Avis :
Les clashs entre rappeurs sont devenus une monnaie courante qui alimentent grassement les réseaux sociaux, faisant ainsi de la pub gratuite pour ces artistes. Néanmoins, certains rappeurs suscitent des réactions vives de la part de la classe politique, de par leurs textes ou leurs engagements et si l’on ne doit en garder qu’un seul, ce serait Médine. Né au Havre en 1983, c’est au tout début des années 2000 qu’il commence à percer et à montrer son talent de conteur. Car oui, la spécificité de Médine, c’est de raconter de longues histoires en rapport avec l’Histoire et de révéler des destins tragiques à un public souvent ignare du passé de son propre pays. Très engagé d’un point de vue politique mais aussi religieux, hurlant à plein poumon la liberté de culte pour tout un chacun, Médine fait partie de ces artistes qui dérangent les extrémistes, les politiques racistes et les bienpensants. On se souvient encore de la censure qu’il a dû subir alors qu’il devait faire le Bataclan, annulant sous la menace de quelques politiques haineux une série de concerts. Pour autant, cela n’a pas arrêté Médine qui sort avec Stroyteller son sixième album, qui survient à peine un an après son Prose Elite, montrant ainsi sa tolérance, son intelligence, cachées sous un rap violent, hardcore, mais ciselé et précis.
Le rappeur a pour habitude de frapper fort dès le début de ses skeuds. Storyteller ne fera pas exception avec Bangerang, un égotrip parfaitement écrit, très stylisé et qui envoie du lourd au niveau des paroles, montrant les dents d’entrée de jeu : Je casse internet quand je casse le beat. Court, précis, ciselé, sans aucune injure, le rappeur montre son talent d’écriture ainsi que ses différentes références cinématographiques ou encore dans l’art et c’est vraiment très bien fait. Ce côté hardcore, avec ce flow hargneux et cette voix grave, va revenir sur plusieurs titres dans le skeud, notamment au début, avec par exemple Nature Morte en feat avec Sofiane. Là aussi le titre frappe fort, et on sent que Fianso prend un malin plaisir dans ce duo, donnant son meilleur et offrant par la même occasion l’un des meilleurs feat de l’album. Encore une fois, le titre est court, mais percutant et donne immédiatement envie d’écouter la suite. Et c’est Venom qui arrive, restant dans ce que le rappeur nous a donné depuis le début de cet effort. Relativement pessimiste mais très lourd dans son instru et dans les paroles, Médine laisse partir sa haine et n’hésite pas à varier les tempos, notamment avec un morceau chanté très plaisant, faisant office de break plutôt bienvenu. On retrouvera d’autres titres aussi percutants tout au long de l’album. On pense par exemple à Normal Zup, très efficace, ou encore Bromance et Storyteller, qui clôture de manière magistrale cet album.
On pourrait croire que Médine se repose sur ses lauriers avec son rap dit hardcore, pour autant, c’est ce qui fait son succès et permet d’entendre ses paroles les plus incisives et les plus intéressantes. Mais sur cet album, il décide de changer son fusil d’épaule et va fournir quelques titres qui dénotent des habitudes du rappeur. En premier lieu, on peut évoquer PLMV avec Kery James et Youssoupha, deux grosses pointures du rap, offrant un morceau plus lent, plus doux, mais aussi plus dense et relativement bien construit avec des paroles pleines de bon sens. Le flow est plus calme, l’instrumentalisation va dans ce sens et même si le titre peut déranger dans la carrière de Médine, changeant vraiment ses habitudes, on est dans une ode à la tolérance qui rejoint les valeurs de l’artiste trop souvent injustement montré du doigt. Dans le même style, Tellement je t’m sort des sentiers battus pour lorgner du côté d’un Brav, avec de jolies paroles poétiques et un beau message d’amour à sa fille. Là aussi c’est très posé, très langoureux, et certains fans risquent de ne pas s’y retrouver, mais les profanes y trouveront certainement leur compte. On peut aussi parler de textes très intéressants et plutôt historiques avec Clash Royal qui relate la relation toxique entre Rimbaud et Verlaine, ou encore Enfant du Destin – Atai, qui parle du massacre des canaques par le colon français. Malgré la qualité d’écriture du rappeur, on n‘échappera pas à quelques morceaux hasardeux, comme par exemple Madara en feat avec Soolking, et c’est clairement le titre le moins bon de l’album, entre raï et Rap bourré d’autotune tout simplement insupportable ou encore Papeti en feat avec son premier fils, qui souffre d’une instru très faible malgré des belles paroles universelles.
Au final, Storyteller, le dernier album en date de Médine, n’est pas son meilleur opus, mais il reste dans le haut du panier de ce que peut proposer le rap en ce moment. Généreux, précis, bien écrit, bourré de références et de bonnes intentions, Médine offre un album qui possède un bon goût de reviens-y et qui démontre toute l’intelligence de son interprète. Bien loin de toutes les polémiques qui gravitent autour de lui, Médine montre son humanité à travers cet album imparfait, mais à son image, celle d’un papa qui évolue, qui voit le monde qui change et qui pose un regard plus apaisé sur son environnement.
- Bangerang
- Nature Morte feat Sofiane
- Venom
- PLMV feat Kery James et Youssoupha
- Tellement je t’m
- Normal Zup
- Clash Royal
- Madara feat Soolking
- Skit – Dream Bank
- Bataclan
- Enfant du Destin – Atai
- Fin Alternative
- Skit – Limits
- Bomance
- Papeti feat Massoud
- Storyteller
Note: 15/20
Par AqME