Auteur : Bernard Werber
Editeur : Albin Michel
Genre : Fantastique
Résumé :
Et vous, que feriez-vous si vous pouviez voir le futur et que personne ne vous croie ?
Avis :
Lorsque l’on se penche sur l’humanité, difficile d’être optimiste à force d’observer ce qui nous entoure. D’ailleurs, la plupart de nos contemporains préfèrent l’ignorer dans un recoin de leur esprit plutôt que de s’interroger sur le devenir de leurs enfants et de l’espèce tout entière. L’avenir ? Un sujet d’inquiétude et un miroir dans lequel les écrivains (compétents) se regardent, analysent et retranscrivent par la magie des mots ce qu’ils ont entrevu. Le futur n’est pas la préoccupation d’une élite ou le privilège des sociétés occidentales, il est universel et s’adresse à n’importe quel être humain comme autant de genres littéraires l’ont décrit avec brio. Et s’il y a bien un auteur qui ne rentre dans aucune case et jongle avec la langue française selon son bon vouloir, c’est bien Bernard Werber.
Le miroir de Cassandre peut se concevoir comme une sorte de rétrospective de ses thèmes les plus chers. Bien sûr, la capacité de prédire l’avenir est au centre de l’intrigue, mais l’on découvre également des sujets tels que la liberté d’expression, l’exclusion ou la différence. On retrouve un peu de La révolution des fourmis avec la création du ministère de la prospective ; un peu des Thanatonautes dans les rêves de Cassandre, à la lisière des perceptions et des univers et même une référence flagrante à L’arbre des possibles pour n’en citer que quelques-unes. Vous l’aurez compris, ce roman possède une histoire étrange et curieuse sans oublier ce qui a fait le succès de son auteur : son anticonformisme.
Pourtant, l’on pourrait reprocher à son intrigue de s’étirer plus que de rigueurs sur certains aspects tel le sentiment statique que procure la décharge baptisée « Rédemption ». Propre à l’introspection et au développement des protagonistes, ces passages offrent l’opportunité de les connaître, mais on a tendance à perdre de vue le fil rouge pour fuir littéralement les problèmes du quotidien et une vie pleine de promesses banales et bancales. On ne retiendra pas plus la traque des bombes posées par des terroristes qui devient rapidement répétitive ou les réflexions superficielles de notre Donald Sutherland national !
Néanmoins, la progression ne se fait pas sans heurt à cause d’un rythme chaotique et capricieux. Il n’en demeure pas moins que les considérations et les interrogations qui jalonnent les pages sont aussi savoureuses que le contenu de L’encyclopédie du savoir relatif et absolu (absent du présent ouvrage). Qu’on les qualifie de réalistes, cyniques ou défaitistes (parfois, les trois termes les définissent dans leur ensemble), toutes méritent le détour, car elle recèle une vérité profonde sur le monde qui nous entoure. Comme à l’accoutumée, cette dénonciation des travers de notre société s’effectue sans garde-fou avec un humour corrosif délectable.
Dès lors, la première impression aux côtés des personnages change radicalement. Là où l’on aurait pu craindre des caractères plats, presque inconsistants, on découvre par palier des individus drôles et attachants en marge d’un mode de vie qui ne leur correspond pas. À la fois méprisé et mésestimé, on les relègue au ban de la civilisation sous prétexte d’un refus d’intégration. Entre un passé tumultueux et des accidents de parcours, ces destins truffés de contradictions (ce qui accentue le réalisme) et de mensonges arrangés n’en demeurent pas moins touchants en dépit de leurs défauts (l’égoïsme en tête de gondole).
Au final, Le miroir de Cassandre est une fenêtre sur notre avenir, qu’il soit individuel ou global. Un roman inclassable qui, malgré des errances narratives et des longueurs qui auraient pu facilement être évitées, nous invite à une réflexion profonde sur le futur. En nous offrant une fable écologique avant-gardiste, Bernard Werber n’a pas peur d’assumer ses idéaux, fussent-ils utopiques pour certains. Paradoxalement, il réussit sur le ton de la légèreté (humour décalé et subtil) à interpeller sur des problèmes d’actualité qui ne feront que s’aggraver sans une prise de conscience universelle. En rien moralisateur, l’auteur nous invite à concevoir l’avenir en comprenant le présent. Un roman synonyme de bol d’air dans un monde qui suffoque…
Note : 16/20
Par Dante