avril 25, 2024

Forfaiture

Titre Original : The Cheat

De : Cecil B. DeMille

Avec James Neill, Fannie Ward, Jack Dean, Sessue Hayakawa

Année : 1915

Pays : Etats-Unis

Genre : Drame

Résumé :

Une femme vénale détourne 10.000 $, destinés à une œuvre de charité. Elle fait alors appel à un négociant en ivoire birman pour remplacer l’argent volé…  

Avis :

Alors en pleine tourmente de la Première Guerre mondiale, l’année 1915 marque également la création de la Fox Film Corporation et, par la même, l’émergence des grands studios hollywoodiens. À l’image de la période 1939-1945, cette époque voit surtout la concrétisation de projets outre-Atlantique. Dans cette mouvance où les expérimentations de mise en scène tendent à s’affirmer, Forfaiture est l’une des premières productions de William Fox. À bien des égards, le métrage de Cecil B. DeMille constitue un précédent dans le domaine du 7e art. Cela tient autant à l’audace de son intrigue qu’à la virtuosité de sa réalisation.

D’emblée, on distingue une avancée majeure dans la manière de filmer. Aux séquences avec un angle large, le cinéaste derrière Cléopâtre et Les Dix Commandements préfère les plans rapprochés, rendant les passages beaucoup plus intimistes. Le fait d’occulter une partie des éléments du décor concourt également à instaurer une aura sibylline, propice à accentuer l’atmosphère extrême-orientale qui émane de la propriété d’Aka Arakau. À l’époque, l’exercice reste peu usité, voire inédit, pour exploiter les symboliques inhérentes à la culture asiatique. On songe à la bande-son, mais surtout à ces jeux d’ombre qui rappellent certaines pièces de théâtre nippones.

D’ailleurs, la gestion de la lumière constitue une véritable évolution dans le domaine. La colorisation chaude et claire évoque un éclairage naturel, tandis que les teintes bleutées reflètent l’obscurité. Le réalisateur joue de ces éléments pour influencer le comportement des protagonistes et le ressenti du spectateur. On notera aussi quelques trouvailles désormais devenues des standards, comme la matérialisation de pensées par le biais d’un procédé d’incrustation graphique à proximité des personnages. Cela peut paraître simple et éculé, mais l’idée apportait une connotation onirique à la portée fictive de l’histoire, même si celle-ci s’ancre dans un contexte pragmatique.

En l’occurrence, le scénario s’avance essentiellement comme un drame bourgeois. Là encore, on songe au courant Kabuki et sa manière figurative de dépeindre l’intrigue en question. Au-delà de la confrontation des cultures, la narration s’attarde davantage sur le nivelage social des intervenants. Cela vaut pour la reconnaissance de ses pairs, l’insertion au sein de la haute société ou la recherche du profit. Ici, les notions de morale sont malmenées, tout comme les relations entre proches ; a fortiori, dans un couple. Il serait facile d’y distinguer une ébauche sur les dérives du capitalisme, mais le propos central ne se focalise pas sur ce sujet. Il demeure simplement le catalyseur, prétexte à une situation qui se dégrade de manière inéluctable.

Pour cela, on ne se cantonne pas à un genre précis. Certes, on décèle aisément le drame social. Pour autant, Cecil B. DeMille y insuffle un parfum de romance idyllique avant d’exposer les idées embryonnaires du film noir. On songe à cette critique sociétale, ainsi qu’à la violence de certaines scènes. La plus marquante, au sens propre, comme au figuré, reste l’apposition du cachet incandescent sur l’épaule d’Édith. Une occurrence qui symbolise le viol et la dépersonnalisation de l’intéressée. Par la suite, le procès développe une incursion juridique qui, au regard de ce qui a été constaté jusqu’à présent, se révèle moins abouti, car plus vite expédié et sentencieux dans son dénouement.

Au final, Forfaiture s’avance comme un film notable, sinon essentiel, dans l’histoire du cinéma. Passablement tombée dans l’oubli depuis de nombreuses décennies, cette réalisation Cecil B. DeMille se distingue par la richesse de son registre et l’esthétisme de sa mise en scène. Cette dernière contribue à l’identité même du métrage, ainsi qu’à l’immersion du public. De clivage social en désillusions romantiques, le drame en devenir tient autant à la vanité des uns qu’à l’avidité des autres. À l’image de la période, il s’en dégage une atmosphère tourmentée, presque implacable dans l’évolution des protagonistes, de leur statut et de leur situation. Une œuvre courte et non moins remarquable dans ce qu’elle impose comme standard cinématographique pour les productions à venir.

Note : 16/20

Par Dante

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