Auteur : Clive Barker
Editeur : Bragelonne
Genre : Horreur
Résumé :
Cela fait des années que Harry D’Amour, détective de l’étrange et du surnaturel, habitué à affronter créatures magiques et malveillantes, lutte contre ses propres démons. Lorsqu’il met la main sur un artefact ancien – un cube-puzzle capable d’ouvrir un portail sur l’Enfer lui-même, des démons, véritables ceux-là, ne tardent pas à s’ajouter aux siens. Harry se retrouve bientôt entraîné dans un terrifiant jeu du chat et de la souris, à la fois sanglant, troublant et brillamment sophistiqué.
Avis :
Quand on songe à certains personnages issus d’horizons divers, on ne peut s’empêcher de se demander ce que leur rencontre impliquerait dans un ouvrage commun. Une sorte de fantasme culturel inavouable qui demeure souvent à ce stade pour des raisons de créativité, d’incompatibilité ou autres. Or, l’entreprise est plus facile lorsqu’on distingue des similarités telles la convergence de deux univers enfantés sous le crâne d’un seul auteur. Rares sont ce genre d’initiatives qui aboutissent. Elles le sont encore plus sans intentions mercantiles. Pourtant, elles existent, tapies dans les recoins des imaginaires les plus dérangés de la littérature contemporaine. Les évangiles écarlates est de ceux-là.
Alors que le troisième tome d’Abarat reste toujours inédit en France, et ce, cinq années après sa sortie outre-Atlantique, le présent livre confronte deux des personnages les plus emblématiques de l’œuvre de Clive Barker : Pinhead et Harry D’Amour. Étant donné les dernières frasques cinématographiques du prêtre de l’enfer, cela pourrait paraître à sourire. Toutefois, son géniteur se réapproprie le mythique cénobite. On occulte donc tout ce que l’on a pu voir sur grand ou petit écran (notamment de très dispensables DTV) pour offrir une suite digne de ce nom à Hellraiser. D’un autre côté, la présence de Harry D’Amour contraste l’horreur au sens strict du terme avec un cachet occulte, empreint de mysticisme et de croyances ancestrales.
Dans un premier temps, on aborde deux histoires distinctes qui évoluent en parallèle. Il est vrai que le retour de Pinhead ressasse ce que l’on connaît déjà du personnage en montant un cran dans l’horreur (oui, c’est possible). Entre le gore des plus généreux et les tortures qui rivalisent de sadisme dans leurs détails, on a droit à un déluge de scènes qui repoussent les limites du concevable. Propre à donner un sens nouveau aux termes souffrance et douleur, Clive Barker magnifie chaque acte odieux avec force détails. Sans aucune complaisance, il parvient à dépeindre l’innommable dans une prose poétique des plus raffinés pour une telle débauche d’hémoglobines et de vices.
Pour contrebalancer cette violence de tous les instants, les passages avec Harry D’Amour offrent une touche d’occultisme propice à développer l’aspect mystérieux et surnaturel de l’intrigue. Une escale à La Nouvelle-Orléans et à New York (réceptrice aux forces du mal), médiumnité, hantises ou possessions, la variété des situations et des cadres mis en œuvre épaississent, à leur façon, une ambiance macabre des plus délectables. Dès lors, on peut se dire que l’on tient là un formidable roman horrifique. Pour autant, la trame prend une tournure inattendue et nous entraîne vers des contrées infernales où l’enfer aura rarement été dépeint d’une manière aussi singulière.
Avec une cartographie précise, des cités à l’architecture démente, ces lieux remplis d’hostilité et de désespoir, l’enfer vu par Clive Barker se rapproche grandement de l’odyssée qui mène à Kadath décrit par Lovecraft. Les influences sont évidentes, mais le voyage aux confins de la raison n’en est que plus percutant. L’enfer est un vaste concept que les religions de tous horizons ont réussi à s’approprier. Barker lui donne une dimension onirique où il n’est nulle question de croyances (on évite le piège du dogmatisme ou des morales puritaines), mais de sensations. Que ces dernières soient le summum de la jouissance ou de l’intolérable, elles offrent une réelle consistance au récit afin de le rendre vivant.
Quand bien même est-il moins prolifique que d’autres romanciers, Clive Barker n’a plus rien à prouver dans le domaine horrifique. Pour autant, il revient après presque cinq années d’absence avec un véritable chef-d’œuvre du genre. L’auteur parvient à reprendre tout ce qui définit son univers en repoussant toujours plus loin le niveau littéraire. La subtilité de son style d’écriture contraste avec la violence outrancière qu’il dépeint sans faire la moindre concession. Il en ressort une histoire bluffante soutenue par une atmosphère unique. Une quête dans les affres du sordide qui est en passe de devenir la bible référentielle de la démence et de l’horreur sous toutes ses formes.
Note : 19/20
Par Dante