On a beau tourner le problème dans tous les sens, la religion est encore omniprésente dans le septième art. Mère de toutes les guerres et les différences dans le monde, la religion inspire autant qu’elle permet d’explorer des thèmes divers et variés. Et que ce soit dans l’horreur, la comédie ou encore le film de guerre comme en atteste le chef d’œuvre Tu ne Tueras Point de Mel Gibson, la chrétienté prend une place prépondérante au sein du cinéma, que ce soit en premier plan ou en second plan. Et cela n’a rien de surprenant quand on sait comment les américains sont des bigots de Dieu, au point de penser qu’ils font tout cela pour pardonner à leurs aïeuls tous les péchés commis pour récupérer une terre qui ne leur appartient pas. Mais fort heureusement, certains artistes ne sont pas dupes et préfèrent explorer un autre penchant de la religion, le côté obscur, les enfers.
Car si le paradis ne semble pas si excitant que ça, avec des chérubins planant le cul à l’air et de la musique classique plein les oreilles, l’enfer, ça a quand même plus de gueule. Chaleur, fête, dépravation, musique assourdissante, bref, une imagerie infernale qui aujourd’hui est rentrée dans la culture populaire avec moult démons cornus et un Satan qui aime faire le mal aussi bien que l’amour. Cependant, si le thème du diable et de l’enfer est finalement assez récurrent au cinéma, et cela depuis les années 1910, sa représentation physique a bien changé et que ce soit le diable en lui-même ou son environnement, l’évolution est assez impressionnante et symptomatique de la société de l’époque. Avec la sortie de Inferno de Ron Howard, tiré du livre de Dan Brown, revenons rapidement sur l’évolution des enfers au cinéma, et par la même occasion de l’aspect physique de Satan.
Si la première exploration des enfers est souvent donnée à Georges Méliès, le père du cinéma moderne, c’est surtout durant les années 1900 que le diable et son habitat commence vraiment à faire son apparition. Très théâtralisé, le diable, tout comme le fantastique à cette époque, est plutôt tourné en ridicule et apparaît comme un souffre-douleur rigolo, gesticulant dans tous les sens. On est clairement dans une dédramatisation du mal que l’on doit au théâtre qui se rapproche de plus en plus du vaudeville. De ce fait, l’enfer est perçu comme une vieille bâtisse avec de gros chaudrons (une imagerie d’Epinal de la sorcière) et le diable, un petit être malfaisant mais assez insignifiant et inoffensif.
Ce personnage ridicule va vite se faire remplacer dans les années 10 par un diable plus proche de la littérature et notamment de l’ouvrage de Dante. Ainsi, Maciste aux Enfers (1925) ou encore L’Inferno de 1911 montrent un diable plus effrayant, plus gothique et donc plus sombre. Cependant, on retrouvera encore et toujours certaines scories issues du cinéma de Méliès avec quelques explosions ou démembrements lorsque le démon est vaincu. Dans les années 20, l’expressionnisme allemand et suédois s’empare du sujet pour faire quelque chose de plus sombre encore, renforçant l’aura maléfique du diable et offrant de vrais moments de peur. Le seul bémol que l’on pourrait apporter à ces films, c’est que l’enfer n’est pas forcément représenté, les réalisateurs se focalisant plus sur l’intervention du diable sur Terre et non pas dans son fief.
Durant les années 20 et surtout les années 30, le diable disparaît dans sa tanière et on n’entend plus ou peu parler. En fait, les seuls films qui peuvent évoquer le diable sont des allégories au mythe de Faust mais dans lesquelles le personnage de Satan n’est jamais évoqué.
Il faudra attendre les années 40 pour que le vilain petit démon revienne en France et aux Etats-Unis. Mais attention, encore une fois, son habitat est très peu représenté et seul le diable semble intéresser les scénaristes. Ainsi, le démon revient sous forme humain pour corrompre certaines personnes. Haut fonctionnaire, administrateur ou encore étranger au verbe facile, le diable représente le bon capitaliste, qui sera alors montré du doigt comme le mal absolu. Véritable diabolisation de l’homme d’affaires, les films des années 40 ne sont pas tendres avec ce genre de personnages, les associant volontairement au diable et à sa tchatche légendaire. On retrouve cela dans La Main du Diable de Jacques Tourneur par exemple ou encore La Beauté du Diable de René Clair qui montre un pacte signé avec le diable.
Le diable renaît de ses cendres à partir des années 50 jusqu’aux années 80. L’Italie s’empare du sujet à bras le corps et de nombreux cinéastes tentent leur chance. Ainsi donc Mario Bava et son Masque du Démon ou Dario Argento et son Inferno vont plonger tête la première dans les neufs cercles pour en ressortir des films ahurissants et angoissants. Le diable évolue physiquement, devenant une icône assez précise sous la forme d’un gigantesque squelette pour Argento, gardant ainsi ses atours horrifiques pour bien appuyer un personnage démoniaque. Les enfers sont parfois représentés de façon aride, montrant quelques images d’un lieu désertique, en proie à la perdition et au brouillard. On est bien loin des années 1910 et son diable gesticulant dans tous les sens ou avec deux cornes sur la tête.
L’Angleterre ne sera pas en reste, mais plutôt que de montrer les enfers, elle va surtout jouer la carte de la possession. Ainsi donc va naître Rosemary’s Baby de Roman Polanski ou Les Diables de Ken Russell, deux films qui vont marquer toute une époque.
Les Etats-Unis vont s’engouffrer dans la brèche avec l’immanquable L’Exorciste de William Friedkin mais aussi La Malédiction de Richard Donner. On notera aussi un petit retour en arrière, comme dans Angel Heart d’Alan Parker, où le diable retrouve son aspect humain et manipulateur. La première chose qui frappe dans ses films, c’est que tout de même l’aspect rigide la religion est bien présent dans tous ces films et qu’il n’y a pas vraiment d’originalité. Le seul qui ose vraiment mettre un coup de pied dans la fourmilière, c’est John Carpenter avec Le Prince des Ténèbres, dans lequel le diable est une sorte de liquide verdâtre qui semble fasciner les hommes. On peut aussi citer l’anglais Clive Barker et son Hellraiser, qui voit l’enfer comme un endroit dépravé, gore, dans lequel des cénobites, sorte d’extraterrestres, s’adonnent au sadomasochisme avec une imagerie glauque et trash.
Durant la première moitié des années 2000, le diable est de nouveau tourné en ridicule. Qu’il soit femme (Endiablé) ou démon cornu looser (Tenacious D), le diable en prend plein la tronche et va faire le bonheur de certaines comédies. C’est dans la deuxième moitié des années 2000 que le diable retrouve des honneurs, puisque les scénaristes, visiblement fatigués, se penchent grandement sur la mythologie et n’osent plus trop faire dans le crade ou l’horreur. On retrouvera cependant certains physiques connus, comme dans Constantine ou Hellboy, avec un diable plus iconoclaste mais aussi et surtout un enfer qui devient un lieu parallèle à la Terre mais fait de flammes et de monstres dangereux s’amusant à torturer les âmes des défunts.
Aujourd’hui, le diable garde encore ses atouts, à savoir une part de mystère et d’angoisse, souvent lié à la religion qui revient malheureusement force. Il demeure tout de même de plus en plus discret et certains films osent même placer Dieu comme ennemi, notamment dans la série Preacher ou dans le (mauvais) film Légion. Une tendance qui montre le rejet pour certains d’une religion qui ne fait que diviser les populations et haïr l’autre. Finalement, et si c’était Dieu notre enfer ?
Par AqME