avril 27, 2024

Ame Brisée – Akira Mizubayashi

Auteur : Akira Mizubayashi

Editeur : Gallimard

Genre : Drame, Historique

Résumé :

Tokyo, 1938. Quatre musiciens amateurs passionnés de musique classique occidentale se réunissent régulièrement au Centre culturel pour répéter. Autour du Japonais Yu, professeur d’anglais, trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie.
Un jour, la répétition est brutalement interrompue par
l’irruption de soldats. Le violon de Yu est brisé par un militaire, le quatuor sino-japonais est embarqué, soupçonné de comploter contre le pays. Dissimulé dans une armoire, Rei, le fils de Yu, onze ans, a assisté à la scène. Il ne reverra jamais plus son père… L’enfant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, loin de le dénoncer lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confie le violon détruit. Cet événement constitue pour Rei la blessure première qui marquera toute sa vie…

Avis :

En règle générale, le domaine de la littérature est apprécié pour osciller entre la poésie des belles lettres, des descriptions fouillées et une approche tout imaginative de l’intrigue. Cette dernière notion tient à la capacité d’immersion et à l’interprétation de chaque lecteur. Ce support culturel est l’occasion de susciter l’émotionnel à travers les mots, d’annihiler les barrières de la réalité pour rendre la fiction d’autant plus tangible. Il est cependant un sujet sensoriel particulièrement délicat à retranscrire au fil des pages : le rapport à la musique. Celle-ci joue en effet sur une perception immédiate que les mots ne parviennent pas forcément à restituer, à tout le moins sous le prisme d’une plume guère expérimentée.

Pour Ame brisée, son second roman, Akira Mizubayashi s’immisce donc dans un thème difficile à aborder. Réussir à traduire l’amour de la musique grâce à l’intérêt des protagonistes, ainsi qu’à travers des représentations où l’on joue du classique. Au-delà des motivations ou de l’accointance de chacun, ces dernières séquences nécessitent de concilier l’approche subjective des personnages et le déroulement des morceaux. L’auteur d’Un Amour de 1 000 ans opte pour un traitement stylistique sobre. Contrairement à d’autres écrivains qui sombrent aisément dans la complaisance et une appréhension pédante du sujet, il délaisse ainsi toutes circonvolutions narratives pour mieux apprécier la simplicité du moment.

Ce choix créatif se retrouve tout au long du livre. Le processus permet de s’identifier d’autant plus facilement aux protagonistes. Cela ne tient pas à leur vécu, mais plutôt à leur façon de gérer les traumatismes de leur passé, les épreuves de la vie. L’histoire en elle-même s’avance comme une succession d’instantanés de leur existence. Il en ressort un traitement elliptique qui privilégie les interactions sociales de rencontres plus ou moins fortuites à une progression linéaire. Par conséquent, l’intérêt du présent ouvrage ne joue pas sur l’imprévisibilité de l’intrigue, mais sur une évolution sensible et juste de ses protagonistes. Le fait de découvrir ces derniers à différents moments de leur vie permet de mieux appréhender leur parcours respectif.

Avec la première partie, il ne s’agit pas de développer le contexte de la période historique. On écarte l’exposition d’évènements notables pour s’attarder sur les intervenants. En l’occurrence, sur un groupe de passionnés de musique classique. Certes, on évoque quelques allusions politiques, notamment sur les velléités expansionnistes nippones de l’époque. On songe aussi à la dénonciation d’un patriotisme aveugle et suranné ou encore aux absurdités des valeurs défendues par les autorités. En première ligne de mire : la fierté d’appartenance à un pays au détriment de l’individualité de l’homme, annihilant ainsi son pouvoir de décision, son libre arbitre dans son quotidien et sa capacité de réflexion.

De même, on modère les moments censément violents en d’autres circonstances. Cela concerne essentiellement l’irruption des soldats où la tension passe surtout par l’opposition des idées et les arguments des deux camps. La grande force de cette séquence est de marquer le lecteur, comme elle s’avance en tant qu’évènement majeur pour les enfants l’ayant vécue. Autrement dit, la partie contemporaine suggère cet instant dramatique comme un tournant, un élément qui a influencé leur avenir ; en bien comme en mal. Au fil des pages, on distingue aussi d’autres thématiques essentielles. Parmi celles-ci, on peut évoquer le deuil et la disparition d’un être cher, le devoir de mémoire, ainsi que le déracinement à ses origines.

Au final, Ame brisée fait partie de ces romans d’une grande sensibilité où la qualité de l’écriture emporte son lectorat au gré de rencontres et d’épreuves qui composent la vie de tout un chacun. Le livre d’Akira Mizubayashi est avant tout une ode à la musique, à la passion qu’on lui porte par le biais des mélodies et des instruments. À l’image de ce violon détruit, l’histoire s’avance aussi comme une reconstruction de l’être. En l’occurrence, le courage tient à affronter les traumas du passé, non à les fuir ou les oublier. Accompagné de personnages attachants, profondément humains, le récit n’a pas vocation à dépeindre une période historique précise ou des évènements dramatiques. Elle permet de mieux comprendre ce qui unit les individus, et ce, en dépit de leurs différences, de parcours de vie dissemblables. Une vision délicate, accessible et réaliste de sujets difficiles à retranscrire sur papier tant ils touchent à des considérations abstraites et subjectives.

Note : 17/20

Par Dante

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