octobre 15, 2025
BD

Le Mètre des Caraïbes

Auteurs : Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau

Editeur : Dargaud

Genre : Historique, Comédie, Aventure

Résumé :

Février 1794, en pleine mer des Caraïbes, Louis, canonnier du bateau pirate Le Fieffé Coquin, vise toujours juste ! Mais cette fois, la recette est maigre : vin, pommes, pruneaux et… un savant. Un savant français qui plus est : Joseph Dombey. Envoyé par le gouvernement révolutionnaire pour rencontrer le président américain Thomas Jefferson, il transporte une mystérieuse mallette qui intrigue les terribles pirates – pas si terribles que ça, pour être honnête ; plutôt une communauté adepte de chorale… À l’ouverture : une étrange barre graduée, un contenant cubique et un drôle de cylindre, faits dans un métal sans valeur.

Pour les pirates, c’est forcément une arme secrète.

Devant « l’élite intellectuelle » des pirates de Cocagna, Dombey dévoile le fleuron de la technologie française, l’instrument révolutionnaire : le mètre décimal ! Sans oublier le cube de dix centimètres de côté pour mesurer le litre, ni, enfin, le cylindre en cuivre d’un kilogramme. Chacun pourra ainsi tout mesurer, peser, quantifier… Ce à quoi les pirates répondent « Ni Dieu, ni maître, ni mètre ! ». Dombey parviendra-t-il à échapper à ces réfractaires au « progrès » pour mener à bien sa mission ?

Avis :

S’il y a bien un domaine dans lequel l’être humain semble enclin à l’oubli, c’est l’Histoire. Et bien celle avec un H majuscule. Quand on est enfant, on se demande bien à quoi ça sert d’étudier des trucs qui se sont passés il y a des siècles de ça, et même si le professeur dit que c’est pour ne pas commettre les mêmes bêtises deux fois, ça nous semble bien trop lointain. Puis une fois adulte, ces leçons oubliées ne font plus surface, sauf chez ceux qui s’y intéressent encore, comme les professeurs. Fort heureusement, le neuvième art est là pour tenter des approches différentes, à savoir mélanger l’Histoire avec le ludique, l’aventure, et un brin de folie. C’est le cocktail détonant choisi par Wilfrid Lupano (Les Vieux Fourneaux) pour sa dernière bande-dessinée en date, Le Mètre des Caraïbes, où la petite histoire rencontre la grande.

Le démarrage est assez incongru. En effet, on nous demande le point commun entre le crash catastrophique de la sonde américaine Climate Orbiter à la surface de Mars en 1999 et un boulet de canon qui fut tiré sur un navire français en 1794. A priori, il n’y a rien en commun, sinon le fameux système métrique. Assez rapidement, Wilfrid Lupano nous plonge aux côtés de pirates qui font récupérer les marchandises d’un bateau français. A son bord, en plus de pruneaux et autres vivres sans valeur, ils vont trouver Joseph Dombey, un scientifique français qui traine avec lui une mallette, avec à l’intérieur une tige, un cube et un poids en métal. Sans trop savoir de qui il s’agit, les pirates le font prisonnier, et Dombey va devoir expliquer que cette mallette contient le nouveau système métrique, et qu’il doit impérativement apporter cela aux Etats-Unis.

Vous ne voyez pas le lien avec l’Histoire. Nous sommes en 1794, période post-révolutionnaire, les départements remplacent les provinces, et le système métrique se met en place en France pour faciliter le commerce. Voulant alors véhiculer les idées de la Révolution au monde entier, on décide de partager ce nouveau savoir avec les pays voisins, et les plus éloignés. Sauf que les Etats-Unis n’utiliseront pas notre système métrique, restant alors sur des miles. Tout le sel de la BD réside là-dedans, pourquoi Dombey n’est jamais arrivé aux States, et surtout, pourquoi le système métrique est si important de nos jours. Wilfrid Lupano signe alors une histoire ubuesque mais terriblement drôle autour d’un scientifique entouré de joyeux crétins, qui vont alors lui faire part de leur vision de la vie, loin des contraintes et autres élucubrations pseudo sociétales.

La richesse de cette BD réside dans son ton à la fois hilarant, doux et précieux. Si on est dans le jugement d’un système qui se met en place pour que tout se ressemble, le scénario s’amuse à plonger un scientifique rigoureux au sein d’une communauté bordélique qui s’éloigne volontairement des sciences pour épouser quelques croyances loufoques. Dombey va tenter d’éduquer ces pirates qui passent leur temps à rêvasser et boire du rhum, en vain, n’arrivant même pas à convaincre son compagnon de cellule, un noble qui ne jure que par le courrier et son statut, qui ne vaut rien sur l’île de Cocagna. Dombey évolue alors en territoire inconnu, donnant lieu à des conversations renversantes, tout en rendant son pamphlet ludique, nous renseignant alors sur un côté peu connu de l’histoire de France.

Le plus malin dans tout ça, c’est le contexte de cette histoire. Le lieu est vu comme un village fait de bric et de broc, mais les gens sont heureux. Certains personnages sont savoureux dans leur naïveté, ce qui donne des séquences très drôles où celui qui essaye de comprendre devient rapidement l’idiot du village, et où l’expérimentation prend toujours le pas sur la théorie. Et histoire de rajouter une petite critique acerbe sur le système métrique et notre propension à rajouter des lois pour tout et pour rien, Wilfrid Lupano permet au dernier pirate de lâcher une diatribe impressionnant de lucidité sur la mise en place du système métrique, et ce que cela permettra dans le futur, à savoir un capitalisme destructeur, et une liberté qui va partir à vau l’eau.

Bien évidemment, que serait une bande-dessinée sans dessin ? Léonard Chemineau fait un travail exceptionnel, qui se marie parfaitement à l’ambiance recherchée. C’est à la fois beau et simple, mais il se dégage une atmosphère particulière de ces dessins. Le choix des couleurs, le découpage, tout est réfléchi pour rendre l’ensemble ludique, didactique, et mettre en avant cet humour fin et dévastateur. On sent vraiment un travail d’équipe derrière cette BD et c’est ce qui lui permet de devenir un incontournable instantanément. Et que dire des dernières planches, qui évoque un livre scientifique, donnant des définitions vraies et drôles sur le poulet des montagnes, ce gros crapaud qui bouffe tout, ou encore sur la cachiyouyou, algue ultra nutritive du Chili.

Au final, Le Mètre des Caraïbes est une BD absolument formidable, qui devrait être lue dans toutes les écoles. A la fois ludique, didactique, drôle, historique et fluide, les superlatifs manquent pour parler de ce moment de lecture riche et passionnant. Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau avaient déjà mis la barre bien haute avec La Bibliomule de Cordoue, et ils récidivent ici, avec un sérieux prétendant à la meilleure BD de l’année, tout simplement.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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