
Avis :
On a tous une limite, dans tous les médiums culturels. C’est-à-dire que dans la musique que l’on aime, il y a toujours un seuil que certains groupes dépassent, et pour lesquels on a une certaine aversion. Prenons un exemple concret, les sous-genres du métal sont si divers et variés qu’il est presque impossible d’adhérer à tous les genres. Et certaines formations ne sont pas là pour caresser dans le sens du poil son auditorat, allant jusqu’à une violence sans aucun sens mélodique, juste pour frapper les têtes le plus fort possible. Si on pourrait croire que le Black Métal est le genre le plus poussé dans sa violence, le Deathcore n’est pas en reste. La France possède une figure de proue : Ten56..
Formé en 2020 par le chanteur Aaron Matts qui part de Betraying the Martyrs pour faire quelque chose de plus sombre et de plus lourd (sic), Ten56. se revendique d’une nouvelle mouvance, celle du Nu-Deathcore. Entendez par là que l’on a des riffs assassins, un chant crié/growlé, une lourdeur qui va parfois à l’encontre de la mélodie, et des moments qui prennent la forme de rap. Un mélange qui peut sembler bordélique, mais qui va apporter un certain vent de fraîcheur dans un style qui s’enferme trop dans son hyper violence. Après deux EP qui vont se transformer en un album en 2023 (Downer), le groupe revient aujourd’hui avec IO, un second album étouffant, angoissant, d’une lourdeur sans nom, mais qui s’avère cathartique et relativement réussi, pour qui est adepte des musiques extrêmes et des expériences sonores jusqu’au-boutistes.
Si l’on prend l’album dans sa globalité, on va se prendre une grosse mandale pendant près de trente-quatre minutes. Et c’est bien suffisant, car l’extrême violence est partout, ne laissant guère de répit à son auditoire. Le groupe français balance la sauce à tous les étages, et se libère de ses chaînes, nous emportant dans son élan salvateur. L’album s’ouvre sur Doormat qui annonce clairement la couleur. Le démarrage ressemble à une alarme au sein d’une prison, et les riffs déboulent en même temps que le chant growlé, nous assommant comme autant de mâtons nous empêchant de sortir de notre cellule. Le résultat est grisant, mais surtout, il est plus maîtrisé que sur l’album précédent. Le groupe trouve le juste équilibre entre blast bourrin, et riffs plus appuyés et saccadés, faisant très mal à nuques. Cette entrée en matière n’est que le début d’un long voyage ténébreux.
Malgré son introduction insidieuse, Pig est un titre qui ne nous laisse guère le temps de respirer. Aaron Matts explore toutes les facettes de sa voix, et on plonge avec lui dans les méandres d’un enfer étouffant à souhait. Puis Snapped Neck viendra nous embarquer dans un autre déluge de violence et de mosh-pit enflammé. Plus accessible que les autres titres, le chant clair fait son apparition, troublant et fragile, jouant alors avec les textures et les intentions du morceau. Et que dire de la fin, tout en gargouillements dont on imagine pleinement les bulles de sang au bord des lèvres. Histoire de nous remettre de ces émotions virulentes, Lifeisachore.Mov est un interlude sur fond de fausse pub, comme un hub maléfique au milieu des enfers. Puis I Know Where you Sleep nous frappera alors de plein fouet pour moins de deux minutes de parpaings dans la tronche.

Good Morning ne sera pas là pour nous apaiser. Dans la continuité du titre précédent, on va prendre une rage dévastatrice en pleine tronche, sans aucune échappatoire possible. Le groupe pousse tous les potards au maximum, jusqu’à prendre des allures de métal industriel de l’extrême sur son final. Earwig ira dans le même délire, avec un aspect électro plus appuyé, qui donnera lieu à une horreur à la Giger, où les murs sanglants sont incrustés de pièces électroniques et d’éléments bio-organiques. ICU s’amusera alors à peaufiner cette ultra violence, gardant un schéma similaire tout prônant un chant presque Hardcore. Puis Pty Fck suivra le même chemin, se faisant alors le dernier représentant d’un voyage infernal, dans les abysses de l’âme humaine. Car par la suite, le groupe va nous surprendre via trois derniers morceaux différents.
Friends sera clairement un morceau de Rap Hardcore. Aaron Matts se déchaîne sur les mots, et propose une vraie expérience sensorielle. Bien évidemment, le morceau se divise en deux parties, et sur la fin, les riffs vont venir asséner des coups de massue, appuyant alors les propos de la première partie. Banshee sera un morceau qui alliera les deux facettes de la formation. On a d’un côté l’hyper violence du Deathcore, et de l’autre, un chant crié et rappé qui apporte une vraie plus-value à l’ensemble. Ajoutons à cela de petits bruits bien creepy pour peaufiner une ambiance malaisante, et le tour est joué. L’album se clôture alors avec IO, un titre de Rap très doux, qui apporte de l’apaisement à l’ensemble, sortant alors de l’enfer ambiant. Etrangement, on ressent de belles émotions avec ce morceau, démontrant que Ten56. a aussi un cœur.
Au final, IO, le dernier album de Ten56., est une belle réussite, dans un genre qui pourtant pourrait nous rebuter. L’ultra violence est perçue ici comme un voyage dans les neuf cercles de l’enfer, à la fois étouffant et cahoteux, et la lumière n’apparait qu’à la toute fin, nous libérant alors de nos tortures exutoires, apaisant notre folie et nos envies pulsatrices. Bref, on aurait pu croire à un bordel sonore sans aucun sens, et on se retrouve avec un album cathartique, parfaitement maîtrisé.
- Doormat
- Pig
- Snapped Neck
- Lifeisachore.Mov
- I Know Where You Sleep
- Good Morning
- Earwig
- ICU
- Pty Fck
- Friends
- Banshee
- IO
Note : 16/20
Par AqME