mai 20, 2024

Cabiria – Proto-Péplum

De : Giovanni Pastrone

Avec Carolina Catena, Lydia Quaranta, Umberto Mozzato, Bartolomeo Pagano

Année : 1914

Pays : Italie

Genre : Péplum, Aventure

Résumé :

Après une éruption volcanique, une fillette, Cabiria, est enlevée avec sa nourrice par des pirates carthaginois. Sur un marché d’esclaves, elle est achetée par le grand prêtre de Baal pour être sacrifiée. La nourrice parvient à alerter un patricien romain, Fluvio Axilia, qui dépêche son serviteur, le bon géant Maciste, afin de délivrer l’enfant. Pendant qu’Hannibal traverse les Alpes, Cabiria est recueillie par la reine de Numidie, Sophonisbe, mais Maciste est enchaîné et réduit en esclavage. Les années passent. Cabiria est devenue une belle jeune fille, suivante de Sophonisbe. Bien que la flotte romaine ait été en partie détruite à Syracuse, Scipion entre à Carthage. Sophonisbe se suicide. Cabiria, après bien des péripéties, parvient à délivrer Maciste et Fluvio Axilia, qui tombe amoureux d’elle. Tous trois regagnent Rome…

Avis :

Les années 1910 constituent une période charnière dans ce qu’il adviendra par la suite du septième art. Cela tient aux modèles économiques, aux méthodes de production, ainsi qu’aux techniques de mise en scène et à l’affirmation de genres pour cibler, entre autres, un public spécifique. On peut également leur prêter un caractère transitoire entre les premiers courts-métrages et les longs-métrages. En cela, Cabiria synthétise à lui seul ces évolutions à travers l’émergence de fondamentaux tant sur le fond que sur la forme. Au regard des moyens déployés, on peut même le considérer comme l’un des premiers blockbusters du cinéma.

En effet, Cabiria arbore un statut de précurseur sur de nombreux aspects. À commencer par des conditions de tournage pharaoniques qui ne lésinent guère sur la dépense. Entre des prises de vue en extérieur et la reconstitution de certains décors en studios, le film de Giovanni Pastrone est avant tout une débauche visuelle. On songe au temple de Moloch, dont la direction artistique n’est pas sans rappeler l’œuvre de Georges Méliès ou L’Enfer de Francesco Bertolini et d’Adolfo Padovan ; vision exceptionnelle de La Divine Comédie, soit dit en passant. On peut aussi saluer la méticulosité apportée à l’architecture carthaginoise, ses sculptures, ses ornementations ; qu’elles présentent un caractère religieux, politique ou commémoratif.

« Cabiria arbore un statut de précurseur sur de nombreux aspects. »

Le fait d’intégrer des bâtiments réels avec des constructions érigées pour les besoins du film permet de renforcer la qualité et le soin propres au cadre. Il en émane une impression de continuité, soutenue par une technique inédite en matière de mise en scène : le travelling. Cabiria est le premier métrage à exploiter cette méthode pour faire se mouvoir la caméra. Certes, les déplacements restent timorés. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont pour effet de modifier le rapport au spectateur. L’objectif se fait alors l’œil du public qui suit, de près ou de loin, les séquences afin de mieux les accompagner. Le cinéaste n’en abuse pas pour autant et privilégie des séquences-clefs pour s’en servir.

Au sortir de ces considérations formelles, l’intrigue se décompose en cinq actes dont les prémices se focalisent sur l’éruption de l’Etna. En dépit d’une situation géographique dissemblable, l’écho renvoie au film Les Derniers jours de Pompéi de Mario Caserini et d’Eleuterio Rodolfi, eu égard à la catastrophe, ainsi qu’aux conséquences sur les principaux intervenants. Par la suite, on dénote une volonté elliptique de scinder l’histoire sur différentes strates temporelles. Ce qui permet de mieux appréhender l’évolution des protagonistes, ne serait-ce qu’à travers les épreuves qu’ils traversent. On songe notamment au sort de Maciste, relégué à une bête de somme et condamné à faire pivoter une meule à la manière de Samson ou de Conan le barbare.

« Cet aspect purement fictionnel a pour ambition d’interpeller le grand public. »

À noter que Cabiria marque aussi la première apparition de Maciste à l’écran, interprété par Bartolomeo Pagano, alors docker à Gênes. S’ensuivront près de 30 métrages où le personnage est exploité sous toutes les déclinaisons ; de ses aspirations sentimentales à ses compétences physiques. Cet aspect purement fictionnel a pour ambition d’interpeller le grand public. Il n’en demeure pas moins qu’on distingue un sous-texte propre au contexte de la Deuxième Guerre punique, soit le IIIe siècle avant Jésus-Christ. Parmi les épisodes emblématiques de cette période, on peut aussi évoquer le passage des Alpes par Hannibal avec ses éléphants.

Au final, Cabiria s’avère un film essentiel dans l’histoire du septième art. Pionnier dans bien des domaines, le métrage de Giovanni Pastrone se démarque tout d’abord par une mise en scène fastueuse. Ainsi, la plupart des séquences sont synonymes d’émerveillement, d’une splendeur qui augure déjà des grandes fresques épiques à venir, eu égard au travail de Cecil B. DeMille, G.W. Griffith ou de J. Gordon Edwards. On a beau distinguer certains éléments vieillissants, comme le fait d’adopter une approche foncièrement manichéenne, Cabiria fait office de précurseur du septième art. L’un des premiers péplums de l’ère cinématographique se solde par une ambition démesurée pour concilier l’accessibilité d’un divertissement de premier ordre avec un fond historique rigoureux. Une œuvre fondatrice, rare et impressionnante d’un point de vue artistique.

Note : 15/20

Par Dante

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