talentueux de la boite de jeu vidéo qui l’emploie. Bien souvent seul, il passe sa journée à dessiner des monstres. Mais ces monstres sont fictifs, et il se pourrait bien que le monstre, le vrai, se cache au fin fond de lui-même…
« Creaturas » est un film qui étonne autant qu’il dérange, car c’est un film que je qualifierai de menteur, et c’est peut-être la première fois qu’un film m’inspire ce terme dans le bon sens. En effet, sur presque deux heures de film, Carlos Vermut va nous entraîner dans un premier temps dans le portrait d’un personnage. Un personnage solitaire, dont la vie n’a pas vraiment de quoi faire rêver. Certes, il a un métier passionnant, et il est très doué dans son travail, mais derrière ça, il a surtout une vie répétitive, parfois même ennuyante. Puis avec ça, Julian est un homme solitaire qui est renfermé sur lui-même. Puis Carlos Vermut va petit à petit emmener son film ailleurs, avec une belle rencontre, ce qui va insuffler beaucoup de vie dans son récit. Si le ton du film reste assez sombre, cette romance qui naît dégage beaucoup de charme.
Ces personnages sont bien écrits, et si ce qui leur arrive est, en un sens, assez banal, il y a quelque chose qui ne cesse d’injecter de la lumière au milieu de cette ambiance presque austère. À ce moment-là, on est assez circonspect, car entre la romance et l’ambiance, il y a deux salles, deux ambiances, et ça s’entrechoque, ce qui est aussi fascinant et beau d’un côté, mais de l’autre, il y a quelque chose qui ne va pas. Connaissant le cinéaste, on se dit que ce choc des ambiances cache forcément quelque chose, mais rien ne vient vraiment. Carlos Vermut aurait-il eu envie de filmer une romance « sombre » ?
« Terrible, dérangeant, voire même terrifiant »
Et c’est là que le terme de menteur entre en action, car cette romance, qui durera pendant presque une heure et demie de film, d’un coup se brise pour laisser place enfin au vrai sujet du film, et là, toute la noirceur que « Creaturas » pouvait avoir n’aura été rien face au véritable monstre que le récit nous présente. Terrible, dérangeant, voire même terrifiant avec sa presque quasi dernière scène (d’ailleurs le film aurait vraiment gagné à s’arrêter là) Carlos Vermut, qui nous tenait déjà, renforce le tout et délivre un film aussi puissant que malsain, sur les apparences, et sur les monstres, les vrais, qui peuvent se cacher derrière de simples individus (et je n’en dirais pas plus, car rien que cela, c’est déjà trop en dire).
L’atout merveilleusement dérangeant du film, en plus du point de bascule où le film change de sens d’un coup, c’est aussi et surtout son acteur principal, Nacho Sánchez, qui livre là une prestation magistrale, dans la peau d’un homme tout ce qu’il peut y avoir de plus ordinaire. Un homme aussi touchant que très dérangeant, car rongé par ses démons, mais ça, la teneur de ses démons, le film va le tenir secret presque jusqu’au bout. Face à lui, si l’on peut déplorer le fait de ne pas trouver beaucoup d’autres personnages, on pourra toutefois compter sur Zoé Stein, qui tient ici la possible petite amie, celle qui pourrait le sauver un temps de ses démons, et l’actrice, tout comme son partenaire, est incroyable et juste d’un bout à l’autre du film. Puis les voir ensemble, et découvrir le début de leur romance, c’est touchant et beau.
Pour son quatrième film, Carlos Vermut livre un film sombre et terrible à la fois. Menteur et tenant caché son véritable sujet, alors que « Creaturas » avait tout d’une étrange romance, Carlos Vermut surprend d’un coup et démontre qu’il est un immense metteur en scène, en transformant d’un coup son film, pour mieux nous saisir et nous marquer. Si l’on pourra reprocher à « Creaturas » d’aller un peu trop loin après sa grande révélation, il est certain qu’on ressort de la salle de cinéma avec le film et qu’il continue à nous travailler quelques heures après son visionnage. Mieux encore, on se laisserait bien tenter par une deuxième vision afin de voir si, ici et là, au cours de son récit, Carlos Vermut n’avait pas dissimulé des indices. Bref, encore une fois, Carlos Vermut réussit tout ce qu’il entreprend et malheureusement la distribution de son film ne lui rend pas justice.
Note : 17/20
Par Cinéted