De : Eric Gravel
Avec Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich, Nolan Arizmendi
Année : 2022
Pays : France
Genre : Drame
Résumé :
Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.
Avis :
Réalisateur canadien, Eric Gravel a débuté sa carrière au début des années 2000. Après un court-métrage en 2004, « Ce n’était qu’un rêve« , Eric Gravel travaille comme second réalisateur sur des séries comme « Minuscule » ou « Versailles« . Entre temps, il réalisateur un second court en 2007. Il lui faudra attendre encore une dizaine d’années pour enfin passer au long-métrage. Ainsi, en 2017, il réalise son premier film, « Crash Test Aglaé« , film tenu par India Hair, Yolande Moreau et Julie Depardieu.
Après quatre ans de travail et cinq années d’absence, Eric Gravel revient avec un deuxième film à l’opposé de son premier. Ayant obtenu le prix du meilleur réalisateur et Laure Calamy celui de la meilleure actrice à La Mostra de Venise en 2021 dans la sélection Orizzonti, « À plein temps » est un film pour le moins très étonnant. Cinéma social à la base, Eric Gravel livre surtout un film sous pression, et cette dernière ne cesse de grandir au sein d’un film maîtrisé et intéressant, même si parfois le scénario en fait un peu trop. Tenu par une grande Laure Calamy (comme toujours), « À plein temps » nous tient de bout en bout pour nous emmener vers un final qui nous bouscule.
Julie habite à la campagne avec ses deux enfants. Mère célibataire, elle se démène comme peu et tire la corde de tous les côtés pour joindre son boulot, sa vie de mère, la recherche active d’un nouveau boulot et comme elle habite en dehors de la Capitale, elle doit faire face à l’horreur des grèves et autres mouvements sociaux qui ne cessent de se répéter. Battante dans l’âme, débrouillarde, Julie enchaîne les jours et les heures, mais jusqu’à quand peut-on mener cette vie-là ? Quand est-ce que la ligne rouge va être franchie, et que peut-elle faire, prise dans l’engrenage de sa vie ?
Le social, le cinéma français s’en est fait une religion et comme tous les ans, arrivent sur les écrans des films qui mettent en lumière les petites gens qui ont du mal à joindre les deux bouts. Des films sociaux, il en existe un nombre incalculable et il devient alors difficile de surprendre, et même de réinventer le cinéma social. Alors bien entendu, ces dernières années, quand on pense au cinéma social, on pense aux films de Stéphane Brizé ou à ceux de Louis-Julien Petit, car les deux cinéastes ont réussi à leur manière à proposer quelque chose d’autre et c’est pile ce que vient de faire Eric Gravel avec son deuxième film qui propose un cinéma social qui s’aventure sur les routes du thriller sous pression. Car oui, le réalisateur instaure tellement de pression dans la vie de cette femme qui doit faire face à tout un tas de problèmes qui la dépassent, qu’il nous laisse à nous, public (comme à son personnage), peu de temps pour souffler, ou même reprendre notre souffle.
« À plein temps » est un film qui est écrit par Eric Gravel, et le réalisateur scénariste nous entraîne dans un engrenage palpitant. « À plein temps » s’aventure à peindre le portrait d’une battante, une femme qui ne s’arrête jamais, et qui gère autant qu’elle peut. Loin des clichés des films sociaux, même si le métrage explore les invisibles des palaces parisiens, leurs conditions de travail, l’ambiance qui règne entre ces femmes, ou encore le rapport avec la direction, Eric Gravel préfère nous entraîner dans le quotidien de cette femme, sans juger ce qui l’entoure et ce à quoi elle doit faire face.
Après, comme je le disais, il est vrai que parfois, à force d’accumuler les soucis et les défis, on peut reprocher au scénario un manque de mesure. La vie du personnage est déjà suffisamment fournie et chaotique comme ça, qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter une deuxième ou une troisième couche. Heureusement, le film évite un certain misérabilisme grâce à la lumière folle que dégage Laure Calamy qui encore une fois est parfaite. L’actrice empoigne ce personnage et on se passionne autant que l’on craint pour cette Julie qui tient sa barque alors même que celle-ci ne cesse de chavirer.
Ce qui fait aussi que le film d’Eric Gravel est si prenant, c’est grâce à la mise en scène de son réalisateur qui livre un film qui ne cesse de se tendre. « À plein temps » est dynamique, c’est très rythmé, c’est tendu, on a l’impression que le film va craquer à tout instant, tout comme son personnage qui pourrait craquer à tout instant. Il y a travail assez dingue qui est fait sur le montage, qui enchaîne avec urgence les scènes chaotiques de ce quotidien pour se rendre au boulot. C’est assez dingue, car finalement, le personnage n’arrive à souffler que lorsqu’elle travaille, ce qui est un comble. Comme je le disais, Eric Gravel tend en permanence son film, et cette tension est aussi due à l’incroyable BO d’Irène Drèsel qui livre une bande son électronique puissante et étouffante.
Réinventer le cinéma social n’est pas une chose facile. Proposer dans ce domaine-là autre chose, un autre point de vue, et s’aventurer dans d’autres genres, n’était pas une mince affaire et pourtant, malgré un côté trop dans les catastrophes, Eric Gravel arrive très largement à transformer le quotidien de son personnage en un thriller sous tension, qui nous tient de manière oppressante. Avec cette idée et cette vision, « À plein temps« , comme pour son personnage, nous fait passer par tout un tas d’émotions et ça, on ne s’y attendait vraiment pas. Bref, « À plein temps » est une très belle réussite et une prenante surprise.
Note : 16/20
Par Cinéted
Une réflexion sur « A Plein Temps – Et à Bout de Souffle »