Auteur : Dan Simmons
Editeur : Robert Laffont
Genre : fantastique, Horreur
Résumé :
1845, Vétéran de l’exploration polaire, Sir John Franklin se déclare certain de percer le mystère du passage du Nord-Ouest. Mais l’équipée, mal préparée, tourne court; le Grand Nord referme ses glaces sur Erebus et Terror, les deux navires de la Marine royale anglaise commandés par Sir John. Tenaillés par le froid et la faim, les cent vingt-neuf hommes de l’expédition se retrouvent pris au piège des ténèbres arctiques. L’équipage est, en outre, en butte aux assauts d’une sorte d’ours polaire à l’aspect prodigieux, qui transforme la vie à bord en cauchemar éveillé. Quel lien unit cette « chose des glaces » à Lady Silence, jeune Inuit à la langue coupée et passagère clandestine du Terror? Serait-il possible que l’étrange créature ait une influence sur les épouvantables conditions climatiques rencontrées par l’expédition? Le capitaine Crozier, promu commandant en chef dans des circonstances tragiques, parviendra-t-il à réprimer la mutinerie qui couve?
Avis :
La bibliographie de Dan Simmons est émaillée de projets aussi ambitieux que conséquents. Des œuvres telles que Les Cantos d’Hyperion, L’échiquier du mal ou encore le diptyque Ilium/Olympos sont représentatives de son talent pour développer une architecture complexe et cohérente. Terreur s’inscrit dans cette volonté à dépeindre une fresque à la fois rigoureuse et immersive. L’objectif ? Tenter d’expliquer le mystère qui entoure la disparition de l’expédition Franklin au milieu du XIXe siècle. De recherches en études scientifiques, plusieurs hypothèses ont été avancées pour résoudre cette énigme, même s’il persiste de nombreuses zones d’ombre.
Avant d’aborder l’aspect fantastique, l’intrigue se veut avant tout une formidable reconstitution historique où l’auteur décrit avec minutie la vie des marins et des explorateurs du Pôle Nord. La hiérarchie de la Royal Navy, les fonctions de chaque officier et membre de l’équipage, le fait d’hiverner en attendant la fonte des glaces, sans oublier l’équipement et les stocks à bord, sont autant de points évoqués avec naturel. L’emploi d’un vocabulaire spécifique à la navigation n’est nullement rebutant. De même, cela permet de crédibiliser un récit qui met en exergue un quotidien fait d’épreuves et de difficultés. Cette considération vaut autant pour la promiscuité des navires que pour l’hostilité de l’environnement.
La particularité et l’attrait premier du livre sont de décrire des faits réels et avérés sous l’angle de la fiction. Des principaux intervenants au déroulement de l’expédition, Dan Simmons fournit un effort notable pour synthétiser (sur plus de 1 000 pages au format poche) tout ce que l’on connaît ou presque sur l’expédition Franklin. Bien que la première partie fait s’entrecroiser plusieurs périodes temporelles, la chronologie des événements reste précise et parfaitement intelligible. Cette entame permet surtout de ne pas se perdre en digressions et de plonger d’emblée au cœur du sujet. Quant aux éléments inexpliqués, ils sont intégrés dans l’histoire de telle sorte qu’il est difficile de démêler le vrai du faux.
Enfin, dans une certaine mesure. Car là où on touche au domaine de la théorie, les faits conservent une part de mystères en se tournant vers le fantastique. La présence d’une créature gigantesque et monstrueuse ajoute une tension et une dynamique évidente, tandis que les dissensions au sein des deux équipages (le Terror et l’Erebus) se creusent. Risques de mutinerie, survie en milieu inhospitalier, rationnement et attaques sporadiques de la créature forment un quotidien émaillé de désespoir, d’effroi, mais aussi de combativité et de persévérance. Paradoxalement, la pureté du cadre renvoie à une certaine forme de quiétude que d’aucuns ne sauraient apprécier en de telles circonstances.
En plus de fournir une histoire qui tient en haleine du début à la fin, Dan Simmons présente une palette de protagonistes des plus dissemblables. Placer chaque individu au sein du roman sans créer de confusion ou d’incohérence demeure un véritable tour de force pour ce qui, aux yeux du lecteur, semble naturel. Ici, il faut prendre en compte les compétences des différents intervenants, leur caractère, leur relation sociale et leur aspiration à plus ou moins long terme. Le tout se dévoile sur fond de cannibalisme et de mythologie Inuit qui, là encore, fait preuve d’une certaine exhaustivité pour incorporer les tribus esquimaudes et leurs croyances dans l’intrigue.
Au final, Terreur s’avance comme un récit mêlant avec habileté les événements historiques et la fiction. Aussi instructive que divertissante, cette fresque à la densité évidente concilie la rigueur propre aux livres de faits aux contraintes d’accessibilité pour toucher un large public. La prose est fluide et la plume affûtée pour une qualité de narration exceptionnelle. Gérant avec brio tous les aspects de son sujet, Dan Simmons offre l’un des romans les plus complets et réussit sur l’expédition Franklin. À placer aux côtés des Aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne qui, à l’époque, s’était déjà inspiré des mêmes événements.
Note : 18/20
Par Dante