
Résumé :
Une fois par an, la Peintresse s’éveille et dessine un chiffre sur son monolithe. Un chiffre maudit. Toutes les personnes ayant atteint cet âge se transforment en fumée et disparaissent. Année après année, ce chiffre diminue, et nos rangs s’amenuisent. Demain, elle s’éveillera et peindra le chiffre 33. Demain, nous partons pour notre ultime mission : nous allons anéantir la Peintresse, afin que jamais plus elle ne peigne la mort.
Nous sommes l’Expédition 33.
Avis :
Dans la vie, comme dans la culture, il est des découvertes (ou des rencontres) fortuites. Le genre d’expériences en mesure de constituer un changement de paradigme, à tout le moins de provoquer une profonde remise en question. Ces considérations peuvent paraître pompeuses. Pourtant, elles existent, même si elles demeurent rares, pour ne pas dire uniques. On peut en apprécier une par décennie ou par génération, avec de la chance. Qu’il s’agisse de films, de jeux vidéo, de livres ou de musiques, elles se présentent comme des œuvres marquantes et intemporelles pour de multiples raisons. Assurément Clair Obscur : Expedition 33 s’avance comme l’une d’entre elles.

Quand le mélange des arts donne vie à une œuvre fascinante
En l’occurrence, le terme de jeu vidéo pour Clair Obscur : Expedition 33 en devient réducteur, tant ce titre repousse les frontières de l’art sous toutes ses formes. Certes, il est question d’une expérience vidéoludique sans commune mesure. Cependant, on ne peut s’arrêter à ce seul constat tant le titre de Sandfall Interactive excelle à tous les niveaux. Sur la forme, on s’extasie tout d’abord sur une direction artistique singulière.
Dans un contexte qui s’inspire de la Belle-Époque, l’atmosphère multiplie les influences baroques, empreintes d’une tonalité steampunk. Cette vision interpelle par d’autres courants artistiques. Au regard de l’intrigue et du sujet principal avancé, la peinture est au centre de toutes les attentions. Tour à tour, les environnements se parent des atours de l’impressionnisme, l’art moderne, l’art abstrait, le symbolisme ou l’expressionnisme. Cette palette hétéroclite donne vie à un univers aussi fou qu’audacieux, à la fois original et obsédant.
L’art de s’émerveiller tout au long de l’aventure
Ainsi, la découverte de Clair Obscur : Expedition 33 passe par Lumière. Cette ville définit déjà les contours d’éléments qui caractérisent toute sa singularité. On songe à ces objets en suspension, comme s’ils s’affranchissaient de la gravité et du temps. On peut aussi s’attarder sur l’architecture biscornue de certains édifices, comme cette reconstitution d’une tour Eiffel tordue ou cet Arc de Triomphe brisé, comme une vulgaire pierre effritée.
Par la suite, l’odyssée à laquelle nous convie le titre se montre inspirée pour multiplier les lieux aux antipodes. L’océan suspendu, les falaises de Rochevague, les terres oubliées ou l’île de Sirène sont autant d’exemples représentatifs de panoramas prompts à la contemplation, à l’admiration d’une telle expression artistique. Le level design se révèle aussi cohérent dans les phases d’exploration et les affrontements. En d’autres termes, la beauté des lieux s’intègre dans une évolution intelligente de l’histoire et du parcours des protagonistes.
Quand l’art devient un exutoire pour mieux s’évader
Au même titre que sa direction artistique, le récit de Clair Obscur : Expedition 33 ne laisse guère indifférent. L’entame demeure intrigante. Elle encourage à entrevoir les méandres d’une aventure profonde et pleine de subtilités. La narration délaisse bien vite toute considération du bien et du mal, notamment au travers d’antagonistes charismatiques qui possèdent leurs propres motivations. L’écriture est talentueuse pour faire s’enchaîner des émotions contradictoires et dépeindre des personnages attachants, sinon mémorables.
Ainsi, l’escale au village des Gestrals constitue une bouffée d’oxygène, légère avec ce peuple qui fait de la bagarre un véritable culte. Puis l’on se confronte à des moments beaucoup plus sombres qui interpellent sur le bien-fondé ou le sens d’une telle entreprise. L’espoir se dispute au doute. La persévérance se heurte au deuil. Ce dernier demeure l’un des sujets les plus forts et importants du jeu. On peut aussi s’attarder sur d’autres thématiques notables, comme la dépression, la souffrance physique et psychologique, sans oublier le rapport à l’art et au sentiment d’évasion qu’il procure.
L’art de nous emporter par la musique
D’évasion, il y sera question sous bien des aspects, au cours de l’aventure. Celle-ci se porte également par les compositions remarquables de Lorien Testard. On songe aux chansons où ses mélodies accompagnent la voix enchanteresse d’Alice Duport-Percier, comme Lumière, Alicia ou Une Vie à t’aimer. Cependant, toute la bande originale est à saluer pour son impact qu’elle procure à l’exploration d’une contrée désolée ou lors d’un combat. Les rythmiques sont orchestrées avec brio pour susciter nombre de sentiments, selon les circonstances.
Indissociable de l’ambiance et de la qualité générale du titre, la musique de Clair Obscur : Expedition 33 magnifie l’aventure. On pourrait la considérer comme une entité à part entière, tant elle est prégnante et omniprésente à l’écran, comme dans notre esprit. Preuve en est avec ce gramophone qu’on prend plaisir à enclencher avant de déambuler au coin du feu lors des bivouacs. Ce qui rend ces moments uniques et poétiques.
Des combats où l’art de parer et d’esquiver est primordial
Au vu de cette excellence qui auréole la réalisation de Clair Obscur : Expedition 33, on en oublierait presque qu’il s’agit d’un jeu vidéo. Ce qui est sûrement intentionnel. Toujours est-il que l’interactivité possède de nombreux atours. Les déplacements demeurent fluides et bien menés pour arpenter des environnements où les reliefs sont souvent capricieux. Comme dans tout bon RPG qui se respecte, on peut aussi avancer une gestion méticuleuse des compétences, notamment avec les pictos qui disposent d’une dimension stratégique non négligeable.
Ceux-ci permettent d’avoir des avantages au début ou au cours d’un combat. En ce qui concerne ces derniers, le gameplay dépoussière le tour par tour. De manière générale, ce concept présente de nombreux attraits, mais sous-tend une approche assez passive. Ici, il est essentiel de maîtriser les esquives ou les parades, car la létalité des coups portés, même pour une confrontation basique, est susceptible d’annihiler votre équipe en l’espace de deux ou trois assauts. D’où l’importance de rester concentré afin d’adopter le bon timing selon le pattern de chaque ennemi. Cela sans compter que chaque personnage dispose de ses propres aptitudes, compétences et style de combat.
De l’art de nous préserver des vicissitudes de ce monde (pour un autre)
Clair Obscur : Expedition 33 est un jeu difficile, car exigeant dans la maîtrise de son gameplay. Il n’est pas rare de mourir, même dans des situations anodines. Pour autant, l’envie de persévérer et de progresser demeure belle et bien présente. En mode Expédition (normal), il faut compter environ 35 heures pour terminer l’aventure principale. Cela implique de farmer quelque peu son équipe pour aborder les combats les plus ardus dans de bonnes conditions.
Afin de découvrir toutes les richesses du jeu, il est possible de doubler sa durée de vie, voire davantage. Les régions les plus hostiles nécessitent un niveau avancé. Vous pouvez aussi vous lancer dans des quêtes secondaires et la recherche des trésors les plus rares. Sur ce point, Clair Obscur : Expedition 33 propose non seulement un noyau central dense, mais un contenu généreux pour poursuivre l’exploration de son univers. Quant à la complétude des trophées, elle présente un niveau d’implication supplémentaire pour prolonger le plaisir et le challenge.
De l’art de conclure…
Au final, Clair Obscur : Expedition 33 relève du chef d’œuvre, non du RPG ou du jeu vidéo, tant il transcende les frontières de l’art. Non seulement le titre de Sandfall interactive se distingue par une direction artistique hors-norme, mais il l’exploite avec toute la mesure qui lui est due. À la fois contemplatif et immersif, le jeu nécessite une implication de tous les instants. Cela concerne, entre autres, l’empathie que l’on porte à ses personnages, ainsi que la maîtrise de ses mécanismes. On peut également s’attarder sur l’ouverture d’esprit de l’équipe pour apprécier leur vision artistique, quintessence de ce que l’on recherche dans la lecture, la musique, le cinéma, la peinture ou le jeu vidéo.

Clair Obscur : Expedition 33 est une synthèse de ces médias culturels. Il communique l’amour de l’art à un tel niveau qu’on ne peut lui renier sa dimension humaine. Tourmenté, le jeu l’est assurément. Fascinant et ensorcelant, il l’est aussi. Il peut faire rire, comme il peut faire pleurer par sa qualité d’écriture et d’exécution. « Finesse et grâce », comme pourrait l’avancer Maelle. Il suffit de considérer le dilemme final ou ces moments teintés de lyrisme et de romanesque pour s’en convaincre. Dès lors, on ne peut que s’incliner devant le travail d’une équipe aux multiples talents. « Demain viendra » : pour une fois que cette évocation demeure porteuse d’espoir et non d’affliction…
Note : 20/20
Par Dante