octobre 27, 2025

L’Étranger – Ozon ose Camus

De : François Ozon

Avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Denis Lavant

Année : 2025

Pays : France, Belgique, Maroc

Genre : Drame

Résumé :

Alger, 1938. Meursault, un jeune homme d’une trentaine d’années, modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain, il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il reprend sa vie de tous les jours. Mais son voisin, Raymond Sintès vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…

Avis :

François Ozon, c’est l’un des réalisateurs français les plus prolifiques de sa génération. Depuis plus d’une dizaine d’années, il tourne pratiquement un film par an. Ozon, c’est une envie et un geste de cinéma étonnants, puisqu’il n’est jamais vraiment là où on l’attend : il passe d’un style à l’autre avec une liberté rare, allant du drame le plus intimiste à la comédie la plus pétillante, du thriller tendu à un film social, toujours avec une curiosité et un appétit de cinéma impressionnants.

Un an après « Quand vient l’automne« , film dont il avait écrit le scénario mais qui ne m’avait pas autant emporté que je l’aurais voulu, Ozon revient avec sans doute son projet le plus ambitieux : adapter « L’Étranger » d’Albert Camus, chef-d’œuvre absolu de la littérature française. Autant dire que le pari était à très haut risque et la réussite de François Ozon à mettre en scène ce morceau de littérature en est d’autant plus éclatante.

«  »L’Étranger » version Ozon se révèle passionnant »

Alger, fin des années 30. Meursault, un jeune employé discret, apprend la mort de sa mère. Il se rend à l’enterrement, indifférent aux rites et aux attentes des autres. De retour en ville, il reprend une vie ordinaire : baignades, amour naissant avec Marie, amitié sans jugement avec son voisin Raymond. Mais un jour, sur une plage écrasée par la chaleur, un geste irréfléchi change tout. Arrêté pour meurtre, Meursault est confronté à la justice, à la religion, à une société qui juge autant ses actes que son absence d’émotion.

Comme chaque nouveau film de François Ozon, j’attendais amoureusement ce « L’Étranger« . Peut-être plus encore que d’habitude, parce que, pour une fois, j’avais lu le roman avant. Je ne suis pas un grand lecteur, mais le livre d’Albert Camus m’avait marqué. Et, pour une fois, j’avais un vrai point de comparaison. Fidèle et différent à la fois, « L’Étranger » version Ozon se révèle passionnant. Si le début peut faire un peu peur, car Ozon coche toutes les cases de ce qu’on pourrait craindre des clichés du cinéma d’auteur français : noir et blanc, rythme lent, héros taiseux. On pourrait se dire que deux heures ainsi vont être longues. Mais il n’en sera rien.

Certes, le film est lent, mais jamais long. Ozon prend le temps de peindre le portrait de Meursault, cet homme d’une trentaine d’années dont on dirait aujourd’hui qu’il est “sans filtre”. Les trente à quarante-cinq premières minutes sont presque une traduction visuelle du livre. L’annonce de la mort de la mère, la veillée, le cortège funèbre, le retour à Alger, les bains, la rencontre avec Marie… tout est là. Et une fois ce rythme posé, on se laisse cueillir. En filigrane, le film installe aussi l’Algérie colonisée et tout ce que ce contexte sous-tend.

«  »L’Étranger » est sans doute l’un des plus beaux films d’Ozon« 

Adapter « L’Étranger« , c’est évidemment aborder la question de l’étranger lui-même. On est tous l’étranger de quelqu’un. On l’est quelque part, toujours. Et au-delà de ça, le film montre un homme étranger à son propre monde, qui n’agit ni ne réagit comme la société l’attend. Meursault déroute : il dit des choses étranges, il semble décalé, presque insensible. À la lecture du roman, ce personnage m’avait déjà laissé un sentiment trouble.

À l’écran, Ozon recrée exactement ce vertige. Même quand il s’autorise quelques scènes supplémentaires ou un autre point de vue, comme par exemple en donnant plus d’espace à Marie, il reste fidèle à l’esprit du livre. Et puis il y a le grand moment : la confrontation finale entre Meursault et le prêtre. Une scène d’une force incroyable, qui arrache autant de larmes que de frissons. On y parle de la peine de mort, de la foi, de Dieu, du jugement, des certitudes qui restent ou s’effondrent. C’est un sommet de cinéma et d’émotion.

Pour la deuxième fois de sa carrière, après « Frantz« , François Ozon choisit le noir et blanc. Et c’est une idée magnifique. Le noir et blanc inscrit le film dans une époque précise, mais pas seulement. Il donne à la lumière une importance capitale : les ombres profondes répondent à la blancheur brûlante du soleil algérien. Ce contraste entre chaleur écrasante et froideur des intérieurs devient presque un personnage en soi. Visuellement, « L’Étranger » est sans doute l’un des plus beaux films d’Ozon. Chaque plan semble pensé comme une photographie ou un tableau. C’est un cinéma qui respire la peinture et la photo argentique, où chaque ombre, chaque éclat de soleil, chaque rideau qui bouge compte. C’est à la fois chaleureux et glacé, exactement comme l’histoire.

« Benjamin Voisin signe peut-être sa performance la plus délicate »

Benjamin Voisin, dans le rôle de Meursault, signe peut-être sa performance la plus délicate. Jouer l’absence d’émotion sans être vide ni antipathique est un défi, et il le relève avec une justesse impressionnante. On croit à ce personnage qui ne réagit pas comme on l’attend, mais qui finit par émouvoir profondément, surtout dans la dernière partie. À ses côtés, Rebecca Marder est superbe en Marie, Pierre Lottin étonnant (et parfois agaçant), et Swan Arlaud offre, dans un petit rôle essentiel, une intensité rare. On se prend à rêver d’un nouveau César pour lui.

« L’Étranger » version François Ozon est une belle réussite. C’est un film fort, fidèle et libre à la fois, qui redonne envie de rouvrir le livre de Camus. Porté par un Benjamin Voisin habité, sublimé par un noir et blanc somptueux, le film sonde son personnage et, au-delà de ça, questionne la foi, la mort, la justice et ce qui fait de nous des étrangers, aux autres comme à nous-mêmes. Bref, ce cru 2025, c’est un geste de cinéma audacieux, élégant et marquant. Bravo.

Note : 15/20

Par Cinéted

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