Titre Original : El Hombre de las Mil Caras
De : Alberto Rodriguez
Avec Eduard Fernandez, José Coronado, Marta Etura, Carlos Santos
Année : 2017
Pays : Espagne
Genre : Policier, Biopic
Résumé :
Francisco Paesa, ex agent secret espagnol, est engagé pour résoudre une affaire de détournement d’argent risquant d’entrainer un scandale d’Etat. L’homme y voit l’opportunité de s’enrichir tout en se vengeant du gouvernement qui l’a trahi par le passé. Débute alors l’une des plus incroyables intrigues politiques et financières de ces dernières années : l’histoire vraie d’un homme qui a trompé tout un pays et fait tomber un gouvernement.
Avis :
Encore sur le toit du monde il y a une dizaine d’années, avec les consécrations successives de Balaguero, Amenabar, Bayona, ou l’hégémonie jamais contestée d’Alex de la Iglesia et Guillermo Del Toro, le cinéma de genre hispanique avait un peu baissé en régime ces derniers temps, notamment à cause d’une certaine « fuite des cerveaux » vers la Mecque Hollywoodienne, et d’une jeune génération qui peinait à s’émanciper du style de ses aînés.
La célèbre J-Horror japonaise avait eu le même problème, à force de films d’horreur tous coulés dans le moule Nakato-Shimizuesque, et commençait à tourner en rond.
Pour le Pays du Soleil levant, cela s’est soldé par un transfuge de l’intérêt depuis les fantômes aux cheveux sales vers les thrillers désespérés en provenance de Corée.
Les pays hispaniques eux, et l’Espagne en particulier, plutôt que de laisser filer le créneau vers, par exemple, des scandinaves de plus en plus présent dans les salles et les festivals, ont préféré se recentrer sur une autre de leur spécialité : le film policier.
Ainsi, depuis quelques années, voit-on pulluler en Europe et ailleurs de petites perles taillées au cordeau qui permettent l’émergence de nouveaux talents et la diffusion dans l’Hexagone de pelloches qui auparavant auraient au mieux fait le bonheur des vidéoclubs.
Il y a deux ans sortait La Isla Minima, thriller brûlant et étouffant façon True Detective, qui avait fait découvrir coup sur coup au public français ses acteurs Raul Alevaro et Javier Gutierrez, et surtout son réalisateur Alberto Rodriguez.
Les coudées franches grâce au succès du film, celui-ci revient donc cette année avec cet Homme aux mille visages, biopic touffu et complexe de Francesco « Paco » Paesa, escroc notoire qui dans les années 90 berna l’Espagne tout entière lors de l’affaire Luis Roldan, directeur de la Garde Civile espagnole accusé de corruption qui fuit l’Espagne et resta en cavale presque un an. Le tout orchestré par un Paco Paesa habitué du mensonge et de la manipulation pour arriver à ses fins.
Décrit comme un Arrête-moi si tu peux à la sauce andalouse, L’Homme au mille visages, avec son escroquerie généralisée qui fait gagner le filou face au gouvernement, fait plutôt penser au American Bluff de David O’Russel. On ne retrouve pas vraiment la légereté, la fluidité, et le côté ludique du Spielberg, et même si le propos général peut prêter à sourire, l’heure n’est pas vraiment à la plaisanterie.
L’histoire est tellement dense, sans que rien ne soit fait pour prendre un peu le spectateur par la main, que pendant un long moment on ne comprend rien. Mais rien. On suit les situations, on essaie de s’intéresser aux personnages, mais on ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe ni pourquoi.
Surtout que le film fait des allers-retours constants entre les quatre coins de l’Europe, voir du globe, de Madrid à Paris en passant par l’Allemagne, Genève, Singapour ou encore Bangkok. Certainement qu’il sera plus facile de rentrer dans le film pour ceux qui connaissent déjà l’histoire de l’Espagne et le scandale Roldan en particulier.
Pourtant, peu à peu, et malgré un scénario qui consiste surtout à des types discutant dans des bureaux, on s’attache à ce gigantesque jeu du chat et de la souris, où le protagoniste principal semble toujours sur la sellette et s’avère finalement avoir toujours une longueur d’avance. Une fois le film terminé, on se rend compte de la densité de l’histoire et de l’improbable manipulation généralisée de laquelle on vient d’être témoin, mais il faut quand même s’accrocher pendant plus de deux heures à un film pas forcément simple à apprécier.
C’est ce qui pourrait empêcher l’adhésion au film d’un certain public. Si le mystère est toujours un bon plan pour accrocher le spectateur, l’intérêt premier de, disons, un film d’enquête policière, et de voir ce mystère dévoilé petit à petit. Dans un film d’arnaque, il est beaucoup plus difficile de s’impliquer lorsqu’on est justement mis à la place des personnes flouées plutôt que du cerveau. Il faut dire que même les proches collaborateurs de Paco Paesa ne savaient pas tous ce qui se tramait, et tombent régulièrement des nues en découvrant que leur ami les a dupés.
Intrigues politiques, arnaques, machinations, Paco Paesa était peut-être encore plus filou que Frank Abagnale Jr (le personnage d’Arrête-moi si tu peux) car il multipliait les arnaques simultanément au lieu de les enchaîner, et contrairement au héros interprété par Leonardo DiCaprio qui gérait son affaire de façon intime (pour lui et par lui), ce manipulateur espagnol avait un poste haut-placé et a frayé avec les plus grandes instances du gouvernement de l’époque.
En résulte du coup ce film incroyablement dense, parfois à la limite de la lourdeur, passionnant in fine mais éprouvant pour l’attention, qu’Alberto Rodriguez allège tout de même en aérant sa réalisation, et surtout en dirigeant avec précision des acteurs investis, notamment Eduard Fernandez (Biutiful, La Piel que Habito) qui a pris dix kilos pour endosser le rôle de Paco Paesa, ou Carlos Santos (Même la Pluie) qui arbore pour l’occasion une magnifique calvitie.
Biopic qui surprend de la part d’un pays plus prompt à nous provoquer des suées policières que des réflexions politiques, témoignage d’une entourloupe récente et pourtant peu connue, L’Homme aux mille visages est un film un peu opaque, difficile d’accès, mais qui reste à voir pour le spectateur investi et friand d’histoires tortueuses.
Note : 15/20
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Par Corvis