Avis :
Les « a priori » sont une source de problèmes majeurs dans n’importe quel domaine artistique. Que l’on soit peintre, musicien, cinéaste, comédie, avoir une étiquette posée sur le front peut poser de nombreux problèmes et parfois même un boycott ou un refus catégorique de voir des œuvres de tels réalisateurs ou d’écouter des albums de tels chanteurs. C’est dommage. Et la France est l’un des pays qui aime le plus poser des étiquettes sur les gens, les catégoriser afin d’établir des tris, des classements et éviter toutes découvertes. Sauf que la curiosité, si elle peut être un vilain défaut, et aussi source d’émerveillement et de soif culturelle. Cradle of Filth a toujours eu la volonté de véhiculer une image violente et gore dans un milieu où la musique était déjà bien catégorisée comme diabolique. Fondé en 1991 en Angleterre, le groupe officie tout d’abord dans un Death guttural avant de partir vers du Black symphonique avec des paroles illustrant toujours les enfers, le diable, mais aussi les vampires et tout autre cochonnerie du même genre. Et rapidement, le groupe a eu une image sulfureuse, un peu comme tous les groupes de Black scandinaves qui aiment alimenter le milieu de frasques inutiles, comme le lien entre Burzum et Mayhem. Mais quand on jette une oreille sur les derniers albums de Cradle of Filth, on se rend vite compte que cette image virulente, sanglante, est peut-être galvaudée, car même si leur musique reste puissante, les mélodies et les émotions sont bien présentes. La preuve en est avec Cryptoriana – The Seductiveness of Decay.
Quatorzième album pour le groupe, qui est retourné chez Nuclear Blast, et on peut dire que malgré toutes les polémiques dont il doit faire face (propos sataniques, imagerie gore, etc…), il propose ici un skeud assez généreux, long, mais possédant une véritable identité. N’en déplaise aux puristes du Black Métal qui veulent que leur genre reste six pieds sous terre, Cradle of Filth propose un savant mélange qui peut aussi bien plaire aux profanes qu’aux vieux de la vieille. L’album démarre avec une introduction d’un peu plus de deux minutes avec Exquisite Torments Await, qui annonce un côté très dark que l’on connaissait déjà, surtout si on a regardé les clips du groupe, assez équivoques, mais aussi très cinématographique, soignant l’ambiance glauque et assez violente. Le chanteur Dani Filth s’en donne à cœur joie avec ses cris de chouette qu’il transforme ensuite en growl parfaitement maîtrisé. Le morceau demeure efficace pour une mise en bouche et prépare à un long voyage qui synthétise tout ce que le groupe affectionne. Heartbreak and Seance, qui est le premier tube de cet album, est à la fois surprenant et très classique. Entre des guitares aériennes et une batterie ultra rapide, le groupe fait la part belle aux sentiments dans un morceau qui alterne entre moments très rapides et passages plus doux, laissant une large place au clavier et à des riffs d’une rare douceur, se confrontant à une voix grave. Cette espèce de dichotomie fonctionne parfaitement et l’appui des chœurs féminins sera un plus indéniable. On retrouvera cette ambiance à la fois macabre et délicate avec Achingly Beautiful, qui sera basé sur la même structure que le morceau précédent, mais avec une violence plus prégnante et un clavier beaucoup plus appuyé.
Ce schéma structurel, qui s’appuie sur une introduction un peu aérienne puis sur des riffs rapides s’alliant à un cri du chanteur avant d’entamer un couplet bourrinnasse avec ce qu’il faut de mélodie pour rentrer dans la catégorie symphonique, sera la méthode de base du groupe. En effet, presque tous les morceaux seront construits ainsi. On peut citer Wester Vespertine, Vengeful Spirit, même si le rythme est plus lent et qu’une chanteuse ajoute une douceur supplémentaire, Death and the Maiden ou encore Alison Hell qui clôture l’album de la plus des belles des manières. De ce fait, et même si c’est bien fait et techniquement irréprochable, Cradle of Filth tourne parfois un peu en rond et peut paraître répétitif. Surtout que les morceaux sont relativement longs et qu’il n’y a pas à proprement parler de hits, de morceaux qui restent un long moment dans la tête. Techniquement, que ce soit à la guitare, au chant, à la batterie ou même au clavier, il est difficile de critiquer Cradle of Filth, puisque ce sont tous des musiciens talentueux, mais on ne peut s’empêcher de sentir comme un petit relâchement et une envie de rester dans sa zone de confort, malgré le léger changement de direction artistique et un son finalement moins extrême qu’il n’y paraît.
Au final, Cryptoriana – The Seductiveness of Decay, le dernier album de Cradle of Filth, est plutôt une bonne surprise. Mélangeant allègrement la violence du black avec la douceur du sympho, on obtient un quatorzième album intéressant et techniquement irréprochable. Le seul gros reproche que l’on peut lui faire, c’est que quasiment tous les morceaux sont calqués sur le même moule et qu’il manque un peu de folie pour relever l’ensemble et en faire un indispensable. En l’état, nous sommes face à un bel album, que les fans apprécieront, accessible pour les néophytes, mais qui reste dans une certaine zone de confort.
- Exquisite Torments Await
- Heartbreak and Seance
- Achingly Beautiful
- Wester Vespertine
- The Seductiveness of Decay
- Vengeful Spirit
- You Will Know the Lion by his Claws
- Death and the Maiden
- The Night at Catafalque Manor
- Alison Hell
Note: 15/20
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=DNRIaeg6EyY[/youtube]
Par AqME