avril 16, 2024

Triste Amérique – Michel Floquet

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Auteur : Michel Floquet

Editeur : Les Arènes

Genre : Essai

Résumé :

Il y a deux Amérique. Celle du mythe, de la liberté, de la musique, de la chance offerte à chacun. De la Silicon Valley, de Manhattan, de Google, de Facebook, de Wall Street et d’Hollywood. Et l’autre Amérique? Un pays qui consacre la moitié de son budget à l’armée, en perdant toutes ses guerres. Où un enfant sur quatre mange à la soupe populaire. Où l’on compte, proportionnellement, plus de prisonniers qu’en Chine ou en Corée du Nord. Où des vieillards paralytiques purgent des peines de 150 ans. Où, chaque jour, plus de 30 personnes sont abattues par arme à feu. Où les études coûtent 40 000 dollars par an, induisant une reproduction sociale sans égale. Où l’impôt taxe les plus riches de 15 % et les plus modestes de 25 ou 30 %. Une démocratie dominée par deux partis qui dépenseront 7 milliards de dollars lors de l’élection de 2016 pour continuer à se partager le pouvoir. C’est cette triste Amérique que dépeint Michel Floquet. Un pays qu’il a parcouru pendant cinq ans, saisi par son éloignement de l’Europe, son continent d’origine. Et l’on réalise qu’au XXIe siècle, les États-Unis ont dévoré l’Amérique tant admirée.

Avis :

Lorsqu’on évoque l’Amérique, on songe immédiatement aux États-Unis, en délaissant au passage les autres pays du continent. Si le raccourci est facile, il traduit néanmoins une sorte d’idéalisme nombriliste que la culture populaire se plaît à véhiculer par-ci par-là. Si certaines critiques s’élèvent contre la première puissance mondiale, on aurait tendance à édulcorer ou minimiser les problèmes qui la gangrènent. Peu nombreux sont les trouble-fêtes qui portent un regard objectif et sans complaisance sur le vrai visage d’une nation définitivement pas comme les autres. On songe principalement à Michael Moore ou Morgan Spurlock. S’ils sont tous deux concernés, il est plus rare qu’un « étranger » s’y attelle avec la même verve.

Journaliste et correspondant à Washington pour TF1, Michel Floquet aura eu le loisir de découvrir les États-Unis pendant cinq ans (de 2011 à 2016). Dès lors, s’impose le contraste entre les idées reçues (et foncièrement admises) et la triste réalité qui inspire à la fois cet ouvrage et son titre ô combien évocateur. À la manière d’un touriste qui explore le pays pour la première fois, on démarre sous le prisme d’un point de vue réduit. Comprenez les mœurs, les petites habitudes et autres surprises dont seuls les Américains ont le secret. Il est vrai que les faits et les anecdotes cités tout au long du livre sont des informations facilement accessibles, mais peu médiatisées à l’échelle internationale, particulièrement dans l’hexagone.

L’auteur ne s’amuse pas à casser l’American Dream, mais à dépeindre un contexte et une somme d’événements qui ont conduit à la déliquescence d’un concept suranné. Il se penche aussi bien sur un mode de vie ultra-consumériste que sur le système de santé, l’état policier, la surpopulation carcérale, sans oublier les travailleurs pauvres. Progressivement, l’image vernie qu’on se forge des États-Unis (notamment avec les productions d’Hollywood) s’écaille. Il est intéressant de constater bon nombre d’errances ou de comportements aberrants qui mènent à une Amérique en perte de repères et de valeurs. Pour ce faire, une multitude d’arguments sont évoqués avec le plus grand pragmatisme.

La question des Indiens en est un exemple flagrant et l’analogie avec d’autres génocides de l’histoire frappante. De l’arrivée des premiers colons aux célébrations des premiers Thanks Giving, on nous offre un panel consternant de ce qui a été commis au seul nom de la cupidité. D’ailleurs, l’expression « le négationnisme par le vide » prend tout son sens puisqu’on ignore la réalité. Sans doute est-ce dû à l’abrutissement des masses ou au concours des productions cinématographiques (on ne remerciera jamais assez les westerns diabolisant les Indiens), toujours est-il que le pays oublie son passé sous le prétexte que rien de tout ceci n’a jamais existé.

Il est vrai que le livre est relativement court au vu des nombreux sujets abordés. Il n’empêche, sa structure évoque la vie des Américains, puis les problèmes socio-économiques, les tensions raciales pour mieux bifurquer sur la politique de la nation, la place allouée aux militaires ou aux armes à feu et à un futur incertain. Autrement dit, le but de cet ouvrage n’est pas d’approfondir un aspect sociétal en particulier, mais de voir dans son ensemble une société qui coure à sa perte. Non en se demandant comment faire pour s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard, mais quelle paire de baskets à la mode porteront-ils pour sauter dans le vide. C’est dire, la situation dans laquelle se trouve les États-Unis et, par extension, le monde puisqu’elle influence plus ou moins son orientation géopolitique.

Au final, Triste Amérique est un livre éloquent tant il fait preuve de recul et de circonspection sur un pays dont, finalement, on ignore tout ou presque. À travers quelques faits divers et expériences vécues, Michel Floquet décrit sans retenue ces petits travers qu’on pourrait considérer comme amusants s’ils ne conduisaient pas à tant de bêtises. On aurait pu craindre que le nombre de sujets puisse perdre le lecteur avec un survol rapide. Il n’en est rien. Le ton est aussi incisif que le contenu pertinent. Il en ressort un ouvrage indispensable dont la lucidité ouvre pas mal de réflexions, à commencer par l’avenir d’une telle société dans quelques années. Si Triste Amérique démystifie tout un pays, il permet surtout de mieux comprendre ce qui le concerne de près, comme de loin.

Note : 18/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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